- Mais à quoi tu joues, putain d'abruti ?
Un poing fendit l'air pour aller s'écraser sur une mâchoire qu'on entendit craquer à des mètres à la ronde. L'homme se retrouva projeté à terre, complètement sonné et crachotant son propre sang sur le béton de la base.
- T'es vraiment une folle furieuse ! Regarde ce que t'as fait à mon beau visage, idiote.
- C'est moi la folle ? Putain c'est moi la folle alors que c'est toi qui coupe ma trajectoire sans me prévenir et par un angle mort ? T'aurais pu nous tuer tous les deux, connard !
- Et en plus tu continues de m'insulter alors que je suis à terre, c'est vraiment bas.
- Allez, lève-toi, qu'on rigole un peu. Je te remets la même mais sur l'autre joue histoire d'équilibrer ta tronche déjà amochée.
Il n'esquissa pas un geste et sembla fixer le vide quelques secondes puis…
- Swan !
Emma fit volteface à la vitesse de l'éclair pour se retrouver nez à nez avec son supérieur, son regard outré croisant le sien décomposé.
- M… Major… Je vous jure que-
- Silence, Swan.
Elle se raidit instinctivement et soutint les reproches silencieux que le major lui adressait.
- Major ! Swan m'a agressé sans raison apparente et je souhaiterais-
- Le silence vaut pour vous aussi, Sous-Lieutenant Cassidy.
Emma laissa apparaître un rictus que Hood fit disparaître à la seconde où ses yeux se reposèrent sur elle. Il retroussa ses lèvres jusqu'à ne plus laisser apparaître qu'une fine ligne rosée.
- Dans mon bureau, Lieutenant Swan, tout de suite.
- Bien, major.
Hood pivota sur ses talons et partit en direction des quartiers administratifs de la base, talonné par une Emma Swan qui regrettait déjà de s'être à nouveau laisser emporter par ses émotions. Tandis qu'ils parcouraient ensemble les quelques centaines de mètres les séparant des bureaux, elle se mangea consciencieusement l'intérieur des joues, l'angoisse prenant le pas sur la colère qui s'était exprimée avec passablement de violence. Son fichu tempérament lui avait déjà valu un nombre conséquent d'ennuis avec sa hiérarchie et elle savait que cette fois, elle n'en ressortirait pas qu'avec un blâme ou des tâches dégradantes pendant quelques semaines…
Elle fut extraite de ses pensées par la disparition soudaine du major. Elle réalisa qu'elle s'était laissée emporter par ses pas quelques mètres trop loin. Elle revint prestement et pénétra dans la pièce sous un regard dépité et un hochement de tête.
- Prenez place.
Elle opina et s'installa raide comme un « i » sur une des chaises faisant face au bureau du major. Elle n'essaya même pas de détailler le bureau dans lequel elle se trouvait, elle le connaissait déjà dans les moindres détails. Ses différents coups d'éclats lui avaient permis de pouvoir cartographier mentalement l'entièreté des lieux, des grosses étagères cachant les murs à la photo de la femme et du fils du major trônant sur son bureau. La seule différence notable était la taille de la pile de paperasserie qu'il n'avait pas encore réussi à éliminer, Emma sachant pertinemment qu'il avait ça en horreur. Elle s'était déjà retrouvée à classer ses dossiers et rapports, croyant mourir d'ennui à peine dix minutes après avoir commencé.
Une fois le Major Hood assis, il planta ses yeux dans les siens et soupira longuement.
- Qu'est-ce que je vais faire de vous, Swan, sérieusement ? Si je ne me suis pas perdu dans mes comptes, c'est la sixième fois que nous nous voyons.
- Le compte est bon, major. Voyelle.
Il haussa un sourcil et retint un rictus amusé.
- Et que pour cette année. Et nous sommes en juin. Vous rendez-vous compte qu'il ne m'est plus possible de contenir les esclandres que vous déclenchez à peu près tous les mois ?
Il soupira à nouveau.
- Qu'est-ce que Cassidy a encore bien pu faire, d'ailleurs ?
