Star Trek, Les vagues du temps

Zone de conflit Klingon. Top secret. Planète Nech'kos.

Ils avaient été accueillis avec une politesse froide propre aux Klingons, mais ils sentaient bien que les soldats les observaient avec une sorte de curiosité mêlée de respect.

Aucun humain n'était venu ici. Jamais.

Le groupe de pilotes de Sheppard avait accompli un exploit, et ils n'en étaient pas peu fiers.

On les avait gentiment, mais fermement, guidé vers un immense hangar accueillant les chasseurs de combat. Pas le temps de flâner, ni même de découvrir les paysages désertiques, volcaniques de la planète, il fallait se préparer… Même après un voyage chaotique dans une frégate de combat klingonne qui n'avait rien du vaisseau de plaisance (il fallait supporter les repas animés et la nourriture si fraîche qu'elle était encore vivante…), ils n'auraient pas le loisir de passer une heure sur une plage les doigts de pied en éventail… de toute façon, sur cette planète, il n'y avait pas de plage.

Le guide était charmant. Non, en fait, il était Klingon… Il grognait, ricanait, et ne parlait que par phrases très courtes.

_Ça, Tar'choss II, lâcha-t-il en présentant un chasseur de combat, au design franchement fatigué.

Dans le hangar, des centaines d'appareils recevaient l'attention soutenue de mécaniciens et pilotes, tandis que trois d'entre eux semblaient avoir été abandonnés dans un coin.

_Ils nous refilent leurs vieux engins ou quoi ? demanda Johnson.

_On va quand même pas voler avec ça…, se plaignit New-York qui notait les nombreux impacts de laser sur la carlingue de l'engin.

_Pas vieux ! grogna le Klingon affable. Déjà servi. Bon chasseur…

Johnson fila un coup de coude à New-York.

_La ferme, sinon ils vont aussi nous refiler les piaules les plus nulles… Je ne veux pas dormir sur un paillasson…

La présentation, succincte, se termina par un listing des spécificités du chasseur, égrainé mécaniquement par le très loquace guide. Armement, canons phaseurs, missiles Kirtach' et Aaroch, système de détection quantique, interface tactique et IA adaptative, processeur quadruple cœurs, système de survie TR3, amortisseur inertiel, etc.

New-York s'autorisa la petite fantaisie d'un sifflement admiratif qui fut accueilli par un regard noir du Klingon.

Après cette délicieuse visite du musée de l'air de Nech'kos, on les mena en salle de briefing des pilotes (enfin, Sheppard avait supposé que tel était la fonction principale de la salle, qui, vu les nombreux cadavres de bouteilles d'alcool, et les armes démontées, aurait pu passer pour un dépotoir…). Là, l'aimable guide se fendit de trois mots, grommelés à la hâte, que personne ne comprit, avant de s'éclipser (plutôt de s'enfuir à toutes jambes) discrètement (non ! Un Klingon, discret ?).

Un sergent, tout aussi charmant que le guide, prit le relais.

_Vous intégrerez l'escadrille 28, cracha-t-il. Zone de patrouille nord-est de la vallée de Ta'arch.

_Attendez une seconde ! l'interrompit New-York, risquant au passage de se faire arracher un bras pour cette outrecuidance.

Le sergent klingon fusilla le pilote humain du regard, mais hocha lentement la tête sans mot dire. C'est que la culture klingonne avait pris en maturité, on ne s'entre-tuait désormais plus que pour des motifs sérieusement valables (par exemple, si on ne vous livrait pas vos plats en moins de vingt minutes, ou si votre voisin était fortement agaçant avec sa musique de sauvage…).

_Tu es fou ou quoi ? murmura Johnson à l'attention de New-York. Faites pas attention à lui, lança-t-il à la cantonade, il a mal digéré le repas servi par les hôtesses !

Éclats de rire chez les humains, grognement chez le Klingon.

_Non ! s'entêta New-York. Y a un truc qui me turlupine.

Cette fois ce fut Sheppard qui le gratifia d'un regard noir.

_Puisqu'il faut rassurer ce pilote, gronda le sergent.

_Oui, euh… en fait, c'est simple, on ne sait pas pour qui ni pour quoi on va se battre…

Silence. Comme un vent glacial qui souffle soudain sur le microcosme de la salle de briefing.

