Bonjour à vous, amis yeux qui suivez peut-être encore cette histoire. Je suis désolée pour cette attente. Désolée pour ma lenteur. Je sais combien elle peut être décourageante mais croyez bien que je fais comme je peux.

Voici donc un nouveau chapitre, sans doute le dernier octroyant quelque répit à notre Héros avant le commencement des hostilités. Une peu de douceur, un peu de légèreté, un peu de surprise, un peu d'angoisse et un petit clin d'œil que vous reconnaitrez sans doute. Bref, respirons un bon coup, parce qu'après, ça va chier des bulles ! (...pardon...)

Petite nouveauté dans la forme : je passe au cadratin. Oui parce que c'est plus simple que les guillemets. Et tout aussi juste. Alors pourquoi se priver ?

J'espère qu'il ne subsiste pas trop de fautes. Je me suis un peu dépêchée de relire pour poster plus vite, je l'avoue.

Je vous souhaite une bonne lecture.


Chapitre 8: Le Concile

Lorsqu'Albacide vit le Héros passer le pas de la porte de la demeure d'Impa sur les coups de dix heures, il comprit rapidement qu'un changement avait opéré depuis la nuit dernière où il l'avait trouvé tremblant et terrassé par le désespoir. Certes, Link n'avait dormi que quelques heures et ses traits étaient encore tirés mais ses yeux brillaient d'un nouvel éclat et sa démarche était nettement plus assurée. Il avait pris le temps de décrasser tout son être de ses sueurs froides, comme il avait lavé et noué soigneusement ses cheveux blonds à l'arrière du crâne. Albacide nota avec amusement que l'hylien ne s'était pas fait prier pour piocher allègrement dans le petit bout de garde-robe qu'il avait mis à sa disposition. Il fallait préciser que le capitaine ne manquant pas de moyens, les tenues qu'il arborait dans la vie civile étaient souvent raffinées. Ce qui n'était pas pour déplaire à Link qui, de son côté, avait toujours accordé une certaine importance à l'élégance. Peut-être était-ce pour adoucir le malaise de ses origines modestes qu'il avait toujours mal assumé à la Cour ou simplement par goût du maintien des apparences. Quelle qu'en fut la raison, Link négligeait rarement son allure. Pour l'occasion, il avait pris soin de revêtir une veste pourpre à revers croisés qui, bien qu'un peu grande pour lui, lui conférait une aura plus éclatante. Son élégance naturelle ferait le reste. A l'évidence, le partage de son secret semblait lui avoir ôté des épaules un pesant fardeau. Ce constat donna au capitaine plus d'entrain que le liquide rougeâtre à base de gelée de chuchu qu'il sirotait à petites gorgées pour conjurer le contrecoup de la nuit qui, pour lui, fut totalement blanche.

En voyant le liquide gluant dans la chope du capitaine, Link fronça le nez en guise de grimace :

— Je n'ai jamais pu m'habituer à cette horreur…

— C'est proprement infect, surtout dès six heures du matin, confirma l'officier avec un regard dépité sur son bock. Mais il faut admettre que c'est efficace.

Link se hissa sur le bord du plan de travail où était appuyé Albacide, à côté de lui, à l'abri de son regard. L'hylien évitait la confrontation directe, pensa le capitaine. Il devait avoir envie de revenir sur la nuit passée.

— Je suis retourné voir la cabane avant de venir ici, commença Link en fixant le mur, droit devant lui. Il ne reste rien…

— Presque rien, rectifia Albacide en tendant à son ami un objet allongé et enveloppé dans un épais chiffon. Je l'ai retrouvée au milieu des cendres encore chaudes, tôt ce matin.

Le Héros déroula le tissu et reconnut sa dague, toujours en bon état malgré le fer un peu noirci par endroits. La lame semblait ne pas avoir été déformée par la chaleur.

— La cabane a été complétement dévorée par les flammes mais heureusement, le feu s'est très vite tari, reprit Albacide. Il n'y a pas eu plus dégâts.

— Je te remercie d'avoir géré cela pour moi. Je n'aurais…

— Je t'en prie, ne te sens pas obligé de te justifier. Tu ne m'es pas redevable. De plus, tu n'aurais pas hésité une seconde si j'avais été à ta place. Il n'y a donc aucun exploit à saluer, ici.

Link hocha la tête avec pudeur et sans un mot.

— Il nous faudrait tout de même discuter des nuits prochaines, à commencer par le fait que tu ne doives plus dormir seul.

L'hylien posa cette fois des yeux dépités sur le capitaine.