- Nous étions à l'entraînement, en plein vol et le sous-lieutenant est venu couper ma trajectoire en arrivant par un angle mort. Il a dû trouver amusant de tester mes réflexes.
- Des témoins ?
- Nolan et Jones, major.
- Bon, je m'occuperai de lui personnellement.
Il griffonna une note sur son agenda puis reporta son attention sur Emma. Il s'affala dans sa chaise et adoucit son regard.
- Est-ce que vous arriverez un jour à comprendre qu'on ne réagit pas ainsi lorsqu'on est enrôlée dans l'armée, Swan ? Votre caractère est tout à fait rafraîchissant et amusant en dehors de la base mais ici, vous devez vous conformer au code qui dit explicitement que cogner son sous-lieutenant est vivement déconseillé.
- Mais, major…
Hood leva ses deux sourcils et fit un signe de tête en dénégation. Il se rapprocha de son bureau et s'y pencha puis baissa la voix.
- Ecoute, Emma, tu sais très bien que je pense que tu es un bon lieutenant et une personne formidable mais dans le cadre du travail, ça ne peut et ne doit pas entrer en compte. Je ne peux pas étouffer cette affaire, je vais être obligé de le remonter à ma hiérarchie…
Elle lui sourit tristement et baissa les yeux.
- Je sais bien, ne t'inquiètes pas. J'assumerai devant qui il le faudra, je ne veux pas te créer plus d'ennuis que je l'ai déjà fait alors que je te dois tant.
- Très bien. Vous pouvez disposer lieutenant, vous recevrez des nouvelles de vos supérieurs d'ici quelques jours.
Elle passa le reste de la journée et de la soirée à ruminer tout en esquivant les provocations perpétuelles de Cassidy qui semblait trouver un malin plaisir à la pousser à bout, malgré l'hématome en formation sur son visage. Elle mangea un peu, resta dans la salle de jeux le temps d'une ou deux parties de billard avec Jones et Nolan puis repartit dans ses quartiers pour la nuit. Le sommeil ne fut évidemment pas au rendez-vous. Elle s'imagina se faire flageller en public sur la base par un vieux général aigri, avide du pouvoir qu'il ressentirait. Elle frissonna à cette idée. De toute façon, elle ne pourrait s'en prendre qu'à elle-même et sa foutue tendance à ne pas garder sa langue, ou ses poings en l'occurrence, à leur place habituelle. Elle saisit son oreiller et l'abattit avec violence sur son visage. Elle finit par rejoindre Morphée qui l'emmena, comme chaque nuit, dans son avion de chasse à la poursuite d'elle ne savait quoi mais qui l'attirait avec force et détermination. Elle finissait toujours pas se réveiller en sursaut le matin, le poing se refermant devant son bras tendu, ne parvenant pas à se souvenir de ce qu'elle avait enfin réussi à saisir. Ce matin ne dérogea pas à la règle.
S'éjectant avec vigueur de son lit, elle fit ses exercices physiques matinaux avant de s'habiller pour aller contempler le lever de soleil qui distillait sa douce lumière à travers les vitres des baraquements. Elle prit quelque chose à grignoter et alla s'installer tout en haut d'un amas de caisses de matériel qui attendaient d'être rangées.
- Saisissant, n'est-ce pas ?
Elle sursauta et chercha alentours qui avait pu prononcer ces mots. Son regard finit par tomber à sa gauche où une brune en habits de repos s'était adossée à une des caisses, contemplant la même chose qu'elle. Elle se décida à lui répondre.
- En effet. Le plus délicieux moment de la journée, avec le coucher de soleil. Mais le lever c'est mieux, j'ai mon petit-déjeuner !
La brune rit spontanément à la fraîcheur de la blonde perchée sur sa tourelle d'observation.
- La ligne d'horizon se teintant de doré est absolument fascinante.
- Encore plus en hauteur, on voit les reflets du lac, au loin.
- Me permettez-vous ?
Emma hésita quelques secondes, n'appréciant guère de partager son meilleur spot de détente mais quelque chose dans la voix de la femme la convainc.
- Bien sûr, je vous fais une place.
Quelques secondes plus tard, elles se retrouvèrent les deux à contempler silencieusement le lever qui s'achevait lentement.
