– Chapitre 1 – Le loup
Il était près de quatre heures du matin, et la tempête faisait rage sur la petite route qui serpentait à travers bois. La pluie fouettée par le vent s'abattait en vagues, couvrant presque le grondement du tonnerre. De temps à autre, un éclair illuminait les troncs alentour, blafards et torturés dans la lumière crue.
Bien à l'abri derrière son pare-brise inondé, Alifair Blake se concentrait pour ne pas perdre la route de vue dans cette apocalypse liquide. Ou, du moins, elle essayait. Elle rentrait d'une soirée en discothèque, les oreilles encore bourdonnantes à cause de la musique poussée à plein volume, et bâillait de plus en plus. Frottant ses yeux trop secs, elle pensa avec envie à son lit douillet qui l'attendait, quelques kilomètres plus loin...
Soudain, un éclair traversa le ciel dans un fracas assourdissant alors que la foudre s'abattait à quelques mètres. Aveuglée, Alifair eut juste le temps d'écraser le frein : un grand arbre était tombé en travers de la chaussée. Dérapant sur la route inondée, la voiture glissa pour s'arrêter à quelques centimètres à peine du tronc foudroyé.
Sous le choc, Alifair lança une bordée de jurons. Elle s'accorda quelques minutes pour comprendre ce qui venait de se passer et laisser son cœur se calmer. Comme satisfait de son œuvre, l'orage sembla s'éloigner, les éclairs diminuant d'intensité zébrant le ciel vers l'ouest au rythme d'un tonnerre de plus en plus distant. Alifair souffla un bon coup, enfila son manteau en se contorsionnant sur son siège et sortit de la voiture afin d'examiner la situation. Elle fut aussitôt trempée comme si elle venait de plonger dans une piscine glacée.
L'arbre barrait la route sur toute sa largeur. Elle essaya de le pousser avec les mains, les pieds, puis en appuyant son dos contre le tronc et en poussant de toute la force de ses jambes : l'arbre ne bougea pas d'un pouce. Peut-être aurait-elle plus de succès si elle tentait de le dégager avec la voiture ? Elle s'apprêtait à regagner son siège quand quelqu'un cria.
Alifair se figea, la tête tournée vers la droite. Malgré la pluie et ses oreilles bourdonnantes, elle avait distinctement entendu un cri, un cri humain. Elle scruta les bois, mais l'éclat de ses phares dirigés vers la route accentuait l'obscurité sous les arbres. Qu'est-ce qu'un être humain aurait fait à un tel endroit à une heure pareille ? Elle avait dû rêver.
Elle venait de parvenir à cette conclusion lorsque le cri se fit à nouveau entendre, plus insistant, plus prolongé. Trempée, glacée, Alifair prit le temps de réfléchir. Il y avait quelqu'un dans ces bois, pas très loin, qui semblait mal en point, et fort à parier que personne ne s'en apercevrait avant des heures. D'un autre côté, elle était seule, fatiguée, gelée, et peu désireuse de rencontrer un maniaque dans cet endroit désert.
Poussant un nouveau juron, elle courut à la voiture prendre une lampe-torche dans la boîte à gants et la barre de fer qu'elle gardait sous le siège au cas où. Les sandales contre lesquelles elle avait troqué ses talons pour conduire étaient trempées mais, au moins, elle pourrait courir s'il le fallait. Serrant la barre de fer dans sa main droite, elle braqua la torche allumée devant elle et s'avança vers les arbres.
Elle n'eut pas loin à aller. Après quelques mètres, elle aperçut des taches sombres sur les fougères du sous-bois. Un peu plus loin, une longue forme tapie par terre remuait faiblement. Alifair Blake n'était pas une petite nature, mais son estomac se noua quand elle vit le blessé.
Il s'était recroquevillé en position fœtale et tremblait de tous ses membres. L'espèce de cape qui le recouvrait était trempée de sang. Son visage blême était labouré de profondes griffures qui lui avaient crevé un œil. Sa main gauche pendait, à moitié arrachée à son bras.
Alifair tomba à genoux à son côté, concentrant son esprit sur l'action pour ne pas vomir. Posant la barre sur le sol tapissé de feuilles et coinçant la torche entre ses genoux, elle retira son écharpe et entreprit de poser un garrot au bras de l'homme qui gémissait.
"-Si vous m'entendez, essayez de ne pas tomber dans les pommes tout de suite, dit-elle en serrant l'écharpe. Les secours auront sûrement besoin de savoir ce qui vous a fait ça. Monsieur ? insista-t-elle en se penchant sur lui. Vous vous souvenez de ce qui vous est arrivé ?"