— Ne me regarde pas comme ça, je n'y suis pour rien si le croquemitaine te court après !

— Ne t'imagine pas que j'irai me réfugier sous tes draps tous les soirs ! protesta Link, faussement outré.

— Ose me dire que je n'ai pas été de la plus grande prévenance avec toi, la nuit dernière. Je t'ai même allumé les chandelles ! Sans parler de mes vêtements que tu t'appropries sans vergogne.

— Ils me vont mieux qu'à toi, nargua le Héros en ajustant les pans de la veste rouge.

— Tu n'es qu'un ingrat ! Et puisque tu refuses ma générosité, je te déplierai une paillasse qui gratte juste au pied de mon lit. Voilà qui te rappellera de bons souvenirs de canidé. Mais je te préviens : interdiction de japper durant la nuit !

— Je serai sage si tu m'épargnes les puces, promit Link en riant avant de redescendre de son perchoir.

— Au fait, ton ami l'historien est là depuis deux heures.

— Jehd ?

— C'est cela ! Il attend dehors.

oOo

Sortant de la maison, Link aperçut le bibliothécaire appuyé contre un muret, l'air songeur. Un sourire franc étira les lèvres du jeune homme à mesure qu'il s'approchait de son hôte. Jehd était un ancien compagnon passionné de livres et d'Histoire qui faisait déjà partie de la Résistance à l'époque de la guerre du Crépuscule. Ce grand hylien lunetteux de trente-deux ans avait été d'une grande aide à Link par le passé, tant pour l'aiguiller dans sa sombre aventure que pour le guider dans les méandres des usages de la Cour, après la défaite de Ganondorf. Le Héros aimait bien cet homme discret et soucieux de ses hôtes. Il se rappelait de la présence bienveillante du bibliothécaire à ses côtés durant ses débuts au château et se sentait toujours reconnaissant de ses attentions à son égard. Son érudition lui valait d'ailleurs d'y travailler toujours, niché dans les immenses murailles de livres que comptait la grande Bibliothèque Royale. Il constituait par conséquent un allié de taille, du fait de ses contacts réguliers avec la Reine. C'était d'ailleurs une chance de le trouver en ce jour parmi les rebelles pour le concile. Peu enclin aux affrontements et confiné dans une posture délicate, Jehd prenait rarement part aux réunions des rebelles et de ce fait, n'avait que très peu de contact avec Link depuis un an.

Arrivé à hauteur de son compagnon pensif, le jeune hylien lui tendit la paume pour un salut et rencontra des yeux verts et surpris, comme tirés d'un rêve intense.

— Jehd, quel plaisir de te voir ici !

Ce dernier empoigna la main de son ami, l'air aussi confus que réjoui :

— Link ! Je suis désolé, j'étais dans mes pensées, répondit le bibliothécaire. Le plaisir est partagé, crois-moi. Cela fait si longtemps, à présent…

Le plus jeune attira l'érudit dans une étreinte chaleureuse que ce dernier lui rendit avec une certaine pudeur.

— Je te remercie d'être venu, gratifia Link en plantant ses yeux clairs dans ceux, un peu troublés de Jehd. Je sais combien il est dangereux pour toi de faire ce voyage.

— Je t'en prie, c'est bien naturel. Que vaudrait ce combat pour la liberté sans quelques risques ? répondit l'érudit dans un petit rire. Mais je suppose que je ne suis pas le plus éprouvé dans cette histoire. Tu sembles bien fatigué…

— Ne t'en fais pas pour moi. Les nuits sont parfois courtes mais je tiens le choc, assura le Héros pour ne pas avoir à approfondir le sujet. Comment vont Iria et Lili ?

Link fut plutôt surpris de voir passer comme une légère vague d'angoisse sur le visage de Jehd à l'évocation de sa femme et de sa petite fille de deux ans. Depuis leur mariage qui avait eu lieu près de cinq ans auparavant, Jehd et Iria avaient longuement espéré la venue de la petite Lili qui s'était faite beaucoup attendre. Link se souvenait encore avec amusement des soirées où Iria lui partageait son affection grandissante pour l'érudit tandis qu'elle venait régulièrement consulter des ouvrages de la grande Bibliothèque Royale pour ses nouvelles études. Il se souvenait également du choc qu'avait déclenché l'annonce de la venue de Lili alors qu'il prenait subitement conscience du chemin parcouru par son amie d'enfance. Il lui semblait si loin le temps où Iria et lui gambadaient tous deux dans les plaines de Toal, où elle le sermonnait chaque fois qu'il partait seul avec Epona. Ce temps où, animés chacun par l'affection et la curiosité, ils avaient unis leurs lèvres dans un tout premier baiser derrière la grange de Fahd. Un temps si doux, encore innocent. Une étincelle dans son cœur, aujourd'hui.

