Disclaimer : L'univers de HP et ses personnages sont la propriété de JK Rowling, je ne touche aucun argent en publiant ce texte.
Rappel : Je le rappelle encore une fois, ce chapitre est totalement hors canon au-delà du tome 4. Faire d'Astoria la fiancée de Draco est un petit clin d'œil au tome 7 toutefois.
Continuité : Suite du bonus 2, « Save the wizard, save the world ».
En juillet 2007, Harry réclame l'assistance d'Artemis pour remplir une mission dans le passé : protéger une version plus jeune que lui qui a remonté par mégarde le temps de vingt ans. C'est sous l'identité d'Ethan Torr et avec l'aide de la Lame Aurora/Aube Lagarde (Aurora Dawn) que Harry remonte le temps une nouvelle fois. La mission s'achève par un combat sanglant dans le parc de Poudlard. Aurora est grièvement blessée par Cosmo Eternat. Le Mangemort l'a frappée en plein centre magique avec une épée de la Négation : Aurora a perdu tous ses pouvoirs. Harry aimerait aider la sorcière dont il est tombé amoureux, mais Aurora reste hermétique à tous ses gestes et paroles d'affection. L'amour n'est pas non plus un long fleuve tranquille pour Draco et Moïra. Ils ont été ensemble pendant quelques années, mais Moïra a fini par rompre pour une raison qu'on ignore. Draco s'est fiancé à Astoria Greengrass. Les fiançailles ont fini par être rompus cinq ans plus tard. Harry est persuadé que Draco aime toujours Moïra et il ne serait pas étonné que ce soit réciproque. Mais les deux sont têtus.
Personnages : Harry Potter, Draco Malfoy, Aurora/Aube Dawn/Lagarde, Moïra Carolis/Grindelwald/Grindelis, Astoria Greengrass, Narcissa Malfoy et quelques figurants.
Avertissement : PG
Note 1 : Je sais que j'ai laissé beaucoup de choses en suspens au terme de cette histoire. Je n'ai jamais eu l'intention de clore toutes les intrigues amorcées. Que voulez-vous ? Je suis une fanfiqueuse dans l'âme : j'aime les manques et les incomplétudes qui permettent à l'imagination de déraper ou de s'envoler.
Toutefois, j'ai remarqué que deux questions revenaient un peu plus souvent que les autres : quel avenir pour Draco et Moïra ainsi que pour Aurora et Harry ? Eh bien, j'espère que ce bonus répondra à ces deux éléments d'interrogation.
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Les Portes :
« Chatouiller le dragon qui dort »
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— Et puis la licorne est apparue. Et elle s'est baissée pour que je monte. Et…
— Mais bien sûr ! interrompit Gilda. Et le dragon, il rôtit des marshmallows.
Larry s'étrangla d'indignation : douterait-on de ses dires ?
— Si on t'écoutait, soupira Emilio, tu aurais appris à faire du balai avec Viktor Krum.
— Tu serais un animagus depuis tes onze ans.
— Douze ! corrigea Larry avec fierté.
— Et tu croiserais la baguette avec Harry Potter tous les deux mois.
— Et ? s'étonna Larry en croisant les bras.
— Et si tu étais un pantin de bois, actuellement, tu aurais le nez qui mesurerait trois mètres dix.
Larry fronça les sourcils : il ne comprenait pas la référence.
— Tu sais, dit Emilio avec diplomatie, tu n'as pas besoin de mentir tout le temps.
— Mais je ne mens pas ! s'indigna Larry. Harry Potter est mon voisin et je le vois régulièrement. Et c'est même lui qui m'a appris à…
— Oui, on sait ! soupira Gilda. Il t'a appris à léviter quand t'avais quatre ans, entre une chasse à l'ogre des cavernes et une cavalcade à dos d'hippogriffe.
— Et même qu'une fois tu lui as sauvé la vie en le cachant dans ton grenier, enchaîna Emilio.
— C'était la cave ! corrigea Larry. Y avait des Goules et des Gobelins qui…
— Ouais, c'est ça ! coupa Gilda.