L'homme paraissait à peine conscient. Il secouait faiblement la tête et marmonnait, son œil mort roulant dans son orbite. Du sang continuait à suinter de son bras. À en juger par la quantité qui s'était déjà répandue sur le sol et sur sa cape, Alifair doutait qu'il survive jusqu'à l'arrivée des secours – si toutefois elle parvenait à les joindre. Elle devrait abandonner le blessé et remonter la route en voiture, ou bien enjamber l'arbre et continuer à pied jusqu'à la première maison où quelqu'un accepterait de lui répondre à cette heure. Autant rester là : au moins le pauvre homme ne mourrait pas tout seul. Mais s'attarder pouvait être dangereux. Elle fit glisser sa main du bras de l'homme à la barre de fer et s'inclina davantage, approchant ses lèvres de l'oreille du blessé.
"-Monsieur, articula-t-elle distinctement. Qu'est-ce qui vous est arrivé ? Qu'est-ce qui vous a fait ça ?"
L'homme semblait au bord de l'évanouissement, mais il lutta pour répondre. Il tourna la tête vers elle, son œil valide brillant soudain dans la lumière de la lampe. Alifair n'était pas sûre qu'il la voyait. Il remua les lèvres, cherchant son souffle, ses joues déchirées luisantes de sang.
"-La lune..., balbutia-t-il d'une voix rauque. La lune..."
Puis il sombra. Alifair soupira. Il serait mort dans quelques minutes. Il n'y avait rien à faire. Elle se redressa en secouant la tête. Dans le mouvement qu'elle fit, le faisceau de sa lampe bougea légèrement, révélant entre les arbres deux yeux verts qui la regardaient.
La chose chargea. Alifair se jeta de côté, roulant sur le dos. Elle sentit un pelage rugueux frôler son visage tandis qu'une masse sombre et musculeuse passait au-dessus d'elle, emportée par son élan. Alifair se releva d'un bond, la main serrée sur la barre de fer. La torche avait roulé par terre et éclairait la scène d'une lumière froide : le mourant allongé sur le sol rougi, la femme au manteau trempé semé de feuilles mortes, la bête grise, hérissée, sa gueule béante découvrant des crocs sanglants. Un loup, reconnut Alifair. Mais les seuls loups existant encore au Royaume-Uni vivaient dans des zoos, non ?
"-Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" marmonna-t-elle.
Puis le loup chargea à nouveau, bondissant sur le sol de feuilles. Alifair s'était tenue prête : elle l'évita de justesse et abattit la barre de fer sur le dos velu en hurlant. Après quoi, elle s'enfuit droit vers la lumière des phares qu'elle apercevait à travers les arbres. Derrière elle, le loup avait fait volte-face pour se lancer à sa poursuite, à peine ralenti par le coup qu'elle lui avait asséné, et nullement effrayé.
Alifair déboula sur la route et s'engouffra dans la voiture. Elle voulut claquer la portière mais le loup était juste derrière elle et elle eut à peine le temps de retirer son bras avant que les mâchoires de la bête se referment en claquant. Elle sortit par l'autre porte tandis que le loup rampait sur les sièges dans sa direction. Dès qu'il pointa le museau hors de la voiture, elle le frappa avec sa barre, mais ne toucha que son oreille. Avant qu'elle ait eu le temps de frapper à nouveau, le loup sauta de la voiture et fit face à la femme, grondant, les oreilles couchées, le pelage collé par la pluie qui tombait toujours. Elle voyait dans ses yeux qu'il réfléchissait à la meilleure façon de porter son attaque. Il était décidé à la tuer.
"-Essaie toujours, sac à puces", marmonna-t-elle entre ses dents.
Et elle courut sur lui, brandissant haut sa barre de fer. Le loup sauta, visant la gorge, mais elle esquiva et abattit avec force la barre sur le museau avide, déséquilibrant l'animal qui tomba sur le flanc. Dans un mouvement fluide, il se redressa, mais elle le frappa encore à la tête une, deux, trois, quatre fois.
Le loup ne bougeait plus. Du sang coulait de sa gueule, de sa truffe et de ses oreilles. Ses yeux ouverts se remplirent de pluie mais il ne cilla pas pour la chasser. Hors d'haleine, Alifair essuya ses propres yeux d'un revers de main qui s'en trouva barbouillé de noir.
