Chapitre un : Mad World

Je toussai violemment dans ma main. Du sang. Noir et visqueux. Je l'essuyai rapidement contre la couverture en laine que Lily m'avait offerte l'année passée. Lèvres pincées, tentant de réprimer une grimace, je relevai les yeux sur Sirius. Il était debout près du canapé – où j'étais étalée – et me fixait avec ce regard, celui qu'il arborait lorsque quelque chose n'allait pas. Il me toucha bien plus que je ne le laissai paraître. Sirius était inquiet. Pour moi. Parce que j'étais en train de mourir et qu'il ne pouvait absolument rien y faire.

Il en était malade, je le savais. C'est comme si j'avais toujours su ce qu'il y avait dans sa tête. Sirius était quelqu'un de profondément loyal et courageux, il n'avait pas peur de mourir, mais bien d'autres choses l'effrayaient.

« J'ai de la morve de troll sur la tête ? » lui demandai-je avec un sourire rayonnant. Sirius baissa les yeux sur la tache que j'avais faite en m'essuyant la main. Je sus exactement à quoi il pensait, parce qu'au fond de moi, je pensais exactement la même chose que lui. « Ou peut-être que je sens le troll, dis-le-moi, je vais peut-être pouvoir participer à un concours de déguisement chez les moldus, ça fait fureur », continuai-je gaiment, sans lui donner gain de cause. Il était extatique, paralysé, comme s'il était au chevet d'un cadavre et qu'il trouvait stupide de lui parler.

Sirius n'étant pas du tout amusé par ma plaisanterie, je lui attrapai la main doucement. Le contact de sa peau contre la mienne me fit frissonner de plaisir. « C'est moi », lui souris-je avec cette lueur taquine qui scintillait dans mes yeux, « Mary ». Je pressai sa main tatouée dans la mienne, qui ressemblait à s'y méprendre à celle d'un détraqueur. Grisâtre, luisante et croûtée. Sirius lâcha un soupir qui bizarrement me réconforta et soudain, il me regarda droit dans les yeux. Il s'en souvenait, j'étais certaine qu'il s'en souvenait. Il ne pouvait pas avoir oublié Mary après tout ce qui nous était arrivé.

Il ne pouvait pas avoir oublié combien j'aimais rire.

« Je le sais », murmura-t-il en faisant mine de sourire pour me faire plaisir. Il paraissait incroyablement malheureux. J'avais mal au cœur. Je ne voulais pas le quitter, et j'étais certaine qu'il ne voudrait jamais me laisser partir.

C'était bête, franchement.

Après tout ce qu'il avait fait pour me ravir aux mains de Gatus, après toutes ces nuits blanches passées à veiller sur moi, à empêcher Mulciber d'envahir mes songes, voilà qu'il devait me laisser partir. Simplement me laisser partir. Je n'avais aucune idée d'où j'allais aller, mais peut-être que là-bas, je n'aurais plus les veines qui brûleraient sous ma peau. Peut-être que je pourrais enfin me reposer. C'était étrange de penser à la mort de cette façon. Je l'avais si souvent vue – par les corps inanimés et mutilés de mes amis – mais je n'y avais jamais vraiment réfléchi.

D'un effort pénible, je me hissai sur mes pieds et me levai dans l'espoir de me rapprocher de Sirius. J'avais envie de le serrer contre moi, de respirer son odeur entêtante, d'enlacer mes doigts dans ses cheveux, et par-dessus tout, j'avais besoin de sentir qu'il m'aimait, de sentir que son corps réagirait à ma proximité. Mais malgré toute ma volonté, je retombai mollement dans le canapé, Sirius se penchant sur moi d'un air affolé.

« Mary ? Mary, ça va ? »

Je repoussai sa main frôlant mon front d'un grognement agacé, et me redressai dans le tas de couvertures que Lily avait déposé sur moi cet après-midi.

« Je suis toujours la même Sirius, ne me traite pas comme si j'étais un gobelin fragile et malade. »

Sirius attendit un moment avant de répondre. Il ne s'était toujours pas assis à côté de moi sur le canapé. Il me fuyait depuis plusieurs semaines. Je n'étais pas aveugle et je commençais à croire qu'il me trompait avec une autre fille. J'aurais pu comprendre s'il m'en avait parlé. Après tout, qui voudrait rester avec un cadavre ambulant qui ne demandait qu'à mourir ? Lentement, j'ouvris le paquet d'une chocogrenouille que James m'avait ramené hier soir et mordis dedans avec ardeur.