Larry lança un regard peiné à sa camarade de classe, qui l'ignora superbement. Emilio avait un peu pitié de Larry : son père était mort pendant la Deuxième Guerre et Harry Potter était venu combler le vide. « Maman est partie quand on avait six ans, avait rétorqué Gilda. Est-ce que tu m'entends raconter partout que je fais des sudokus avec Hermione Weasley-Granger ? Non. Il faut que tu arrêtes de trouver des excuses à tout le monde ! Maman est partie parce qu'elle a flippé d'avoir mis au monde des jumeaux qui faisaient voler les tabourets. Et Voldemort n'est pas un pauvre petit orphelin que le monde n'a pas su comprendre. » Emilio s'était bien gardé de dire à sa volcanique sœur qu'elle avait atteint le point de Devillose.
— Emilio, tu viens m'aider : on n'a plus d'eau. Et si je reste encore une minute avec ce mythomane, je risque de lui colorier la tête en turquoise cette fois.
Gilda quitta la salle en claquant furieusement des talons. Que cela plaise ou non à sa sœur, l'air penaud de Larry peinait réellement Emilio. Il posa amicalement la main sur l'épaule de son camarade et sourit gentiment.
— Si seulement, tu ne racontais pas autant de bobards. Enfin, c'est comme ça, soupira-t-il.
— Emile ? Qu'est-ce que tu fais ? cria Gilda.
— J'arrive ! cria à son tour Emilio.
Il gratifia Larry d'un dernier sourire et rejoignit sa jumelle à petites foulées.
— Je ne voudrais pas que tu fasses une nouvelle bêtise qui nous coûterait de devoir nettoyer une fois encore ces fichus trophées, la taquina-t-il quand il fut à sa hauteur.
— Tu crois que McGo nous redonnerait exactement la même punition ?
— Il paraît que c'est un de ses classiques.
— Si c'est un classique, pourquoi les trophées sont-ils si sales ?
— Je ne sais pas.
— Tu crois qu'elle jette un sort exprès pour les salir ?
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Larry resta longtemps à regarder la porte par laquelle les jumeaux étaient sortis. Larry Zalinsky était le fils unique d'une veuve qui n'avait jamais réussi à faire son deuil et qui ne percevait son fils que comme le dernier talisman qu'il lui restait de son défunt mari. La solitude, Larry connaissait. Il lui arrivait même de lui parler. Certains jours, pour la chasser la plupart du temps, pour l'apprivoiser.
— On dirait qu'il ne reste plus que toi et moi, dit-il sur un ton faussement joyeux. Est-ce que tu veux que je te raconte la fois où je me suis endormi entre les pattes d'un sphinx ?
Si Solitude avait été une vraie compagne, elle aurait attiré l'attention de Larry sur un phénomène étrange. En effet, derrière le garçon, une lumière iridescente émanait des interstices du mur. Ce fut un reflet dans une vitrine qui attira l'attention de Larry. Il se retourna et recula aussitôt, surpris de voir le mur briller. Et tandis que la lumière s'intensifiait, un courant d'air gagna en force au point de faire voler la cape de Larry. Et c'est dans un fracas de verre brisé et de métal heurtant la pierre, que l'armoire bascula et révéla dans leur intégralité deux arcs lumineux. Un flash de lumière obligea Larry à fermer les yeux. Quand il les rouvrit, il était devant lui. Harry Potter, le Sauveur. Celui-qui-avait-survécu-et-vaincu.
— On est quel jour ? demanda le Sauveur en chassant quelques mèches de son visage.
— Pardon ? bégaya Larry.
— J'aimerais savoir quel jour nous sommes, répéta-t-il patiemment.
— Jeudi.
Le Sauveur arrêta de remettre en ordre sa tenue et dévisagea Larry.
— J'ai besoin que tu sois un peu plus précis que ça : quel jour, quel mois, quelle année ?
— Nous sommes le jeudi 4 octobre. 2007, bafouilla Larry.
Harry Potter oublia sa chemise qui dépassait de son pantalon et prit un air contrarié.
— Octobre ?
— Oui, monsieur.
— J'ai glissé trop longtemps. Au moins, c'est 2007. De quoi j'ai l'air ? demanda-t-il.
Larry embrassa d'un regard le Sauveur. Il avait les cheveux bien plus longs que ce qu'on pouvait voir dans ses dernières photographies. Ses lunettes myopes rétrécissaient ses yeux verts sans en diminuer cependant l'éclat. La cicatrice apparaissait derrière une frange un peu trop longue. Il avait les traits émaciés et l'air fatigué. Sa tenue avait un quelque chose de démodé. Son manteau était trop ample et trop court. Son pantalon de denims était déchiré aux genoux, mais aucun sang n'était visible.
