Chapitre 2

Je bondis au bas du bus et courus le long des avenues noires de monde en cette rentrée de vacance. Si je ne me dépêchais pas, j'allais être en retard.

J'accélérai encore l'allure, dépassant les magasins et tentant d'éviter les passants qui s'amoncelaient sur mon passage. Ne pouvaient-ils pas comprendre que ce que je faisais était important et qu'il fallait donc qu'ils se poussent, sans quoi je risquais fort de manquer mon rendez-vous avec celui qui, il n'avait pas le choix, serait le coach de notre équipe de basket.

Je dérapai au-devant d'un escalier dont je sautai la moitié des marches, manquant de m'écraser lamentablement sur le sol. Je parvins néanmoins à me rattraper, poursuivant ma course jusqu'au-devant d'un parc, à l'entrée duquel je m'arrêtai.

Au pied du lampadaire, quelques mètres devant moi, se tenait un jeune homme qui devait bien mesurer dix centimètres de plus que moi. Il portait des cheveux aussi courts que sombres et dardait ses yeux bleus dans ma direction, alors que je tentais de reprendre mon souffle. Le garçon regarda sa montre, remettant en place sa chemise verte anis, qui dépassait sous son pull blanc.

Maud, tu es en retard, annonça-t-il platement.

Tu ne vas pas chipoter pour deux minutes, grognais-je en me redressant. Je te signale que j'avais cours moi ce matin, j'ai dû attendre le début des recrutements des clubs pour partir. Kasama, tu m'écoutes ?

Visiblement non, il n'écoutait pas. Pourquoi je disais ça ? Et bien tout simplement parce que mon interlocuteur me tournait le dos, s'éloignant comme si je n'existais pas.

J'eus un soupir avant de m'élancer à sa suite, revenant à sa hauteur. C'était toujours la même chose avec lui. Il oscillait entre une placide indifférence et un caractère sanguin, qui le poussait à s'énerver contre ceux qui l'exaspéraient, des amis à lui pour la plupart d'ailleurs.

Je marchai à ses côtés dans les rues, jusqu'à ce que nous arrivions au-devant d'une sorte de café, construit dans un style étrange et parsemé de noir et de gris. Pour tout dire, je ne trouvais pas ça très beau. Je suivis néanmoins le jeune homme à l'intérieur, sans un mot.

Yukio Kasamatsu était l'ancien capitaine de l'équipe masculine de Kaijô et avait, selon basketball magasine, était élu l'un des meilleurs meneurs de jeu du japon. Aujourd'hui dans les études supérieures, il aurait sans doute moins de temps à consacrer à son sport favori, du fait de ses nouvelles contraintes. Bien que cela ne l'empêche pas de jouer lorsqu'il en avait la possibilité, c'était d'ailleurs le cas aujourd'hui, car il n'avait eu à étudier que dans la matinée. Ce dernier point était d'ailleurs une chance, car dans le cas contraire, j'aurais certainement eu du mal à le rencontrer pour lui faire part de notre proposition.

Nous nous assîmes à la table qui se tenait le plus près de la fenêtre et attendîmes que la serveuse vienne nous voir pour passer commande : une glace pour moi et un café pour lui. Il me fit alors face appuyant son menton sur sa paume.

Alors ? questionna t'il en haussant un sourcil. Qu'est ce qui t'arrives cette fois ?

Un sourire étira mes lèvres en l'écoutant parler. Il fallait dire qu'on se connaissait bien à présent. En effet, nous nous étions rencontrés alors que nous étions encore au collège. Ce jour-là, je venais d'intégrer l'établissement, quittant pour la première fois l'école primaire et, perdue dans un environnement si grand, j'avais tout simplement été incapable de trouver le dojo.

C'est alors que j'avais croisé sa route, au détour d'un couloir. J'avais ainsi prit mon courage à deux mains, combattant ma timidité pour demander à un garçon plus vieux, l'endroit où se tenait le bâtiment que je cherchais.

Il avait été étonnamment gentil, allant même jusqu'à m'accompagner pour être certain que je ne me perde pas. C'est ainsi que nous nous étions connus.

Je l'avais souvent rencontré par la suite et nous avions fini par devenir amis, malgré des caractères pas forcément faciles. Maintenant que j'y réfléchissais, c'était également lui qui m'avait appris le basket, le jour où j'avais décidé d'arrêter les arts martiaux.

Tu te souviens de la demi-finale féminine de la Winter cup de l'année dernière ? finis-je par lui demander.

Bien sûr que je m'en rappelle, répondit-il avec un soupir. Ça s'est déroulé peu de temps après la nôtre, contre Seirin. Un bien mauvais jour pour Kaijô, décidément. De ce que j'en sais, tes sœurs et toi n'avaient pas joué la petite finale.