- Vous aviez raison, le paysage est encore meilleur vu d'ici.
La brune lui adressa un large sourire, détournant son regard de l'horizon pour la regarder. Lorsqu'Emma détourna à son tour la tête, elle fit face à deux orbes sombres qui reflétaient chaque once de lumière prodiguée par Mère Nature en ce matin de juin. Elle fut instantanément hypnotisée par le spectre de couleurs et d'émotions que l'on captait dans ces yeux et par ce sourire à se damner. Elle resta incapable de lui répondre ou même de lui sourire. Ce fut la brune qui rompit l'échange en descendant des caisses, s'excusant de devoir partir et lui souhaitant la bonne journée. Le lieutenant ne sut que répondre et bredouilla un vague « bonne journée également ».
- C'est quoi cette tête stupide que tu tires, Swan ?
Jones avait toujours l'art et la manière de parler aux femmes, c'était indéniable. Emma lui envoya une bourrade dans l'épaule et éluda la question d'un geste de la main. Elle termina de se changer pour l'exercice de vol d'aujourd'hui et rejoint ses collègues d'escadrille, ignorant superbement Cassidy qui lui lançait des regards lourds de sens. Ils se mirent en ligne lorsque le major fit irruption dans le hangar et le saluèrent lorsqu'il fut arrivé devant eux.
- Prêt pour le vol de ce matin ? Tout le monde a révisé les plans et tactiques ?
- Oui, major !
Ils répondirent tous en cœur, fébriles à l'idée de commencer. Ils étaient tous présents ici par passion du vol, aimant la sensation que procurait le décollage, le fait de s'arracher à la terre et aux lois de la physique. Ils pourraient tous vendre père et mère ne serait-ce que pour quarante-cinq minutes en compagnie de leurs avions, flirtant avec les cieux et les nuages.
- Bien. Les paires se feront comme suit : Jones et Cassidy, Nolan et Lucas, Hatter à la coordination au sol.
Ils bougèrent tous rapidement, prenant leurs positions et attendant le signal de Hatter pour mettre en mouvement les quelques tonnes d'acier entre leurs mains. Tous, sauf Emma qui resta interloquée sur la ligne à présent dissoute. Elle finit par interpeller Hood :
- Euh… Major ? Quelle est mon affectation pour cet exercice ?
Hood lui jeta un regard en coin, cria ses dernières instructions à l'équipe et se rapprocha d'elle.
- Lieutenant, vous vous rendez immédiatement aux quartiers de l'Etat-Major et demandez le Lieutenant Colonel à l'accueil. Vous êtes attendue.
Emma déglutit avec difficulté mais ne laissa rien transparaître de son malaise. Elle salua le major, déposa son casque dans son casier et se dirigea vers lesdits quartiers. Elle redoutait cette entrevue, ne sachant pas à quoi s'attendre et surtout, terrifiée à l'idée de se faire définitivement radier. Que ferait-elle sans l'armée ? Elle n'avait que ça, c'était sa famille, la seule qu'elle n'ait jamais vraiment eu et surtout appréciée. Exception faite de Cassidy mais aucune famille n'est parfaite. Elle ricana pour elle-même et se retrouva très vite devant les baraquements réservés aux officiers supérieurs et où résidait son futur trépas. Jusqu'à présent, elle avait pu éviter la rencontre avec la hiérarchie de la base. Ils n'étaient pas nombreux mais redoutés, comme un peu partout.
Elle pénétra dans le bâtiment et se dirigea droit sur la réceptionniste coiffée d'un chignon strict du même métal que son tailleur et de petites lunettes perchées sur le bout de son nez. Celle-ci la regarda arriver, la fixant de ses yeux bleus perçants. Emma prit un air dégagé et une voix assurée :
- Bonjour. Je suis attendue par le Lieutenant Colonel de l'escadrille 2. Lieutenant Emma Swan.
La femme en face d'elle la jaugea quelques instants puis saisit son combiné.
- Le Lieutenant Swan, pour vous et presque à l'heure.
Emma sourcilla, on ne lui avait pas parlé d'une heure précise à laquelle arriver. Si d'entrée de jeu elle jouait la carte du retard, la suite promettait !