— Vous allez à un bal costumé ?
— J'en viens, répondit en souriant le Sauveur. Tu t'appelles comment ?
— Larry. Larry Zalinsky.
— Eh bien, enchanté, Larry Zalinsky. Je suis Harry Potter.
Il tendit sa main que Larry serra mollement, sans trop y croire, pas tout à fait convaincu de ne pas être victime d'une mauvaise blague.
— Je te remercie pour ton aide et te souhaite une bonne soirée.
Le regard de Harry Potter se posa sur le seau renversé, les chiffons et les éponges. Larry se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux.
— Le professeur McGonagall aime que la salle des trophées soit rutilante. Decrassmus est un bon sort pour nettoyer les petites surfaces.
Le Sauveur salua Larry et s'éloigna à grandes enjambées. Il venait de quitter la salle des trophées quand les jumeaux revinrent.
— C'était qui le hippie ? demanda Emilio en posant son seau plein d'eau.
— Le hippie ?
— Le type aux cheveux longs !
Larry dévisagea les jumeaux. Emilio semblait sincèrement curieux, mais Gilda était déjà sur la défensive. Larry haussa les épaules.
— Aucune idée, répondit Larry.
Gilda hurla quand elle vit l'armoire renversée, les trophées éparpillés et les débris de verre. Son frère tentait de la calmer et surtout de la retenir. Larry ne les écoutait pas : il avait vu le Sauveur. Il lui avait serré la main.
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— Si vous n'avez pas de rendez-vous, vous ne pouvez pas entrer !
La voix de Miss Ticklesickle éclata en notes aigues. Draco grimaça douloureusement : depuis la Bataille du Solstice, il avait les tympans sensibles. Il ferma les yeux et se prit la tête dans les mains. De toutes les secrétaires du ministère, il avait fallu qu'il tombe sur celle qui espérait encore faire une carrière de soliste lyrique. Draco s'apprêtait à lancer un sort pour protéger ses tympans fragiles quand le visiteur inopportun prit la parole :
— Allez, Ève, vous savez bien que Draco fait une exception pour moi.
Draco manqua de s'étouffer. Il ne doutait vraiment de rien celui-là ! Et « Ève » ? Pourquoi se permettait-il d'appeler sa secrétaire par son prénom ?
— Mr Potter, reprit Miss Ticklesickle avec sa voix de maîtresse d'école fatiguée, vous savez que Mr Malfoy est un sorcier occupé. Son temps ne lui appartient pas.
— Oh, vous savez ! Le temps est une donnée bien relative.
— Le vôtre, peut-être, Mr Potter ! contra Miss Ticklesickle. Pas celui de Mr Malfoy !
Bien répondu, Ève ! Et une droite dans les gencives.
— Le mien, le sien, le nôtre… Si vous saviez ! soupira Potter.
Ah bah voilà ! Quand la carte du charme cessait de fonctionner, il sortait celle de l'Auror fatigué qui en sait plus qu'il ne le voudrait. C'était bas, Potter. Vraiment bas !
— Mr Malfoy doit rendre pour aujourd'hui un mémorandum pour le ministre. Il a rendez-vous avec ses collègues à propos de… quelque chose qui ne vous regarde pas ! se rattrapa-t-elle. Puis il a une conférence de cheminette avec Mr Burble, votre supérieur hiérarchique, Mr Potter.
Draco grimaça : il avait complètement oublié cette conférence. Il allait encore devoir expliquer à ce corniaud de Burble pourquoi on ne pouvait tolérer que les Aurors traitent les suspects comme des coupables.
— Vous voyez, il n'y a là rien de relatif, Mr Potter, conclut Miss Ticklesickle. C'est inscrit dans son agenda : c'est absolu !
— Je vois surtout que vous cherchez à garder Draco pour vous toute seule.
Miss Ticklesickle émit un bruit outré entre l'étranglement et le siphon qui se débouche. Draco gloussa.
— Miss Ticklesickle, laissez-le entrer ! cria Draco.
— Vous êtes sûr, Mr Malfoy ? Je peux…
— Draco est toujours sûr, coupa Potter.
Il ouvrit la porte et apparut dans toute sa… crasse.