"-Mascara waterproof, tu parles...
-Par la barbe de Merlin !"
Alifair fit volte-face. Deux personnes étaient apparues de l'autre côté du tronc qui barrait la route. Les phares de la voiture éclairèrent leurs capes trempées tandis qu'ils enjambaient l'arbre pour la rejoindre. Dans leur main droite, ils brandissaient une tige de bois.
"-Qu'est-ce qui s'est passé ? Où est Peter ? demanda l'homme en cape brune, affolé.
-Oh, mon Dieu !" s'écria la femme en cape violette en pointant le doigt vers le sol aux pieds d'Alifair.
Celle-ci baissa les yeux, et ce qu'elle vit alors lui causa un tel choc qu'elle faillit en lâcher sa barre de fer : le loup avait disparu. À sa place, nu et recroquevillé, le crâne fracassé, il y avait un homme. Sa crinière en bataille tombait sur ses yeux vitreux grands ouverts, et ses doigts aux ongles longs étaient maculés de terre et de sang.
"-Nom de Dieu de putain de merde ! jura Alifair, sidérée.
-Est-ce qu'il est mort ? demanda la femme, une petite blonde délicate qui ne devait pas avoir plus de vingt ans.
-Je serais tentée de dire oui, mais là je ne suis plus sûre de rien", marmonna Alifair en jetant un regard sceptique à sa barre de fer.
L'homme à la cape et aux cheveux bruns agita son morceau de bois en direction du corps et prononça quelques paroles étranges. Le cadavre n'eut aucune réaction.
"-Il est mort, décréta l'homme. On s'en serait douté puisqu'il a repris forme humaine, mais..."
Il s'interrompit pour regarder autour de lui.
"-Où est Peter ? répéta-t-il.
-Il y a un type dans le bois, par là-bas, indiqua Alifair avec un geste en direction des arbres. Plutôt très mal en point. Il ne doit pas aller beaucoup mieux que celui-ci.
-J'y vais, dit aussitôt la femme en s'élançant vers le bois, bâton levé.
-Sois prudente", lui cria l'homme.
Puis il reporta son attention sur Alifair. Dans la lumière des phares, celle-ci le vit soudain blêmir.
"-Mon Dieu ! s'écria-t-il. Il vous a mordue ?"
Alifair baissa les yeux sur son manteau taché de sang et ses mains rouges, qui devaient avoir laissé quelques traînées sur son visage.
"-C'est le sang du type... Peter... si c'est bien lui. Je n'ai rien.
-Vous en êtes sûre ? insista-t-il en s'approchant, l'air anxieux. Pas même une éraflure qu'il vous aurait faite avec un croc ? Une petite griffure ?"
Elle secoua la tête. Son regard allait de l'homme mort à celui qui se tenait devant elle, une tige de bois à la main. Les pièces du puzzle se mirent tout à coup en place et elle eut l'impression que le monde venait de basculer.
"-OK, je vois, dit-elle dans un souffle. Lui, c'était un loup-garou, c'est ça ? Et vous, vous êtes quoi ? Une espèce de magicien ?"
De stupéfaction, l'homme resta bouche bée : les gens comme cette femme n'étaient pas supposés comprendre si aisément ce genre de choses. Avant qu'il ait pu répondre, sa compagne fut de retour, bouleversée.
"-C'est lui, Jim, sanglota-t-elle. Il est... il est mort."
Jim devint encore plus pâle. La jeune femme dévisagea Alifair à son tour, ses yeux s'arrêtant sur la barre de fer.
"-C'est avec ça que vous avez..."
Alifair acquiesça de la tête.
"-Comment est-ce possible ?" couina la jeune la femme.
Avant qu'Alifair ait pu répondre, Jim s'anima.
"-Il ne faut pas qu'on traîne ici. On doit ramener le corps de Peter et... se débarrasser de ça, acheva-t-il avec un regard dégoûté vers le cadavre de l'homme-loup.
-Et elle ? fit la jeune femme en montrant Alifair.
-Quoi, moi ? demanda celle-ci.
-Il faut effacer toutes les traces, dit Jim.
-Je m'en occupe, proposa aussitôt la jeune femme. Si ça ne t'ennuie pas. Je... je préfère faire ça plutôt que...
-D'accord, soupira Jim. Je me charge du reste."
Il pointa sa baguette sur le corps qui s'éleva aussitôt dans les airs et se dirigea vers les arbres en le faisant voler devant lui.