Elle vit la réceptionniste acquiescer au téléphone et le reposer sur sa base. Celle-ci reposa ses yeux de rapace sur la blonde qui retint un frisson. Était-il bien nécessaire de mettre des chiens de garde pareil aux entrées ? Un rottweiler lui aurait paru plus amical…
- Couloir sur votre droite, deuxième intersection à gauche puis première porte à droite. Bonne journée lieutenant.
La blonde hocha la tête et se dirigea donc dans la direction indiquée, profitant au passage pour jeter un œil sur les autres résidents du bâtiment. Elle passa devant les bureaux du Lieutenant Colonel Maleficent qui faillit la faire éclater de rire. Passée la première intersection, le bureau sur sa gauche indiquait Lieutenant Colonel De Vil. Décidément, cette base avait une hiérarchie haute en couleur ! A croire qu'ils les recrutaient pour leurs noms… Un peu plus loin sur sa droite, elle passa devant le bureau du Lieutenant Colonel Squid et dû définitivement retenir un fou-rire. Elle finit par atteindre la deuxième intersection, tourna à gauche et s'arrêta. La réceptionniste lui avait-elle dit le bureau à droite ou à gauche ? Elle jeta un œil sur le bureau à sa gauche et pu y lire que le résident était le Colonel Gold. Elle avait sa réponse et toqua sur la porte à sa droite.
- Entrez.
C'était une voix de femme, rauque et autoritaire qui éveilla l'attention d'Emma. Elle actionna la poignée, pénétra dans la pièce et referma derrière elle. Elle trouva la femme à son bureau, absorbée par des papiers, les cheveux lui recouvrant le visage, la dissimulant au regard de la blonde.
- Asseyez-vous, Lieutenant.
Emma s'exécuta prestement et attendit patiemment que la femme termine sa lecture. Elle put noter que sa chevelure brun foncé tombait élégamment devant son visage et s'accordait parfaitement au teint apparemment hâlé de sa peau. Sa tenue était celle d'un haut gradé, la feuille argentée de son grade trônant fièrement sur sa poitrine. Elle jeta un œil au reste de son bureau et nota le manque flagrant de chaleur de la pièce. Tout y était défini pour être fonctionnel et épuré. Aucune photo, aucune couleur, la rigueur militaire. Son regard accrocha un seul détail : les trois livres d'arts sur la représentation du soleil à travers les âges. Cela semblait être le seul effet réellement personnel du lieutenant colonel. Elle se rendit alors compte qu'elle ne connaissait toujours pas le nom de son interlocutrice. Elle n'eut cependant par le temps de creuser la question, la femme avait terminé son rapport, relevé la tête et observait Emma.
Elle resta interloquée quelques secondes lorsque le contact visuel se fit, retrouvant ces fameuses pupilles qui lui avaient fait chavirer les sens pas plus tard que ce matin. Elle ne dit rien, se contentant de rougir tout en soutenant le regard.
- Lieutenant, savez-vous pourquoi vous êtes ici ?
Ne la reconnaissait-elle donc pas ?
- Euh, oui, Madame.
- Trouvez-vous que votre comportement reflète les qualités vantées par nos services au travers de l'histoire ?
- Non, Madame.
Elle était de plus en plus décontenancée par l'extrême froideur, la rigidité que dégageait cette femme pourtant magnifique.
- Alors pourquoi vous obstinez-vous dans cette voie ? Pensez-vous que la rébellion soit un acte qui mérite d'être reconnu au sein de cette base ou même de l'armée ?
- Non, Madame.
- Non quoi, lieutenant ?
- Je ne pense pas que mes écarts de comportement doivent être la ligne à suivre, Madame.
- Donc, pourquoi persistez-vous, encore une fois ?
Emma avait toujours eu du mal à se taire, c'était de notoriété publique et encore une fois, sa langue la trahit :
- Avec tout le respect que je vous dois, Madame, le Sous-Lieutenant Cassidy aurait pu nous tuer tout les deux.
La femme ne cilla pas, son visage resta figé dans la même expression d'intimidation.
- Et vous répondez donc à l'idiotie par la violence, lieutenant ?