— Hello ! Drac', dit Potter en souriant de toutes ses dents.
Le Sauveur avait une tenue misérable : un jeans déchiré aux genoux, un cuir tellement fatigué qu'il en bâillait. Il avait une chemise en flanelle ouverte sur un T-shirt qui affirmait It's only rock'n roll. Ses longs cheveux étaient rassemblés dans un catogan lâche. Ils avaient besoin d'un coup de ciseaux urgent. Potter avait ajouté à ses sempiternelles lunettes rondes des verres colorés, petit accessoire qui avait sauvé plus d'une fois un Auror d'un piège. Les verres étaient pour l'instant relevés. Draco ne savait pas s'il devait se sentir flatter ou offenser. Il pourrait tout à fait tendre un piège au Sauveur, le prendre en otage et réclamer une rançon. Ou juste une augmentation. Et un bureau plus grand. Et une autre secrétaire ! Il adorerait voler Miss Glenn à ce crétin de Jonas Flock !
Le tintement des bracelets de Potter ramena Draco à la réalité. Il lui semblait qu'il y en avait plus que la dernière fois. « Le nombre n'est pas censé diminuer ? — Les jours où ça va, y en a moins. » Ça devait être un jour où ça n'allait pas du tout.
— Ne m'appelle pas comme ça ! grommela Draco.
— Tu préfères Dragon ? proposa innocemment Potter.
— Tu préfères que je t'arrache l'œil droit ou le gauche ?
— Tu m'as manqué !
Potter avait ouvert grand les bras et avançait dangereusement vers Draco, un sourire exagérément étendu sur le visage.
— Rassure-moi ! Tu prends les mesures du mon bureau ?
— Tu veux dire de ton placard à balais ?
— Je veux dire que si tu avances tes groles qui puent le moldu d'un pas, je te rôtis !
Potter souleva le bas de son pantalon pour mieux exhiber ses souliers.
— Attends ! Ce sont des vintages ! dit-il d'un ton outré.
— Tu les as piquées au père de ton père qui les détenait déjà de son arrière-arrière-grand-père ?
— Et dire que pendant un instant, j'ai cru que tu m'avais manqué !
Draco dévisagea Potter qui soupira.
— OK, j'avoue, tu ne m'as pas manqué un instant. Ta version miniature m'a rappelé un peu trop souvent combien t'étais un connard avant !
Draco laissa passer le « avant » sans réagir et préféra demander au Sauveur quand il était arrivé. Potter jeta un coup d'œil à sa montre.
— Dix minutes.
— Pas ici, crétin. Maintenant.
— Dix minutes, répéta Potter, le plus sérieusement du monde.
Le ton honnête et l'expression calme de Potter ajoutèrent au poids de ses mots. Draco se leva et fit mine d'ordonner quelques dossiers parfaitement rangés.
— Pendant que tu essaies de te remettre de ton émotion virile, se moqua impitoyablement Potter, tu peux choper la bouteille de Brise-tibias que tu gardes dans ton dernier tiroir. J'ai besoin de me cramer la tronche.
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— Et puis Moïra, toi et l'autre moi avez disparu dans un éclat de lumière, acheva Harry.
Malfoy faisait son possible pour ne pas réagir chaque fois que le nom de Moïra était mentionné. Vous pouviez compter sur un Malfoy pour dissimuler ses émotions, et surtout un cœur en lambeaux. Mais Harry savait repérer les signes : c'étaient les mêmes que ceux que Moïra pensait si intelligemment dissimuler. Harry aurait pu trouver cela charmant si cela ne l'avait pas autant agacé. S'il ne revenait pas de 1976. Si…
— Combien de temps Dumbledore a attendu après la disparition des Portes pour te demander d'aller voir sous un autre plafond enchanté s'il y était ?
— Je dirais… dix secondes.
— Le Dumbledore de 75 n'est pas super relax.
— A sa décharge : 75 craint un max.
— Je bois à ça !
Et Malfoy joignit le geste à la parole.
— Comme ma mission, continua Harry, était de protéger mon autre version, il avait à peine décollé, que Dumbledore m'a donné mon congé. Limite s'il ne m'a pas assigné un Elfe de Maison pour vérifier que je n'essayais pas de filouter !
Le ton de Harry s'égarait entre amusement, amertume et raillerie.