— Aussi bien que possible, reprit l'historien avec un sourire de façade. Lili grandit si vite, tu serais surpris si tu la voyais. Elle commence à se faire bien comprendre à présent.

— Ah mais voyez qui voilà ! Ne serait-ce pas notre Héros ? lança une voix forte et chaleureuse qui trancha sans ménagement la conversation des deux hommes.

Link reconnut immédiatement Bohdan, l'imposant chef de Toal qui s'avançait vivement vers lui pour une solide étreinte de salut. Jehd recula prudemment devant l'assaut, craignant un instant pour l'intégrité physique du Héros si frêle qui se faisait joyeusement balloté dans les gros bras du chef de son village.

— Ah ! Je suis heureux de te retrouver sauf et résolu, fils !

Link lui rendit l'enthousiasme par un sourire un peu comprimé par l'embrassade virile.

— Le plaisir est pour moi, Bohdan…

L'émotion fut à son comble lorsque que le jeune hylien vit approcher Moï, son père adoptif, qui affichait un grand sourire. Tous deux ne s'étaient pas revus depuis de nombreux mois et se réjouissaient de chaque retrouvailles tant elles semblaient incertaines par les temps qui couraient. Cette fois, l'étreinte plus longue et plus vibrante fit briller les yeux des deux hommes. Ils furent aussitôt rejoints par Colin, heureux de retrouver son père, qui se mêla affectueusement aux embrassades familiales.

Albacide observa la scène en retrait. Il n'avait pas souvent l'occasion de voir Link se répandre autant en affection, le visage mangé par un sourire radieux. Il en oublierait presque le contexte de cavale qui les tenaillait tous. Mais le capitaine eut bientôt l'occasion d'assister à une autre scène de retrouvailles familiales nettement plus curieuse quand il vit un petit bonhomme, tout rondelet et richement vêtu, se faire descendre de son cheval par ce qui semblait être un laquais.

— Que viens-tu faire ici, bougre d'âne ? persiffla Fénir, le pas colérique.

— J'ai été convié, figure-toi, répondit tranquillement le petit homme qui répondait au nom de Balder.

— Peux-tu bien m'expliquer ce qu'un rapiat comme toi nous apporterait ?

— Tu le sauras bien assez tôt.

Du haut de ses quinze ans, le jeune Balder jouissait d'un véritable empire financier qu'il devait à son esprit redoutable et son amour pour l'argent. Il était notamment le propriétaire d'une des boutiques de luxe les plus réputées de la Citadelle, de deux armureries et d'un célèbre bazar de bizarreries. Une ascension aussi incroyable que précoce qui faisait toute la fierté de la modeste famille toalienne dont il était issu. Hélas pour le pauvre Fénir qui n'avait jamais eu le sens des affaires, Balder était également son frère.

La dernière recrue, Ash, membre de la Résistance depuis la guerre du Crépuscule et guerrière redoutable au caractère plutôt lunatique, arriva sur les coups de midi. L'assemblée se trouvant au complet, le Concile allait pouvoir démarrer.

oOo

Les résistants avaient pris place autour de la grande table, dans le salon de la vieille Impa qui leur servit le thé avec enthousiasme. Le père Reynald, qui avait discrètement délaissé ses fonctions pour assister à la réunion, se raidit sur sa chaise lorsqu'il vit la plantureuse Telma s'assoir à ses côtés en lui glissant un petit clin d'œil. Bohdan quant à lui, sursauta soudainement lorsqu'un chat curieux lui bondit sur les genoux avant d'être chassé un peu sèchement.

— N'importunez pas mes matous, prévint Impa qui gardait l'œil. Ils sont très propres, vous savez.

— On le sait Mamie, on le sait, répondit Telma d'un air las.

Link observait l'assemblée avec un discret sourire au bout des lèvres. C'était tout de même une bien curieuse réunion de hors-la-loi, agrémentée de petits biscuits et de miaulements de chats. Il regardait les convives s'emparer plus ou moins adroitement d'une fragile tasse de thé, certains esquivant de justesse la trajectoire audacieuse d'un matou qui défiait les réticences. Ce constat quelque peu décalé apaisa la nervosité du Héros qui répugnait toujours à prendre le premier tour de parole :

— Eh bien, si tout le monde est à son aise, je propose d'ouvrir la discussion.