Surprise de ne pas se faire remettre à sa place pour sa persistance à répondre à un supérieur, elle continua :
- Je… Je ne peux pas justifier mon acte, Madame, j'étais sous le coup de l'émotion. Je n'aurais pas dû, j'en assume les conséquences.
La brune glacière cilla enfin et la jaugea.
- Lieutenant, j'ai pu parcourir votre dossier avant que vous n'arriviez. Vous justifiez chacune de vos incartades par une remarque ou un geste déplacé envers votre personne ou un de vos collègues. Est-ce exact ?
- C'est exact, Madame. Mais…
- Pensez-vous qu'il soit judicieux, encore une fois, de répondre à la provocation gratuite ou à l'idiotie par la violence ? Pensez-vous que ce soit le moyen le plus efficace de faire comprendre à certaines personnes qu'ils outrepassent leurs prérogatives ?
- Je…
- La réponse est non, Lieutenant Swan. Vous leurs donnez du grain à moudre et une raison de vous provoquer. De plus, vous ternissez l'image de l'armée tout entière en vous laissant aller à vos émotions. Comment puis-je justifier à mes supérieurs qu'une pilote de nos engins les plus performants soit du genre à perdre son sang-froid à la première incartade ?
Sentant sa fierté de pilote piquée au vif, elle ne se rendit même pas compte qu'elle était en train de répondre à son officier supérieur. L'officier supérieur de son officier supérieur, en réalité.
- Je ne perds jamais le contrôle de moi-même en vol, Madame.
- Et comment puis-je en être certaine ?
Une fois de plus, elle ne se formalisa pas de la réponse de son sous-officier.
- Mes statistiques en vol parlent pour moi. De plus, il n'y a que là-haut que je me sente en paix, il n'y a pas de place pour la colère, je suis focalisée sur mon objectif et mes sensations.
La brune l'observa de longues secondes, en silence, semblant vouloir s'immiscer dans ses pensées pour y détecter la sincérité. Elle finit par décrocher son regard pour le reporter sur ses documents.
- Vous irez demander au major Hood votre assignation pour les deux prochains mois. Si je dois vous convoquer à nouveau dans ce bureau, je vous prie de croire que ce sera pour votre radiation définitive. Vous pouvez disposer.
- Hey Swan ! Alors, t'étais passée où ce matin ?
Emma n'en revenait toujours pas de son entrevue avec le lieutenant colonel. Elle était abasourdie par la réaction de cette femme qui aurait eu tout loisir de la détruire mais qui semblait vouloir lui donner une seconde et dernière chance.
- Je euh… J'ai été convoquée chez les pontes à cause du poing que j'ai fait manger à Cassidy.
- Ca devait arriver, je suppose… Mais puisque tu es toujours ici, c'est que ça ira ! J'ai confiance en toi !
Nolan lui offrit un regard compatissant et une tape sur l'épaule.
- Merci, enfin je crois.
Elle reçut une autre tape sur l'épaule tandis que Lucas venait s'asseoir à ses côtés et lui offrit un grand sourire.
- Tu nous as manqué ce matin ! Je me suis retrouvée toute seule avec ces sacs plein d'hormones, là…
- Hey pousse pas Lucas ! Je suis resté tout à fait correct, pour une fois !
- Tu fais bien de préciser « pour une fois », Jones, hein. Mais je t'aime bien quand-même, t'as de la chance.
Ils rirent tous du jeu de vieux couple qu'avait développé Ruby et Killian, alias Lucas et Jones. Se cherchant en permanence, ils étaient pour beaucoup dans la bonne humeur de leur escadrille. Bien entendu, cela restait totalement platonique, le code n'autorisant pas ce genre de relations entre le personnel opérant. De toute façon, il avait semblé à Emma que Jones s'intéressait plus à elle qu'à Ruby qui n'avait d'yeux que pour Booth, le major d'une autre escadrille.
- Je risque de te manquer encore un moment, Lucas, je suis assignée à la logistique pour les deux prochains mois. Punition divine. M'enfin, c'aurait pu être bien pire…
- Divine hein.