Le Klingon toisa le jeune pilote, et l'on retint son souffle. Il faut dire qu'un couteau de poche, de la taille d'une machette, pendait à sa ceinture. Il pouvait, d'un seul geste, lancer la lame en direction de New-York et lui enfoncer dans la poitrine. Un humain de moins, ça ne se verrait pas… pas vraiment…

Il s'éclaircit la gorge.

Pas de lancé de couteau.

_La planète Nech'kos est riche en minerais de toutes sortes. L'exploitation n'est pas attribuée…, expliqua le sergent.

_D'accord, ajouta Johnson. Celui qui aura la main mise sur cette planète, aura un gros avantage politique.

_C'est ça.

_Et qui est en lice ?

_Aujourd'hui, deux maisons se disputent le territoire. La maison T'arhoch, et la maison G'nech't. Vous combattrez pour la maison G'nech't… Et demain, peut-être pour T'arhoch...

_Des Klingons qui affrontent d'autres Klingons… c'est normal ça ? ironisa Johnson.

_Vous vous entre-tuez pour rien…, glissa Sheppard.

_Vous voyez une meilleure façon de mourir ? grogna le sergent.

_Attendez ! intervint New-York, une nouvelle fois. Si je comprends bien, vous vous livrez un combat sans merci, pour un caillou qui appartient déjà à l'empire Klingon !… Alors la maison qui…

Sheppard coula un regard expressif vers son pilote, lui intimant l'ordre de se taire.

Le Klingon se gratta le poitrail, puis éclata d'un rire tonitruant.

_Ah ! Oui ! Il a bien dit ! On aime se battre ! (Il se frappa la poitrine du poing.) Honneur ! Vie !

Sheppard acquiesça silencieusement.

New-York se pencha pour murmurer un mot à l'oreille de Johnson.

_Ils sont fous ces Klingons…

Un soldat aux gestes secs et raides comme un piquet, entra en trombe dans la pièce. Il communiqua rapidement une information au sergent, avant de s'effacer tout aussi sèchement qu'il était entré.

Le sergent s'éclaircit la gorge (ce qui ne ressemblait pas du tout à feulement de chat…), puis il regarda les pilotes.

_Nouvelles informations, déclara-t-il solennellement. Fédération est finie… Nous avons maintenant, un empire…

Station orbitale 41.3. Chantier orbital 2. Terre.

Le bâtiment s'ébranla comme un vieux paquebot, trembla légèrement, puis avança doucement.

Il laissa les énormes bras mécanisés et la prison d'acier qui avait été son nid protecteur depuis sa naissance en orbite. Il défila ensuite le long des différents tronçons de la station, véritable réseau de modules différents, dont certains étaient en rotation permanente, avant de prendre de la vitesse.

Sur la passerelle, tous étaient concentrés.

Kirk observait, sur l'écran principal, la progression lente du vaisseau.

_Essayons de ne pas rayer la peinture, dit-il pour détendre l'atmosphère.

Il sentait bien que le pilote n'était pas habitué à manœuvrer un tel mastodonte. Et sa nervosité se voyait physiquement sur les muscles de sa mâchoire.

_Tout est optimal, signala Torokh, assis à droite de Kirk.

_Bien… (Kirk se leva et alla se poster aux côtés du pilote. Il posa une main amicale sur son épaule.) Comment vous appelez-vous ?

_Sato, répondit le pilote les dents serrées. Ikaru Sato.

Kirk tourna brusquement la tête vers le jeune homme asiatique, le gratifiant d'un signe de tête entendu.

_Détendez-vous… ça se pilote comme… (Kirk sourit.) C'est une belle blonde… Il faut être ferme et tendre…

_Détendu…, souffla Sato.

Kirk sentit le jeune pilote desserrer les dents, respirer plus lentement, et affermir sa prise sur les commandes.

Il retira doucement sa main de l'épaule, mais resta à côté de son pilote.

_Capitaine, appela Torokh depuis son siège. Il n'a pas de désignation…

Kirk ne bougea pas.

_Il va falloir lui donner un nom…, se contenta-t-il de dire.

Soudain la sirène stridente de la red alert retentit dans tout le vaisseau et fit sursauter les officiers sur la passerelle, sauf un.

_Détections ! Mouvements, deux bâtiments ! Sur tribord de la station ! lança l'officier navigation en manipulant des cartes stellaires holographique. Ils se positionnent pour une interception.

Kirk regagna aussitôt son fauteuil.

_Armement ? demanda-t-il.

_Paré, capitaine, répliqua Reigard du tac au tac.

_Alors c'est maintenant qu'on fait la différence…, gronda Kirk. Monsieur Sato… détendu…

_Une belle blonde…, fit-il.