— Je crois qu'il n'a pas trop digéré que tu lui souffles sous le nez la petite fille de Grindelwald, les Anamapas et le Bourdon de Torrack.
— Pourtant je ne faisais que suivre le Grand Plan. C'est un truc qu'il est censé aimer.
— Dumbledore aime les Grands Plans quand c'est lui qui les échafaude, pas quand il doit les suivre aveuglément.
Il y avait quelque chose dans la voix de Malfoy qui laissait clairement entendre qu'il en savait un rayon sur le sujet. Un rayon qui s'appelait Malfoy Senior.
— Eh bien maintenant, il sait ce que j'ai ressenti ! marmonna Harry.
— Tu te rends bien compte que pour lui, tu l'as manipulé avant qu'il ne te manipule, souligna Malfoy.
— Je vais être catégorique : l'homme n'est pas fait pour voyager dans le temps ! Il est fait pour suivre linéairement la chronologie. Nous ne sommes pas des Time Lords !
— Des quoi ?
Harry signala d'un geste de la main que le sujet n'était pas très important.
— Je suppose qu'il n'est pas évident de laisser partir des armes précieuses qui pourraient apporter une victoire immédiate. Tout ça parce qu'un freluquet cradingue vous dit que c'est pas ainsi que c'est censé se passer et qu'il va falloir serrer les dents et les poings sur la baguette encore quelques années.
Harry s'apprêtait à dire que Malfoy était venu en l'espace de quelques minutes défendre le cas de Dumbledore deux fois et demi. Mais il s'abstint. Si Harry n'avait jamais pu pardonner à Dumbledore de lui avoir effacé la mémoire, de lui avoir masqué si longtemps des éléments importants (et déterminants) de sa vie, Malfoy avait développé une certaine forme de respect pour le vieux sorcier. Dumbledore avait plus d'une fois pris le parti de Draco après leur retour du passé. Il l'avait défendu quand la vindicte populaire avait grondé dangereusement. Il avait appuyé sa candidature au ministère.
Harry avait toujours trouvé que Dumbledore avait fait preuve d'une certaine bienveillance envers Draco Malfoy quand ils étaient encore enfants. Il était venu à l'esprit de Harry que le directeur de Poudlard était trop bon, trop indulgent, à la limite du complaisant. Harry avait aussi pensé que Dumbledore avait voulu ménager le fils d'un conseiller puissant. Peut-être que Tom Jedusor avait laissé une marque au fer rouge dans la conscience du vieux professeur. Maintenant, Harry se demandait si Dumbledore savait que, convenablement entouré, épaulé et écouté, Draco Malfoy pourrait devenir quelqu'un de plus grand que ce que son père attendait de lui.
Il y a longtemps de cela, quand le doute et la rancœur n'étaient pas encore venus à Harry, Dumbledore avait affirmé que c'étaient les choix que l'on faisait qui déterminait la personne qu'on devenait. Mais, un voyage dans le temps plus tard et une prophétie réalisée, Harry se demandait s'ils étaient réellement libres de leurs choix. N'y avait-il pas toujours des guides, des volontés impérieuses, des décisions nécessaires ?
— On ne peut pas aller contre l'Histoire, dit Harry. C'est en 81 que la Première Guerre s'arrête, pas avant.
— Évidemment, il fallait que tu sois le héros de cette histoire, soupira Malfoy.
— C'était ça ou le chaos.
Malfoy ne dit rien, mais son expression trahissait sa pensée : entre les deux, il n'était pas sûr de savoir lequel était le moindre des maux. Harry remplit à nouveau son verre. Il ne foncerait pas tête baissée dans le chiffon que lui agitait Malfoy : il n'avait plus quinze ans. Il trempa ses lèvres dans la boisson laiteuse, absorba quelques gouttes et laissa la chaleur de l'alcool lui exploser en bouche et enflammer tout l'intérieur de son être.
— Et Aurora ? demanda Malfoy.
Harry avala de travers et manqua de s'étouffer.
— Avoue : tu as attendu que je boive pour me poser cette question ?
— Parce que tu crois que je n'ai pas repéré ton regard de griffon chaque fois que tu prononçais le nom de Moïra ? (Malfoy leva son verre.) Œil pour œil…
Harry imita son geste.
— … Dent pour dent, acheva-t-il de bonnes grâces.