— On est obligés de se coltiner les chats ? chuchota Bohdan en se penchant vers l'hylien pour éviter les remontrances de la vieille.

— Je crains malheureusement que ce ne soit pas négociable…

— Ils étaient là avant vous, mes gaillards, rétorqua Impa dont la voix retentissait depuis la cuisine.

— Comment diable a-t-elle entendu ce que je disais ? demanda le chef de Toal avec des yeux effarés.

— Ne t'y trompe pas, dame Impa a toujours eu les oreilles bien aiguisées lorsqu'il s'agit de ses chats, précisa Fénir. Alors reste tranquille avec eux ou elle pourrait bien devenir agressive.

— Vraiment ?

— Elle a tout de même égorgé toute une garnison de soldats pendant leur sommeil, dans sa jeunesse, renchérit Colin sous le regard approbatif de Fénir et le soupir las de Ash.

— Par les trois Saintes ! s'exclama Bohdan, choqué.

— Serait-ce possible de recentrer la discussion sur la raison initiale de notre venue ici ? proposa Link au milieu de l'agitation qui commençait à naitre.

Les plus dissipés se ressaisirent immédiatement sur la seule écoute de la voix douce du Héros. Après un rapide constat sur l'enlisement de la Résistance que personne ne contesta, Link exposa son intention de passer à la vitesse supérieure, provoquant un frisson dans l'assemblée.

— Délivrer la Reine ? interrogea Ash avec étonnement.

— Oui.

— Il serait peut-être temps, approuva le père Reynald de son air sage. Elle demeure la véritable souveraine de ce Royaume et la porteuse d'un fragment de Triforce. Elle représente l'autorité des Trois Saintes. La compter dans nos rangs suffirait à faire basculer l'imposteur qui dirige à sa place.

— Mais c'est du suicide ! décréta Bohdan avant d'éjecter un nouveau matou qui passait devant lui. Nous ne sommes pas si nombreux et surtout, nous n'avons ni l'entrainement ni la force de frappe de l'armée.

— Mais nous avons plusieurs alliés glissés à l'intérieur des murs de la Citadelle, intervint Albacide. Comme Jehd qui a bien eu le temps de repérer les rondes des gardes royaux, ainsi que moi-même qui m'arrangerai pour que mes garnisons ne croisent pas votre route. Sans parler d'une source précieuse assise à nos côtés.

Les différents membres de l'assemblée suivirent le regard du capitaine qui fixait intensément le jeune Balder, toujours stoïquement droit sur sa chaise et l'air aussi flegmatique que le chat noir campé sur ses genoux.

— Lui ? railla Fénir avec un sourire aussi moqueur que surpris. Ah pour sûr ! Ses poches sont gavées des rubis qu'il extorque aux naïfs, mais ne vous attendez pas à ce qu'il vous les partage. Mon cher frangin est plus pingre qu'un curé !

Balder accabla son frère d'un regard chargé de mépris avant de dérouler sans un mot une grande carte de la Citadelle dévoilant tout un réseau de voies dissimulées dans les murs de la cité fortifiée. Les yeux de l'assemblée s'arrondirent quand ils observèrent une multitude de petits pas sombres se déplacer tous seuls sur le parchemin, au fil des rues dessinées.

— Serait-ce le trésor auquel je pense ? demanda Jehd, les yeux brillants.

— Certainement, répondit le chef rebelle. Il s'agit de la carte des Maraudeurs. Un trésor légendaire que l'on attribue aux sorciers sheikah. Elle permet notamment de connaitre les vieux passages dissimulés de la Citadelle qui communiquent d'un quartier à un autre, et surtout, de détecter les présences.

— C'est fantastique ! s'extasia Moï qui avait toujours été fasciné par la culture sheikah.

— Où as-tu volé ce trésor ? demanda Fénir, outré.

— Occupe-toi donc de curer ton nez et laisse les honnêtes gens travailler, rétorqua Balder avec un calme insolent.

— Arrêtez vos chicanes tous les deux, trancha Link. D'où qu'elle provienne, cette carte nous sera d'une aide inestimable pour nos actions à venir.

Fénir se renfrogna comme un enfant tandis que Balder, satisfait, esquissa un imperceptible sourire.