_Un pur sang…, ajouta Kirk. Prenez de la vitesse, manœuvre d'évasion !

_Ils arment ! fit l'officier de communication. J'ai… j'ai un ultimatum !

_Ça dit quoi ? fit Kirk.

_Rendez le bâtiment, infraction grave, stoppez machines sinon on vous abat. En substance, monsieur…

_Je confirme, ils arment ! ajouta l'officier tactique.

_Réaction prévisible…, glissa la jeune Vulcaine.

_Tant pis pour les politesses. Monsieur Sato, vous nous placerez entre ces deux vauriens…

Le bâtiment prit de la vitesse et s'extirpa du chantier orbital. Il prit ensuite de l'altitude en se cabrant dangereusement vite, risquant le décrochage, puis il plongea vers les vaisseaux, fit une brusque embardée, et se retrouva entre les deux ennemis. Ceux-ci n'avait pas anticipé une manœuvre aussi brutale avec un bâtiment aussi gros, et ne réagirent pas… pas à temps.

_Feu ! Toutes les batteries, feu ! ordonna Kirk.

Reigard obtempéra et aligna les phaseurs, les visées accrochées aux deux cibles. Deux cent quarante deux batteries de phaseurs firent feu en même temps, lorsque le vaisseau fut parfaitement au centre de la formation ennemie. Cela ressemblait à une canonnade navale, sauf que le vaisseau de ligne au milieu avait cent fois plus de puissance de feu que ses adversaires.

Les vaisseaux cibles ne furent pas seulement endommagés, ils furent littéralement pulvérisés. Les phaseurs étaient bien trop mortels pour que quiconque en réchappe.

Il y eut un soupir de soulagement sur la passerelle.

_Monsieur Sato, excellent travail ! lança Kirk tout sourire. Et maintenant, où allons-nous ?

_Je propose que nous rejoignons Qo'noS, suggéra Torokh. Ça me semble être la meilleure option, dans l'immédiat.

_Très bien, accorda Kirk, non sans une pointe de réticence. Pilote, cap sur Qo'noS.

_À vos ordres, capitaine ! répondit Sato, avant de déclencher la distorsion, immédiatement relayée en salle des machines.

_Au moins, maintenant nous sommes clairement hors-la-loi, fit Kirk avant de se tourner vers la jeune Vulcaine. Ça vous a plu ?

Elle leva un sourcil, perplexe.

_Tout cela était pittoresque, capitaine. Mais je ne vois pas en quoi cela aurait dû susciter en moi des émotions… c'est illogique…

Kirk secoua la tête, médusé.

_Vous me rappeler tellement quelqu'un…

_Il n'a toujours pas de nom, glissa Torokh, détournant Kirk de sa contemplation de la Vulcaine. C'est tout de même le fleuron de la flotte fédérale…

_Oui, et nous l'avons volé… J'ai un nom pour lui… Je l'ai depuis un moment…

_Ah ?

_L'Enterprise, asséna Kirk, gonflant sa poitrine, fier comme un paon.

Howards, assis sur un siège dans le fond de la passerelle, tout près de l'officier com, leva les yeux aux ciel, et soupira.

Torokh approuva d'un signe de tête. Il s'y attendait…

_C'est tout à fait normal que je ravive de vieux souvenirs en vous, intervint la Vulcaine. (Kirk coula soudain un regard emprunt d'un mélange de surprise et de curiosité.) Il est logique que je vous rappelle votre meilleur ami et officier scientifique, Monsieur Spock, puisque je suis sa fille…

Centre de détention Haute sécurité. Cercle polaire Arctique. Terre.

L'homme portait une ample robe cérémonielle noire, avec un grand capuchon sur la tête. Cinq robots humanoïdes gris métallisé, l'accompagnaient, le suivant comme de féroces ombres.

Il avait des autorisations d'un niveau si élevé que les gardes cessaient de respirer lorsqu'il passait.

On le saluait avec déférence et inquiétude.

On le suivait du regard.

On le suivait sur les moniteurs de la prison.

On suspendit toutes les activités.

On s'inquiétait. Mais personne ne savait qui il était.

Des ordres avaient été envoyés par le haut commandement impérial.

Le changement de gouvernement n'avait pas vraiment bouleversé la vie des gardiens et des détenus. Le quotidien restait sensiblement le même. Toutefois, le poids de la hiérarchie apparaissait comme plus lourd. On ne côtoyait plus des soldats d'une gentille démocratie, mais des troupes impériales. Cela avait quelque chose à la fois d'effrayant, de fascinant et de prestigieux.