En effet, approuvais-je. Et c'est en partie à cause de ça que je suis ici.

Je me reculai légèrement, laissant la serveuse poser notre commande devant nous et s'en aller, avant de reprendre la parole.

A la fin de la dernière coupe d'hiver, nous avons rejoint notre entraîneur pour le débriefing du match. Il nous a alors dit que seul le cinq majeur était en mesure d'affronter les adversaires qui nous avaient vaincu et, que n'étant que remplaçantes, ce n'était pas à nous de décider de ce qu'il aurait convenu de faire. Que les choses soient claires, nous n'avons jamais remis en cause la qualité des autres joueuses. Ce que nous lui avons reproché, c'est de s'être borné dans une stratégie qui ne fonctionnait pas. D'aussi loin qu'on regarde et, malgré les progrès que nous pouvions faire, on ne nous a jamais laissé notre chance. Notre coach ayant toujours préféré garder sur le terrain des joueuses dont le nom était déjà connu dans basketball magasine, ou tout simplement au niveau national. Pour faire court, dans l'équipe féminine de Kaijô, il n'y a pas de place pour la nouveauté. On ne remplace les anciennes joueuses du cinq majeur que par des basketteuses déjà connues dans les compétitions inter-collège. Des filles comme moi, arrivant d'un autre sport ou comme Mayu et mes sœurs, qui n'ont véritablement progressé qu'à leur entrée au lycée, n'avaient aucune chance d'être un jour titulaire de cette équipe. C'est pour cette raison, que nous avons décidé de ne pas nous présenter pour la petite finale, que nous aurions probablement regardé depuis le banc, pour nous concentrer sur autre chose.

Qui est ?

Mayu, Frid, Marina et moi avons décidé de monter une autre équipe, baptisée Kaijô Rebirth. Celle-ci s'entraînera en parallèle de la principale, jusqu'au jour où nous nous affronterons pour savoir qui pourra participer aux différentes compétitions, qui se dérouleront au cours de cette année.

Je m'arrêtai, regardant le jeune homme qui me faisait face siroter son café en silence. Il n'avait fait aucune remarque quand à ce que je venais de dire. C'était assez surprenant de sa part.

Et donc ? demanda-t-il soudain me faisant sortir de ma réflexion. Qu'est-ce que tout ça a à voir avec moi ?

Il nous faut un coach, répondis-je sans détour. Et tu serais parfait pour ce poste.

Le jeune garçon posa violemment sa tasse sur la table, s'étouffant à moitié avec son café. Pendant ce temps, je plantais ma cuillère dans ma coupe de glace, commençant à manger cette crème glacée, occupée à fondre. Il n'allait pas tarder à s'énerver, c'était une évidence.

Tu te fiches de moi ! beugla-t-il alors en se penchant en avant. Je n'ai pas la moindre idée de comment on fait ça ! J'étais capitaine moi, pas entraîneur ! Tu crois vraiment que je suis capable de ce genre de chose ?! Ça nécessite un minimum de connaissances et je ne les ai pas !

Il se rassit tandis que les quelques personnes qui se trouvaient à nos côtés, nous regardaient avec étonnement. Je vis distinctement mon interlocuteur rougir devant leur intérêt, me tirant un sourire. Il avait toujours été comme ça, capable de s'énerver pour un rien mais détestant néanmoins que des regards inconnus soient braqués sur lui. Une drôle de contradiction à lui seul celui-là.

Cependant, il restait un meneur d'hommes comme on en voit rarement. Il était donc évident qu'on avait besoin de son aide pour guider notre équipe en construction. Je savais, que contrairement à ce qu'il disait, il serait parfait pour le poste que nous voulions lui confier. Tout ce qu'il fallait, c'était réussir à l'en convaincre.

Pas la peine de t'exciter de la sorte, finis-je par dire, avalant encore un morceau de glace. Nous en avons longuement discuté avec les autres filles et il est évident que tu es la seule personne que l'on connaisse à pouvoir nous entraîner.

Il me jeta un regard soupçonneux, tandis que je lui souriais. Pour tout dire les membres de mon équipe ne savaient pas qui j'étais partie voir. Mais bon, je me disais qu'un peu de flatterie pourrait me faire parvenir à mes fins. D'un autre côté, j'étais certaine que c'était ce que les autres auraient dit, si elles l'avaient connu.

Le jeune homme refusa une seconde fois ma proposition, s'appuyant de nouveau sur sa main. D'accord, pas de compliments, ça ne l'atteignait pas. Quel garçon compliqué que celui-là.

Oh allez Kasama !, lui lançais-je en terminant ce que j'avais commandé. On est enfin assez pour faire une équipe et on a besoin de toi. Ça ne te prendra pas beaucoup de temps en plus.

Je t'ai dit non !