« Mais tu es malade Mary. »

Je levai les yeux au ciel, avalant une grosse bouchée de chocolat d'un coup. Tout était en train de partir de travers.


J'étais terriblement nerveuse et excitée. Après avoir mangé une grenouille en chocolat vivante, visité des boutiques vendant des balais magiques, des ingrédients de potions, des livres sur la sorcellerie, et même des hiboux de toutes les couleurs, j'étais maintenant habillée d'une longue robe noire et d'un chapeau pointu. C'était si irréel, et pourtant, ma mère n'avait pas eu l'air si surprise lorsque le vieil homme à la longue barbe blanche et à la robe violette excentrique était venu toquer à notre porte d'entrée, et m'annoncer que j'étais attendue le 1er septembre à l'école de Sorcellerie Poudlard.

J'étais perdue au milieu de la foule qui se pressait gentiment devant ce géant qui brandissait une lampe à huile au-dessus de nos têtes. Cette lampe semblait si petite dans sa grosse main. Son visage dur, ses traits grossiers et sa barbe hirsute auraient fait peur à n'importe lequel de mes voisins. Je repérai dans son large dos des barques en bois sombre. Elles flottaient doucement sur le surface lisse et argentée du lac, trouée par-ci par-là de fines gouttelettes de pluie. Le vieil homme ne m'avait pas menti, c'était magnifique.

« Répartissez-vous dans les barques, allez, dépêchez-vous. »

Hâtivement, et bousculée par quelques autres enfants, je sautai à pieds joints dans la barque la plus éloignée, ma valise tombant lourdement à côté de mes pieds. J'espérais peut-être passer inaperçue, je n'avais déjà pas été très à l'aise dans le wagon du train, avec ces deux garçons et cette fille qui me dévisageaient comme si je puais la fiente de pigeon. Ils n'avaient pas arrêté de parler de Sang-de-Bourbe et de tous un tas de mots que je ne connaissais pas, en me jetant des regards profondément dégoûtés. J'avais beau me dire que tout ce qu'ils se racontaient ne me concernait pas, que je me faisais probablement des idées, cette impression dérangeante s'était renforcée au fil du trajet. L'un des garçons se faisait appeler Mulciber, et l'autre Avery.

Par malchance, et sans que je n'aie senti quoi que ce soit, un garçon aux cheveux noirs et bouclés s'était assis près de moi, dans cette barque qui était soudainement devenue trop exiguë pour nous deux. Je tournai furtivement la tête. Le garçon me fixait avec un petit sourire en coin. Comme c'était gênant. Je pouvais discerner les contours de la lune dans ses yeux gris pétillants.

Notre barque se mit à avancer seule sur le lac. Le garçon s'était mis à l'aise, ses avant-bras posés sur les rebords de la barque, continuant à me dévisager comme si j'étais une bête curieuse. Peut-être que j'en étais une. Peut-être que je n'avais rien à faire ici. C'était logique, je n'étais pas de ce monde après tout.

Soudain, alors que je stressais de plus en plus, une énorme flaque d'eau glacée m'éclaboussa le visage. Mes yeux doublèrent de volume. L'eau dégringolait de mon visage et mouillait ma robe de sorcière, et je sentais que mes cheveux blonds s'étaient collés à mon crâne - mon chapeau avait voltigé derrière nos valises. J'étais trempe de partout. Je pensais que c'était normal, que le lac devait être capricieux, mais ensuite, je vis une toute autre réalité. Personne n'était trempe comme moi. C'était le garçon qui m'avait aspergée d'eau. Et il rait tellement fort que plusieurs têtes s'étaient retournées sur nous. Je me sentis mal, et pourtant, ce soir-là, le seul son qui franchit mes lèvres rosées fut un énorme éclat de rire.

J'aimais tellement rire, de tout, de rien, de la vie. Le rire était chez moi une seconde peau, l'essence de mon bonheur, la clé de mon courage. Il me permettait de cacher mes peurs les plus enfouies.

Alors que je décollais doucement mes cheveux de mon visage, je sentis un tissu assez doux frôler ma joue. Le garçon avait tiré la manche de sa robe. Et il séchait ma figure avec. Mes joues prirent une teinte écarlate, et je dus me pincer les lèvres pour ne pas lui dire d'arrêter. J'avais la sensation de m'être faite un nouvel ami et je ne voulais pas tout gâcher. Brusquement, je me sentis mieux, beaucoup mieux. Lorsqu'il retira enfin sa main et sa manche de mon visage, il m'offrit un sourire ravageur. C'était très embarrassant.