Lucas lui lança un coup d'œil amusé mais curieux auquel elle ne répondit pas. Depuis le temps que ce petit groupe se côtoyait, ils en étaient venus à se connaître par cœur et apparemment, le ton et le vocabulaire employé par la blonde n'avait pas échappé à la brune.
- Le point positif dans tout ça, c'est que j'aurai plus à me coltiner la face de Cassidy sur deux mois, c'est déjà pas mal.
Jones ricana et enchaîna :
- Oh d'ailleurs tu dois pas être au courant mais ce petit troufion a été pleurnicher auprès du major pour sa mâchoire. Il a exigé que tu sois virée ou mutée.
- T'es sérieux ? Il a vraiment un problème se type, il a peut-être oublié le mode d'emploi de la dignité.
- Mouai'p. M'enfin t'en fais pas, on se charge de lui-même si techniquement il a un grade supérieur au nôtre. Bon… Un billard ou un strip-poker !
- Killian !
Emma, Ruby et David Nolan s'exclamèrent à l'unisson et chacun frappa l'épaule du pauvre Jones.
Cette nuit, Emma réussit enfin à s'endormir paisiblement et presque immédiatement après s'être couchée. Elle n'avait finalement pas passé une si mauvaise journée que ça. S'attendant à se faire renvoyer, elle était heureuse de ne se retrouver qu'avec une assignation ingrate pendant deux mois. Autant le prendre comme des vacances et l'occasion de perfectionner ses compétences en triage de papier, déplacement d'encombrants et autres activités amusantes.
Elle rêva à nouveau de son avion et de cette sensation que lui procurait le vol : la plénitude. Rien au monde ne semblait l'apaiser autant que ces moments où elle parcourait le ciel et y jouait. Car son travail était un jeu, une passion même si entraînant de grandes responsabilités. C'était son âme d'enfant qui s'exprimait par ce biais. Cette enfant qui avait rêvé dès sa plus tendre enfance de prendre possession des cieux et d'y laisser une partie de son âme. Elle en était à tendre à nouveau la main vers ce qu'elle poursuivait lorsque le réveil la sortit abruptement de ses songes. Ni une ni deux, elle était debout puis allongée sur le sol pour ses exercices quotidiens. Elle tenta ensuite de réveiller Lucas pour aller prendre le petit-déjeuner mais reçut un coussin et un grognement signifiant « tu te lèves trop tôt ». Elle rit doucement et la laissa prolonger son repos de la demi-heure qui lui restait, profitant pour aller se restaurer au sommet de sa pile de caisse habituelle, contemplant l'horizon et le dégradé de couleurs chaudes qui s'offraient à elle.
- Vous n'en manquez donc jamais un ?
Elle n'eût pas besoin de regarder pour savoir qui se tenait à nouveau adossé sur sa gauche.
- Je m'efforce d'être là tous les matins, autant que faire se peut. Et vous donc ?
- D'ordinaire je le contemple depuis mes quartiers.
- Et pourquoi avoir changé d'avis ?
- Vous êtes bien curieuse, lieutenant.
- Et vous bien mystérieuse, lieutenant colonel. Je me suis rendue compte que je ne connaissais même pas votre nom.
L'ambiance de la belle journée chaude qui s'annonçait semblait adoucir tout ce qui gravitait autour, la brune également.
- Vous auriez pourtant dû le lire sur ma porte, pourtant.
- Vous ne voulez pas juste me le dire ?
- Puis-je vous rejoindre là-haut ?
La blonde ne répondit pas mais se déplaça de quelques centimètres pour laisser une place au lieutenant colonel. Cette dernière, à nouveau en habits de repos, monta promptement et s'assit juste à côté d'Emma.
- Alors, ce nom ?
Emma ne savait pas pourquoi elle se permettait de lui parler ainsi mais apparemment, la brune ne voulait pas s'en formaliser.
- Je suis une femme mystérieuse, vous l'avez dit vous-même. Ce serait trop facile de l'énoncer.
Un rictus satisfait s'accrocha à ses lèvres pulpeuses et elle jeta un regard en biais à la blonde qui haussa un sourcil. Il lui semblait déceler comme du… jeu, chez la femme se tenant à ses côtés. De la séduction ? Elle n'osait pas le penser, pas ici.