— Comment va-t-elle ? demanda Malfoy.
Harry but une nouvelle gorgée et par-dessus son verre observa son interlocuteur. Contre toute attente, Malfoy s'était plutôt bien entendu avec Aurora Lagarde, la petite nouvelle débarquée de France pleine de suffisance et de hauteur. Pour Harry, alors, cela avait été un signe de plus : clairement, jamais il ne pourrait un jour tomber amoureux de cette sorcière ! Le futur avait tout faux.
— Je ne sais pas comment va Aurora, répondit Harry. Elle a quitté Poudlard, le jour de votre départ, sans prévenir personne. Quand je suis arrivé à l'infirmerie le matin, son lit était vide.
— Elle n'a rien laissé ?
— Elle a presque tout laissé.
Jusqu'au collier qu'il lui avait offert et qui l'avait protégée.
— Elle n'a emporté que sa baguette, reprit Harry. Elle a marché jusqu'à Pré-au-Lard. Elle s'est fait activer un feu de poudre-cheminette pour l'Italie. Et à partir de là, on a perdu sa trace.
— Il n'y avait pas un moyen de suivre sa baguette ?
— Pas sans alerter Artemis.
— Et il ne faut pas qu'Artemis soit au courant, compléta Malfoy.
Harry secoua la tête. Aurora était quelque part dans ce vaste monde. Hors d'atteinte d'Artemis (hors de son atteinte). Mais pour combien de temps ?
— Je dois faire un rapport à Artemis, reprit Harry. Et je vais dire quoi ? Que j'ai égaré leur Lame quelque part en 1976 ? J'ai rencontré son officier traitant : Raphaël Clément. Il a l'air sympa au premier abord. Classe, correct, civilisé, ajouta Harry. Mais, si tu me passes le jeu de mots évident : je ne pense pas qu'il soit du genre clément. Aurora va être portée disparue, peut-être traitée comme une déserteuse. Avada Kedavra à vue.
Harry avala le reste de son verre et toussa : il avait présumé de ses forces.
— Tu as combien de temps ? Pour leur rendre ce rapport, précisa Malfoy, tu as combien de jours ?
Malfoy était un administratif : la paperasse ça le connaissait !
— Deux. Peut-être trois. Au-delà, je vais éveiller leurs soupçons.
La voix d'Ève jaillit de l'interphone pour rappeler à Malfoy ses divers rendez-vous de l'après-midi, ainsi qu'un déjeuner avec sa mère. Fallait-il le reporter ? Malfoy jeta un coup d'œil à sa montre à gousset, puis à Harry et confirma le déjeuner.
— Comment va ta mère ?
— Ça dépend des jours. Elle est parfois très lucide. Et parfois…
Malfoy ne termina pas sa phrase. Il avait ses pudeurs et ses secrets. Oh ! Draco Malfoy savait toujours se vanter de ses succès, exagérer les petites victoires, mais pour l'essentiel, il était devenu beaucoup plus discret et même secret. Même si le monde magique britannique savait que Narcissa Malfoy n'avait pas supporté la déchéance et la ruine familiale. Le procès. La mort de Lucius. Le rôle que son fils avait joué. Sa santé mentale était fragile, l'équilibre entre la réalité et le fantasme souvent rompu.
— Je suis désolé, dit Harry. Sincèrement.
Malfoy effleura pensivement, presque machinalement, la balafre qui lui barrait tout le bas du visage du côté gauche. Une affreuse balafre d'un blanc rosacé qui donnait à la fois envie de fixer et de détourner le regard.
Harry s'y connaissait en cicatrices qui finissaient par vous dévorer l'identité. S'il l'avait pu, il aurait effacé la sienne. Ses cheveux longs étaient un hommage aux sorciers qui avaient compté dans sa vie de garçon et d'homme, mais ils étaient aussi un moyen commode de dissimuler cette caractéristique qui l'identifiait avant même qu'il ne se présente.
Malfoy, lui, ne tentait pas de dissimuler sa marque : ses cheveux étaient toujours coupés courts, aucune écharpe qui montait un peu haut, aucun sort pour masquer l'horrible réalité.