« Sirius Black », dit-t-il avec une simplicité bienvenue.

Je murmurai mon nom tout bas, si bas que j'avais cru qu'il ne l'entendrait pas.

« Enchanté, Mary. »

Mon cœur se serra, tandis qu'il se rasseyait en face de moi, observant le Château qui se dessinait déjà au loin. Il m'avait parlé, souri et touché. J'étais si chamboulée de m'être faite un ami que je souriais bêtement, et même si l'avenir me paraissait toujours incertain, j'étais rassurée de savoir que tout le monde ici n'était pas comme cet Avery ou ce Mulciber.

Depuis notre première rencontre, Sirius n'avait jamais cessé de me faire rire à chaque fois qu'il me voyait triste ou stressée, parce qu'il avait deviné ce jour-là que le rire était un antidote infaillible à mes idées noires.


Distraitement, je passai un doigt sur les deux petits points noirs ancrés dans mon poignet. La morsure n'était plus boursouflée, heureusement. Je relevai la tête et observai la pièce avec minutie. James et Lily avait une maison somptueuse. Ces rideaux couleur prune étaient sûrement les plus beaux que je n'aie jamais vu et cette table basse en bois massif valait sûrement plus que tout mon compte en banque réuni. Malgré tout, j'avais envie de transplaner, de me retrouver partout ailleurs, au Chaudron Baveur s'il le fallait, mais pas dans cette pièce à subir ce silence de plomb. Sirius s'était renfrogné dans son coin et me fixait comme si j'avais entièrement tort dans toute cette histoire. Son regard dégoulinait de reproches.

Cinq semaines en arrière, je m'étais faite attaquer par un fichu serpent. Il m'avait prise par surprise alors que je guettais les allées et venues de mangemorts dans un manoir abandonné. Je n'avais rien pu faire pour l'empêcher de me mordre. Juste transplaner après qu'il m'ait relâché, dans un endroit qui me paraissait plus sûr, et hurler de douleur. Remus m'avait retrouvée inconsciente devant le repère de l'Ordre. J'y avais réchappé de peu, le serpent aurait pu me tuer sur le coup. Mais malgré le dévouement des médicomages de St-Mangouste, le soulagement avait été de courte durée et j'étais maintenant au bord de la mort. Aucune potion ne parvenait à éliminer le venin de mon sang. La toxine s'accrochait à mes globules rouges, semble-t-il, et les empêchait de se renouveler convenablement. J'étais foutue.

« Tu n'es pas obligé de rester si c'est pour me tuer du regard », lui reprochai-je avec un soupçon d'amertume.

« Ne fais pas ça. » Je relevai une nouvelle fois la tête, croisant ses prunelles emplies de colère. Sirius dut voir mon incompréhension car il secoua vivement la tête. « Ne fais pas comme si ce n'était rien. »

« Je ne suis pas encore morte non plus, alors ne fais pas comme si c'était le cas. »

Sirius se leva brusquement, et sans un mot, il claqua bruyamment la porte d'entrée. Il était parti. Et comme à son habitude, il ne m'avait même pas touchée ni embrassée. Je me sentais vilaine, comme si je n'étais plus attirante et que je ressemblais à la grande tante de James. C'était horrible. Je ne pus retenir mes larmes plus longtemps. Elles dégringolèrent de mon visage et s'écrasèrent misérablement sur ma couverture.

Sirius me manquait et j'étais incapable de le lui avouer. Parce que j'étais condamnée. Je pensais que s'il s'éloignait de moi, ma mort serait moins douloureuse pour lui. Peut-être me trompais-je, mais j'avais la sensation d'agir dans son bien. Et c'était finalement tout ce qui comptait pour moi, parce que je l'aimais, et je ne voulais qu'une chose, qu'il retrouve le sourire.


Hey ! Comme vous l'avez sûrement deviné, cette histoire est dédiée à un Mary/Sirius. Elle fera une trentaine de chapitres, tous d'une longueur différente. Petite précision, les passages en italique racontent les souvenirs de Mary. J'espère que ça vous a plu et je vous dis à bientôt ! :)

A/N : les personnes ne m'appartiennent pas, ils sont à la talentueuse JK Rowling.