L'homme franchit les portiques de sécurité avec aisance et décontraction. Malgré le fait qu'il cache son visage sous le capuchon, il n'en faisait pas des tonnes. Tendait ses cristaux ID avec douceur, inclinait la tête avec respect. Ce qui renforçait plus encore sa prestance mystérieuse et terrifiante.

En revanche, les droïdes, avec leurs gestes parfois un peu trop saccadés, mécaniques, faisaient leur petit effet. Nul n'en avait vu des comme ça depuis des lustres… Mais l'angoisse le gagnait sur la curiosité, et l'on jetait des coups d'œil en coin vers ces êtres froids, espérant secrètement qu'ils ne soient pris d'une soudaine folie meurtrière. Si un seul entrait dans une rage démente, il pourrait aisément massacrer tous les occupants de la prison, sans s'abîmer les circuits. Et il y en avait cinq qui se baladaient, l'arme à la main.

Les ordres disaient, carte blanche, Ultra Secret.

Il avait été demandé de couper les enregistrement dans une cellule.

Une seule.

L'homme franchit les dernières sécurités, remercia les gardes d'un signe de tête, puis parcourut le long et triste couloir qui menait à la cellule en question.

On déverrouilla la porte. De toute façon, le prisonnier avait été préparé. Il était assis sur une chaise, entravé par des champs de confinement individuels… des répliques miniaturisées des champs stasique de certains moteurs de vaisseaux.

L'homme ouvrit la lourde porte blindée, et entra.

Denyss Tarikk était assis, une table devant lui, attendant de voir ce qui pouvait encore lui tomber dessus.

On l'avait menacé. On l'avait interrogé des centaines de fois. Alors aujourd'hui… cette visite d'un inconnu…

L'homme s'installa sur une chaise posée de l'autre côté de la petite table, en face de Tarikk.

Les robots étaient restés à l'extérieur, en faction. Immobiles comme des statues.

La porte se referma en faisant un bruit sourd.

L'homme ôta son capuchon.

C'était un humain. Il n'était pas laid.

_Putain, z'êtes qui, vous ?! cracha Tarikk, se voulant menaçant.

L'homme pencha la tête de côté, comme un chien qui ne comprend pas ce qu'on lui dit.

_Je suis l'empereur Curney…, dit-il sobrement. (Il fit mine de réfléchir une seconde.) Je devrais changer de nom, ça ne sonne pas très… impérial…

Tarikk était bouche bée. Que pouvait-il répondre ? Que pouvait-il dire à un empereur ? À celui qui dirigeait ce qui était autrefois la Fédération… L'homme le plus puissant sur Terre…

_Ah…, reprit Curney, tu ne me connais pas sous ce nom… Tu me connais mieux sous le nom de « prophète »… Je suis le « prophète »…

Tarikk faillit défaillir.

_Mmmaître…, bredouilla-t-il, ne sachant si l'univers venait de lui faire une énorme farce ou s'il était sur le point d'exploser en un nouveau big bang brûlant et bouillonnant.

_C'est ça, « Maître »…

_Que… que… qu'est-ce que vous voulez ? bredouilla à nouveau Tarikk.

Curney leva son index droit mais pas pour désigner quelque chose, puis se fendit d'un sourire triste, entre le sourire fatigué et paternaliste.

_Ça va faire un peu mal… Je suis navré, mais c'est inévitable…

Tarikk ressentit soudainement une vive douleur à l'estomac, puis un violent serrement dans la poitrine. Son souffle devint saccadé et rapide. La douleur devenait de plus en plus forte. Il avait comme l'impression que son cœur allait exploser, comme s'il était pris dans un étau qui serrait encore et encore, et encore, et encore… La douleur irradiait dans le bras et la mâchoire, un peu dans le dos aussi… elle fut rapidement insupportable.

Tarikk se ratatina sur lui-même tandis que Curney se servait de ses pouvoirs psychiques pour déclencher une crise cardiaque massive.

Après quelques secondes, le prisonnier, ancien terroriste patenté, se laissa tomber, et ne fut retenu que par le champ de rétention, ce qui lui fit prendre une position grotesque.

Il était mort.

L'empereur Curney se leva, se recapuchonna et quitta la cellule.

Ce ne serait qu'un accident… un cœur qui flanche… un simple accident… rien de plus.