- Je pourrais tout aussi bien retourner devant votre bureau pour lire la plaque, hein.
- Et repasser devant Kathryn alors qu'elle vous terrifie ?
- Que… Qui est Kathryn ?
- La réceptionniste. Elle m'a confié avoir énormément rit à vous flanquer la frousse avant notre rencontre, votre tête devait être impayable.
- Vous vous êtes moquée de moi, en fait…
- J'avoue avoir pris plaisir à rire de votre déconvenue avec cette chère Kathryn.
- Et donc vous venez ici ce matin pour vous fiche de moi, logique.
- Vous êtes bien présomptueuse, je suis là pour l'arrivée du soleil.
Cependant, le regard que lui jeta la mystérieuse brune exprima l'exact opposé. Entre-temps, le soleil s'était levé.
- A demain, lieutenant.
Emma n'eût pas le temps de répondre que la brune était déjà repartie. Elle resta figée au haut de son poste d'observation, l'air plus stupide que jamais.
Cela faisait une semaine entière qu'Emma était assignée à la logistique et s'ennuyait comme un rat mort tout au long de la journée. Ses seules lueurs d'espoir venaient de la soirée avec ses amis de l'escadrille et ses aubes avec le lieutenant colonel dont elle ne connaissait toujours pas le nom. Elle avait hésité à demander au major mais s'était finalement abstenue, préférant le découvrir par elle-même. Où était l'intérêt du jeu, sinon ? Elle avait même considéré la possibilité d'aller demander à cette chère Kathryn mais s'était ravisée au dernier moment, pensant que la brune ténébreuse l'avait mise en garde. Il faudrait donc ruser. Ce matin là, elle avait à peine entamé son petit-déjeuner que la femme se hissa à ses côtés, ne demandant plus la permission de le faire.
- Bonjour, lieutenant colonel Mystère.
- Bonjour, lieutenant Impulsivité.
- Oh, c'est petit ça, quand-même.
- C'est bien vous qui éclatez le nez de quiconque a un mot déplacé envers un de vos collègues, non ?
- Alors tout d'abord il s'agissait de la mâchoire et ensuite, il faut que l'insulte soit vraiment corsée pour que je réagisse ainsi.
- Ca n'en demeure pas moins mal.
- Je sais, je suis en cure de désintox, j'apprends à parler plutôt que cogner. Vous voulez bien être ma marraine ?
La brune rit et ce fut comme si Emma avait été foudroyée sur place par ce son clair et qui résonnait si agréablement à ses oreilles. Comme avec ses yeux, Emma était charmée par sa voix et son rire. Pour être parfaitement honnête avec elle-même, elle était charmée par absolument tout ce qui constituait cette femme et même par cette petite cicatrice au-dessus de la lèvre lui donnait un charme fou. Elle aurait pu être effrayée ou atterrée de ressentir cette attirance et pourtant, le comportement de la femme l'encourageait plus qu'il ne la dérangeait. Elle n'était ni remise à sa place, ni repoussée. Au contraire, la brune avait pris sur elle d'initier la conversation puis de grimper à ses côtés pour finalement venir s'y installer sans demander la permission préalable.
Emma vit que la femme lorgnait largement sur la pomme qu'elle avait emmené avec elle dans le but de faire un petit-déjeuner équilibré. Elle la lui proposa donc.
- Je ne voudrais pas vous enlever le pain de la bouche.
- Vous en faites pas, j'ai suffisamment de réserves pour sauter une pomme une fois dans la semaine, allez-y.
- Je m'en voudrais que vous perdiez le poids que vous n'avez pas.
La blonde haussa un sourcil. Était-ce un compliment extrêmement détourné ?
- Ma ligne vous préoccupe-t-elle ? Vous avez pris diététique comme seconde option à l'école militaire ?
Elle reçut une tape sur son genou et sourit largement.
- Je ne voudrais simplement pas que vous perdiez votre masse musculaire, c'est tout. C'est important dans votre métier.
Son regard était passé de ses yeux à ses bras en une fraction de seconde mais cela suffit à Emma pour le capter. Elle décida de jouer le jeu.