"-Trop fort, commenta sobrement Alifair. Qu'est-ce que ça veut dire, effacer toutes les traces ?" demanda-t-elle, méfiante, en serrant la barre dans son poing.
La femme en violet parvint à sourire.
"-Ne vous inquiétez pas, vous n'aurez aucun ennui, assura-t-elle. Nous devons simplement être certains que vous ne parlerez de tout cela à personne.
-Parce qu'un magicien ne révèle jamais ses secrets ? plaisanta Alifair.
-Des sorciers, corrigea la femme à mi-voix. Nous sommes des sorciers. James Frankland et Nora Wilde. Notre ami s'appelait Peter McCready.
-Alifair Blake. Condoléances.
-Merci. Votre véhicule est-il toujours en état de marche ?"
Alifair jeta un coup d'œil à la voiture, paisible sous la pluie qui tombait à verse.
"-Toujours, si je trouve un moyen de dégager la route."
Nora sourit.
"-Ça peut s'arranger, dit-elle en pointant sa baguette sur l'arbre. Wingardium leviosa !" prononça-t-elle.
Dans un craquement de branches, l'arbre décolla du sol, se renversa et s'écrasa dans les bois.
"-Et voilà ! s'exclama la sorcière, satisfaite. Mais je dois tout de même savoir, reprit-elle avec sérieux, si vous habitez loin d'ici. Ce ne serait pas prudent de vous laisser piloter cet engin sur une longue distance...
-Je vis à Saint-Barnaby, c'est à peine à cinq kilomètres, l'interrompit Alifair. Et je suis parfaitement en état de conduire."
Nora sourit à nouveau.
"-Vous ne le serez peut-être plus après le sortilège d'amnésie. Certaines personnes en restent un peu confuses pendant quelque temps...
-Comment ça, sortilège d'amnésie ? Vous voulez m'effacer la mémoire ? s'indigna Alifair.
-C'est l'idée", confirma Nora.
Alifair renifla d'un air dubitatif.
"-J'ai fracassé le crâne d'un loup-garou qui avait tué un sorcier dont les amis ont fait léviter des arbres et des cadavres sous mes yeux, résuma-t-elle. Vous pensez vraiment que je vais pouvoir oublier ça ?
-Sans aucun doute, assura la sorcière blonde.
-Hors de question, déclara fermement Alifair en faisant un pas en arrière. De toute façon, ce n'est même pas nécessaire : si je parlais, personne ne me croirait. Je n'ai pas beaucoup de magiciens parmi mes relations.
-Je m'en doute, répondit Nora avec douceur en levant à nouveau sa baguette. Mais il y a des lois.
-Quelles lois ?
-Ce serait trop long à vous expliquer. Mais ne vous inquiétez pas : vous n'oublierez que ce qui concerne ce déplaisant épisode. Vous vous sentirez beaucoup mieux ainsi.
-Beaucoup mieux ? railla Alifair. En me réveillant couverte de sang sans savoir pourquoi ?"
En réponse, Nora agita sa baguette. Le sang disparut aussitôt des vêtements et des mains d'Alifair, ainsi que de la barre de fer. En prime, les feuilles mortes se décollèrent de son manteau.
"-Je vous sécherai juste avant que vous remontiez dans votre voiture, ajouta Nora. Ensuite, je vous jetterai le sortilège d'amnésie, et ce sera comme si rien ne s'était passé.
-Ça devrait d'ailleurs déjà être fait", lança une voix derrière elle.
Jim était de retour, précédé d'une longue forme recouverte d'une cape qu'il faisait voler à l'aide de sa baguette magique : de toute évidence, l'infortuné Peter. Arrivé à leur hauteur, Jim posa en douceur le corps par terre avant de lancer un regard courroucé à sa compagne.
"-Tu penses vraiment qu'on a le temps de discuter ?
-Voyons, Jim, soupira Nora, si quelqu'un nous avait suivi, il nous serait tombé dessus depuis longtemps, maintenant. De toute façon, il n'y avait personne à Bourg-la-Forêt, à part le loup.
-Qu'est-ce que vous en avez fait, d'ailleurs ?" intervint Alifair, autant par curiosité que pour gagner du temps.
Jim lui jeta un regard sombre.
"-Vous n'aimeriez pas le savoir, répondit-il, sinistre. Et maintenant..., poursuivit-il en levant sa baguette.
-J'ai dit non ! s'écria Alifair en reculant à nouveau.
-On ne vous demande pas votre avis, répliqua Jim, pointant sa baguette sur elle.