Mince il n'avait pas l'air décidé à lâcher le morceau comme ça. L'obstination était également l'une de ses principales caractéristiques, même si là ça n'allait pas vraiment dans notre sens.

Je le vis donc tendre une main, appelant la serveuse pour avoir l'addition. On allait plus tarder à quitter les lieux et ce serait trop tard pour notre équipe. Les filles m'avaient envoyé un message disant qu'elles étaient parvenues à trouver une cinquième joueuse, mais il nous fallait absolument dénicher un entraîneur avant que ne sonne six heures.

Dans un long soupir je m'appuyai sur ma main, jetant un regard vers la fenêtre. On avait plus le temps c'était lui où personne. Il allait falloir sortir le grand jeu.

Ça va j'ai compris j'abandonne, déclarais-je avec un grognement.

Kasamatsu se redressa, l'air surpris par mon attitude. Je ne l'ai que trop dit mais il me connaissait bien. Et c'était vrai que ce genre de chose n'était pas vraiment dans mon tempérament.

Tu laisses tomber ?, demanda-t-il avec un haussement de sourcil.

Ouais, répondis-je sans le regarder. Faut dire que tu ne me laisses pas le choix, je ne vais pas te forcer à nous entraîner si tu n'en as pas envie. Je pense que les autres comprendront. Elles n'auront qu'à réessayer de monter une équipe l'année prochaine. Qui sait ? Peut-être parviendront-elles à trouver un coach avant six heure le jour de la rentrée. Enfin, ce ne sera plus mon problème ceci-dit, puisque je ne serais plus là.

Un grognement retentit à mes côtés. Le problème des gens trop honnêtes, c'est qu'ils n'acceptent pas d'être la cause de quelque chose qui aurait pu être évité. C'était le cas de mon ami.

Bon, il était vrai que ce n'était pas vraiment une chose très sympa à faire, mais j'étais au pied du mur là. Je jouais ma dernière carte, il me pardonnerait bien de toute façon.

La serveuse revint, posant une petite coupelle au centre de la table avant de s'en aller. De mon côté je continuais de contempler l'extérieur, ne voulant pas regarder mon interlocuteur, qui fulminait de son côté. Je savais qu'un coup d'œil dans sa direction risquait de mettre mon plan à mal, le poussant à refuser ma proposition. Je le laissai donc s'énerver à grands bruits, tout seul.

Arrête de me faire passer pour le méchant de l'histoire, s'énervait-il. Je t'ai dit que je n'en étais pas capable et...Maud tu m'écoutes ! Oh !

Oui je l'écoutais mais ce n'était pas ce que je voulais entendre. Allez, il pouvait bien faire un petit effort. Après tout, au départ il ne pensait pas être capable de réussir à être le capitaine de son équipe et pourtant, il l'avait mené loin dans les compétitions. Je savais qu'il en serait de même cette fois. Tout ce qu'il fallait s'était le pousser à bout et...

C'est bon, céda-t-il enfin. Je veux bien être le coach de votre équipe. Paye l'addition, ajouta-t-il avec humeur.

Quoi ?!

Mais déjà le garçon se levait pour quitter la salle. Je tirai mon porte-monnaie, laissant le dû dans la coupelle avec un grognement. Non mais quel chameau celui-là, faire payer une fille, c'était tout simplement anormal. Enfin, puisque j'avais obtenu ce que je voulais, on allait dire que c'était de bonne guerre. A condition que ça ne devienne pas une habitude, bien sûr.

Je sortis à sa suite, le rattrapant pour traverser la route. Nous retournâmes ainsi au parc, puis jusqu'à mon arrêt de bus. Nous restâmes ainsi l'un à côté de l'autre, sans un mot. Visiblement, il m'en voulait un peu pour ce qui venait de se passer.

Le véhicule finit enfin par arriver, ses portes s'ouvrant pour laisser sortir la foule de passagers, qui s'amassait à l'intérieur. Au moins serait-il vide lorsque je ferai mon trajet.

Je jetai un coup d'œil à mon ami, qui commençait déjà à s'éloigner. Je fis alors deux pas dans sa direction lui tapant sur l'épaule pour attirer son attention.

Merci Yukio !, lui lançais-je en repartant vers le bus.

Pas de quoi, grogna-t-il. Ce n'est pas comme si tu m'avais laissé le choix. Et ne m'appelle pas par mon prénom, les gens vont croire qu'on sort ensemble.

J'eus un soupir et montai dans le véhicule, le regardant s'éloigner par la fenêtre. Pendant un instant, j'avais presqu'eu l'impression que mes remerciements lui avaient fait plaisir. Enfin, peut-être n'était-ce là que mon imagination.

Lorsqu'il eut disparu de ma vue, j'attrapai mon téléphone, envoyant un message à mes équipières. Notre équipe était désormais prête à entrer en piste.