- Et moi je ne saurais supporter que cette pomme pleine de sucre aille abîmer vos dents si blanches !
La brune lui sourit, soutenant le regard et le jeu. Elle sortit alors son couteau suisse et coupa la pomme en deux pour en tendre une part au lieutenant.
- Voilà, on sera toutes les deux à mi-chemin.
Au moment où la femme porta la pomme à ses dents et les y planta, Emma sentit comme un court-circuit parcourir son cerveau à nouveau. L'image était fantastique et elle s'assura de la graver au fond de sa mémoire.
- Vous voyez quelque chose qui vous plaît, lieutenant ?
- Ce serait trop facile à énoncer, à vous de deviner !
Pour toute réponse, la brune la poussa légèrement de l'épaule.
Après trois semaines de routine « métro-boulot-dodo », Emma décida qu'elle avait envie d'un peu d'inédit dans ses journées. Elle attendit donc patiemment que son réveil sonne puis se catapulta de son lit, rata volontairement ses exercices, prit deux barres de céréales et une pomme et fila pour son rendez-vous matinal. Jusqu'ici, elles s'était vues presque toutes les jours, à quelques exceptions près. Lesdites exceptions avaient causé de mauvaises journées à la blonde qui n'attendait que ce moment dans la journée. Arrivée devant leur perchoir, elle constata que la brune était déjà présente au sommet, occupant une bonne partie de l'espace.
- Vous êtes en avance.
- L'insomnie ça va, ça vient…
Toujours aussi cryptique, la bougresse. Elle l'aurait.
- Vous me faîtes une place ?
- Le méritez-vous vraiment ?
Emma porta ses poings à ses hanches et prit un air faussement outré.
- Après tous les sacrifices que j'ai fait pour vous depuis ces dernières trois semaines vous osez me balancer ça comme ça ?
La brune rit allégrement et Emma s'en félicita intérieurement. Elle se déplaça de quelques centimètres et tapota le bois en signe d'invitation.
- En plus, j'ai pensé à vous prendre une barre de céréales et une pomme pour la partager, voyez comme je suis prévenante ?
- Vous êtes merveilleuse et vous avez saisi que les pommes étaient mon pêché mignon. N'en profitez pas ou je devrai vous tuer.
- Essayez toujours.
La blonde s'assit dans l'espace qu'on avait bien voulu lui laisser ce qui les fit se retrouver côte-à-côte, s'effleurant. La jeune lieutenant était de plus en plus troublée par la proximité avec cette femme mais faisait son possible pour ne rien laisser paraître. Elle proposa la barre de céréales que la brune accepta avec plaisir semble-t-il.
- Vous ne petit-déjeunez jamais ? C'est le repas le plus important de la journée, pourtant.
- Qui est la diététicienne, maintenant ?
- Il n'empêche…
- Je préfère quand c'est vous qui me l'apportez, à vrai dire.
Emma entrouvrit légèrement la bouche sans pouvoir répondre. La brune n'attendit pas pour se saisir de la pomme entre ses mains, la couper et lui redonner une moitié.
- Mangez, ça vous évitera de gober les mouches.
Et elle s'exécuta, prenant bien soin de laisser un regard en coin en direction de la brune qui consommait sa pomme avec ravissement. Il lui vint alors une idée.
- Dites, loin de moi la pensée que ces rendez-vous matinaux m'ennuient mais… que diriez-vous d'essayer un coucher de soleil ? Vous verrez, l'histoire est la même mais vous la regardez à l'envers, c'est fascinant !
La brune rit à nouveau et lui décocha un regard curieux.
- Ma foi, pourquoi pas en effet, j'ai toujours rêvé de voir ce film une fois dans ma vie.
- Alors c'est décidé, nous irons prochainement à cette projection, j'amènerai le popcorn et les lunettes 3D.
La blonde fit volteface et s'en alla, fière de son effet.
Chers amis lecteurs,
Pensez-vous que ces quelques mots méritent une suite de quelques chapitres ? J'ai les idées mais je me demande si le sujet est suffisamment intéressant.
Oh et oui, j'aime Top Gun.