-C'est parfaitement injuste ! Est-ce que je n'en ai pas déjà assez bavé comme ça ? Je ne demandais rien à personne, moi, et voilà que vous voulez me trifouiller le cerveau avec votre petit bout de bois, tout ça parce que j'ai eu le malheur de vouloir porter secours à votre collègue au lieu de passer mon chemin ! C'est moi qui l'ai vengé, votre Peter, je vous rappelle. Elle est belle, la reconnaissance !"
Elle les foudroya tous les deux du regard. Nora avait baissé les yeux ; Jim, en revanche, ne détourna pas les siens, et Alifair put voir qu'il était déstabilisé par sa réaction. Elle décida de pousser plus loin son avantage.
"-Je comprends que vous préfériez que ça reste entre nous, reprit-elle d'une voix plus calme, acide. Vous faites les malins avec vos tours de magie, mais vous étiez où quand votre ami avait besoin de vous ?"
Les yeux de Jim s'arrondirent et ses joues virèrent au rouge brique.
"-Le loup lui a sauté dessus et, dans la panique, Peter a transplané ! se défendit-il vivement. Nous sommes aussitôt partis à sa recherche, mais il pouvait être n'importe où ! C'est un miracle que nous soyons venus ici, c'est un de nos vieux points de fuite, pas du tout celui qui était prévu !
-Lorsque nous partons en mission, expliqua Nora à voix basse, nous décidons à l'avance d'un endroit où nous replier en cas de problème, un endroit où nous nous transportons par magie. Nous en changeons régulièrement pour plus de sécurité.
-C'est ça, raconte-lui donc tout pendant que tu y es ! s'indigna Jim. Dévoile à cette Moldue les secrets de la résistance, c'est toujours mieux que d'en parler à un mage noir !
-Comment il m'a appelée, celui-là ? fit Alifair d'un ton menaçant.
-C'est peut-être une Moldue, il n'empêche qu'elle a tué un loup-garou, argua fermement Nora. Bon nombre de sorciers en auraient été incapables. Nous en aurions peut-être été incapables. Sans elle, il s'en serait tiré et nous n'aurions peut-être jamais retrouvé Peter.
-Je ne dis pas le contraire, répondit Jim plus calmement. Mais est-ce que c'est une raison pour enfreindre les lois de la sorcellerie ?"
Nora se mordit la lèvre.
"-Les lois de la sorcellerie ne sont plus guère respectées aujourd'hui, soupira-t-elle. Je sais qu'il est préférable que la communauté des Moldus en sache le moins possible sur notre monde, mais je pense que Miss Blake a gagné le droit de décider par elle-même."
Jim paraissait ne pas en croire ses oreilles. Il secoua la tête, ouvrit la bouche, mais aucun mot n'en sortit. Nora se tourna vers Alifair.
"-Si nous laissons vos souvenirs intacts, l'avertit-elle, il ne faudra jamais parler de cette nuit à quiconque. Pas seulement parce qu'on ne vous croirait pas : cela pourrait nous faire du tort, et peut-être vous mettre en danger. Certains sorciers n'apprécieraient pas du tout de savoir qu'une Moldue, une personne dépourvue de pouvoirs magiques, a été capable de faire ce que vous avez fait.
-Ils n'apprécieraient pas, c'est le moins qu'on puisse dire, ironisa Jim à mi-voix.
-Compris, acquiesça Alifair sans lui accorder un regard. Ça restera entre moi et moi-même.
-Ce n'était pas une aventure très agréable, hésita Nora. J'imagine qu'elle a bouleversé pas mal de vos certitudes... Et les souvenirs qu'elle vous laissera... Vous êtes vraiment certaine de vouloir vivre avec ? Vous ne pourrez plus changer d'avis une fois que nous nous serons séparés."
Alifair réfléchit. Se faire courser par un loup assoiffé de sang n'était effectivement pas une expérience des plus plaisantes, non plus que lui défoncer le crâne. Quant à s'apercevoir qu'en fait, il s'agissait d'un homme...
"-Je survivrai, répondit-elle finalement. Je ne dirais pas que j'ai connu pire, mais j'ai déjà encaissé pas mal."
Nora hocha la tête puis consulta Jim du regard. Celui-ci écarta les mains pour indiquer qu'il lui laissait la responsabilité de la décision.
"-Très bien, soupira la sorcière. Je vais quand même vous sécher avant que vous ne partiez. Inutile que vous attrapiez la mort."