— Alors ? demanda le Héros après quelques secondes de murmures excités dans l'assemblée. Me suivrez-vous ?

oOo

Après plus de deux heures de discussions, de contradictions, d'organisation et de miaulements de chats, le petit concile prit officiellement fin sur une note des plus ravigotantes : dans quatre jours, un ambitieux détachement composé de Link, Fénir, Colin, Albacide, Jehd, Ash, Moï, Bohdan et quelques autres rebelles, partira en direction de la Citadelle pour libérer la Reine de sa prison dorée. Cette décision collective, bien que contestée au départ, avait fini par redonner de l'entrain aux rebelles. A présent, il était temps de faire une pause et de relâcher les esprits.

Link et Albacide sortirent ensemble de la maison d'Impa comme on émerge d'une caverne sombre et douillette. La morsure du froid d'automne les saisit au corps tandis qu'ils discutaient des derniers détails stratégiques de l'expédition. Mais à peine avaient-ils franchi l'arrière de la maison qu'une ombre massive fondit sur eux et planta dans le mur de bois une lame acérée qui manqua de peu le cou du capitaine. Link réagit le premier et dégaina la dague que son ami lui avait rendue quelques heures plus tôt. Il frappa en direction du flanc de l'individu qui eut le temps de parer brutalement. L'hylien riposta avec un violent coup de pied au ventre qui projeta l'adversaire au sol. Albacide défourailla à son tour et, le corps chauffé par la surprise, abattit sa lame sur l'individu à terre en poussant un cri de rage. Ce dernier évita de justesse le coup mortel se redressa rapidement. La silhouette était trapue et solide, taillée pour les armes lourdes malgré la courte épée qu'elle serrait dans sa main. Le visage était dissimulé sous une large écharpe sombre et des cheveux bruns et gras s'échappaient du tissu. L'individu relança aussitôt l'offensive en direction du Héros qui était à sa portée. Ses coups étaient durs et précis. Ils pourraient aisément tuer un homme s'ils étaient bien portés. Cependant, Link et Albacide avaient l'avantage du nombre et ne tardèrent pas à dominer le combat. L'hylien finit par désarmer l'assaillant avant de le plaquer contre le mur, la dague sous la gorge et le souffle chaud sur son visage :

— Qui es-tu ?

Mais l'individu resta muet, les yeux brûlants braqués sur le Héros qui le menaçait. Albacide pointa son épée en direction de l'agresseur peu coopératif et trancha le tissu qui lui masquait le visage. Les deux rebelles furent alors surpris de voir se découvrir une figure abrupte aux traits féminins. Une femme. Une guerrière au corps massif, aux bras solides et au regard franc. Des yeux sombres et nullement intimidés par la lame du capitaine qui glissait sur son cou.

— Eh bien ! Le beau sexe se déprave de plus en plus, à ce qu'il semble, siffla Albacide en s'approchant de la guerrière qu'il tenait en joue.

Pour toute réponse, celle-ci releva brutalement son genou quand le capitaine fut à hauteur et le frappa directement à l'entrejambe. Albacide se replia dans un cri déformé par la douleur fulgurante qui lui remontait lentement jusqu'au cœur. Etourdi, il mit un genou à terre tandis que Link resserra brusquement sa prise sur la guerrière au petit sourire naissant. Moï et Fénir accoururent jusqu'à eux après avoir entendu la plainte déchirante, trouvant le capitaine agenouillé au sol et le Héros aux prises avec une inconnue. Ils n'eurent pas le temps de poser des questions qu'Albacide se redressa malgré la douleur, les yeux embués et emplis de rage. Il fondit sur la captive et lui pressa fort le cou avec son épée qui mordait déjà la chair blanche.

— Cide ! Arrête ça ! intima Link en tâchant de repousser son ami. Je veux savoir qui elle est !

— Quelle importance ? cracha le capitaine, à présent retenu par les bras puissants de Moï et de Fénir. Elle n'est rien sinon une mercenaire de plus cherchant à trancher la tête du Héros pour toucher la récompense !

— Non, répondit la guerrière d'une voix rauque, le visage impassible malgré la menace des lames et la fureur du capitaine.

Les quatre rebelles se figèrent à l'écoute de sa réponse.

— Ce n'était pas lui ma cible, reprit-elle en plongeant des yeux pénétrants dans ceux d'Albacide qui, stupéfait, sentait tous les regards se tourner vers lui.

oOo

O


Jehd marchait nerveusement dans les couloirs sombres du château tandis que le froid glacial de la nuit pétillait encore sur ses épaules transies. Il avait voyagé des heures dans le frimas de la Grande Plaine pour revenir discrètement jusqu'à la Citadelle. A présent qu'il était arrivé sans encombre à bon port, il ne parvenait pas à soulager l'appréhension qui avait enflé dans son ventre depuis le début du voyage. Car il lui restait encore une épreuve bien plus difficile que les dangers de son périple à affronter cette nuit-là. Une confrontation qu'il ressassait sans répit depuis plusieurs jours. Plus encore depuis les retrouvailles avec Link qu'il n'avait pas revu depuis de nombreux mois, depuis son étreinte chaleureuse et son sourire sincère, depuis que le Héros avait demandé des nouvelles de sa petite famille. Et son cœur se comprima d'angoisse et de tristesse quand les visages d'Iria et de Lili apparurent derrière ses yeux, bien logées dans son crâne, indétrônables. Il ne pouvait plus faire marche arrière. Il n'avait pas le choix. Il devait le faire pour elles.

La lumière des torches projetaient des ombres lugubres sur les murs de pierres et le bruit de ses pas percutaient le silence des couloirs endormis. C'était toujours étrange de s'apercevoir à quel point un lieu familier, qui se voulait d'ordinaire si magnifique, pouvait devenir sinistre selon la lourdeur du cœur. Les yeux de Jehd n'accrochaient plus la moindre parcelle de réconfort entre les murs du château.

— Enfin vous voilà, lança une voix douce dans son dos. Jehd sursauta violemment et tourna des yeux surpris sur l'interlocuteur derrière lui.

— Je suis désolé, je ne voulais pas vous effrayer, reprit Zarys dans l'embrasure d'une porte, un chandelier à la main. J'attendais votre retour avec impatience.

Le cœur battant, Jehd suivit le nouveau régent jusque dans le boudoir du grand salon. La petite pièce éclairée de chandelles et habituellement réservées aux causeries féminines offrait une parfaite intimité pour les conversations en sourdine.

— Dites-moi, continua Zarys après avoir invité Jehd à s'assoir autour d'une petite table, votre périple s'est-il bien passé ?

— Très bien, répondit l'historien en évitant le regard du régent avant de replonger dans un silence anxieux.

— Jehd, j'aimerais vous épargner le tourment d'une lutte inutile et passer directement aux confidences. Qu'en dites-vous ?

L'historien ne répondit pas, les mains serrées devant lui. Il sentait son être trembler de l'intérieur comme s'il était juché au bord d'un gouffre dans lequel il s'apprêtait à plonger.

— Regardez-moi, reprit Zarys en posant une main rassurante sur le bras de Jehd. Je sais que ce que je vous demande est difficile mais s'il est possible d'alléger le poids de votre culpabilité, dites-vous que vous n'avez tout simplement pas le choix. Car ni vous ni moi n'aimerions qu'il arrive malheur à votre charmante femme et votre adorable fille.

Le bibliothécaire releva des yeux lourds de colère et d'effroi mais très vite, il se sentit comme saisi par le regard hypnotique du régent. Une douce chaleur se diffusa dans les membres encore frissonnants de Jehd à mesure que l'homme lui parlait.

« Sachez que je n'éprouve aucun plaisir à vous menacer et je ne demande qu'à vous rendre votre liberté et celle de votre famille. Je n'ai besoin pour cela que de votre coopération. Aussi douloureuse soit votre décision, dites-vous bien que vous n'aviez pas le choix. Ce ne sera pas de votre faute, Jehd. Vous ne pouviez abandonner votre famille à la cause de la Résistance. »

L'historien ressentit comme une douce apathie étouffer lentement sa terreur et briser sa défense. Il avait beau savoir le pouvoir de persuasion de Zarys, il ne parvenait pas à y résister. Sans doute devait-il avouer qu'une partie de lui désirait abandonner la lutte pour ne plus se sentir constamment tiraillée entre la peur et la culpabilité. Il fallait admettre que la douceur de Zarys, malgré ses manigances, offrait un répit presque salvateur. Jehd sentait encore la chaleur apaisante irradier de la main posée sur son poignet, comme une étreinte bienveillante. Mais l'autre partie de son âme désespérait à l'idée de sa capitulation, de sa lâcheté et surtout, de la sentence macabre qu'il allait prononcer contre son grés. S'il parlait ce soir, il condamnait la Résistance. Surtout, il condamnait son ami.

« Link, pardonne-moi… »

Et Jehd se mit à sangloter doucement, une main sur son visage. L'étreinte de Zarys se resserra doucement sur son bras comme un encouragement à franchir le pas.

— Je vous écoute, invita l'homme aux yeux rouges.