— Tu crois au destin ? demanda Malfoy d'une voix distante. Parfois, je pense que le destin n'est que foutaise ! On fait des choix et on vit avec. Et puis d'autres fois…
En 1976, Moïra était intervenue et avait empêché Malfoy de tirer sur son père. En 1996, la situation s'était répétée, exactement la même : deux camps qui se faisaient feu sans trop savoir quels étaient les individus qui les composaient, mais cette fois, il n'y avait aucun paradoxe à empêcher. Moïra était trop occupée à se battre pour dévier le sort de Malfoy.
Malfoy frotta avec plus d'insistance sa cicatrice. Était-ce son destin de devenir un fils parricide ? Il pouvait toujours rationaliser, affirmer qu'il ignorait sur qui il tirait : l'ennemi était masqué. Il ne pouvait pas savoir. Harry écoutait mais ne disait rien. Malfoy but son verre.
— Chaque fois que je me présente auprès de quelqu'un, reprit Malfoy, j'ai le droit à cette même expression de dégoût. Je n'arrive pas à savoir ce qu'ils me reprochent le plus : que je sois le fils d'un Mangemort qui bosse au département de Justice. Ou bien que je sois un fils parricide qui bosse au département de Justice.
Lucius Malfoy avait été un Mangemort particulièrement actif lors de la première et seconde guerre. En apparence, Draco avait semblé suivre les traces de son père avant de commodément (comme certains se plaisaient à le rappeler) révéler qu'il était un espion. Il travaillait maintenant au département de Justice et son boulot était de délivrer les permis nécessaires aux Aurors pour faire correctement et dans la légalité leur travail. Ce que les gens ignoraient, ou affectaient d'oublier, est que Draco Malfoy avait activement pris part à la seconde guerre aux côtés des forces résistantes, qu'il avait contribué à la victoire en distillant de fausses informations à l'ennemi tout en donnant des précieuses à la Résistance. Il avait usé de ses forces et de sa baguette dans ce combat et y avait laissé une partie de son audition. On s'ingéniait également à oublier que ce travail de juriste n'était pas commode mais nécessaire : la famille Malfoy était ruinée. Il avait fallu dédommager les victimes de Lucius Malfoy et, encore aujourd'hui, une partie du salaire de Draco partait directement sur des fonds d'aides. Et puis il y avait la balafre qu'il avait sur la joue, souvenir ultime de Lucius Malfoy, éternel témoignage que Draco avait tué son père.
— Rappelle-moi : depuis quand tu t'intéresses à ce que pensent les autres ? demanda Harry, avec autant de légèreté que possible. Et puis je crois que les gens te reprochent surtout d'être un connard de conservateur qui continue de soutenir les lois protectionnistes.
— Je suis un fonctionnaire. Les gens n'ont aucune idée des lois que je soutiens.
— Ils le savent : ta tenue ultra conventionnelle, ta montre à gousset en argent, tes guêtres trop blanches, ça te trahit immédiatement.
— Tu veux qu'on analyse ce que ta tenue de débraillé dit de toi ? répliqua Malfoy. Tu ne dois pas être super rassurant comme Auror !
Harry sourit intérieurement. Malfoy n'avait plus quinze ans, il savait contourner les pièges grossiers que Harry lui tendait pour l'énerver. L'un comme l'autre, ils avaient appris à ne plus répondre à la provocation. Cependant, parfois, le naturel revenait à tire d'ailes et la rivalité d'autrefois, les piques et les regards noirs reprenaient leurs droits.
— J'ai un truc infaillible, dit Harry fièrement.
— Et c'est ?
— Je leur dis que je connais vachement bien Draco Malfoy du département de Justice, le type qui cautionne les lois protectionnistes. Et puis si ça ne marche pas, je sors mon joker.
— Ton sens de l'humour ?
— Mieux. Moïra. Elle fait vachement bien l'Auror motivée et flippante. Parfois, y a même pas besoin de sortir la baguette. Sa présence suffit.
Malfoy fit tourner sa baguette autour de son pouce : un geste, presque un tic, qui trahissait la nervosité de Malfoy. Harry se souvenait que Malfoy avait pris cette habitude en cinquième année, il ne se souvenait pas l'avoir vu faire autrefois. Ron avait d'ailleurs été très jaloux de la dextérité du Serpentard et avait passé plusieurs heures à s'entraîner dans la salle commune. Harry avait fini par l'imiter.
— Comment va-t-elle ? demanda-t-il avec autant de détachement dont il était probablement capable.
— Ça fait quatre mois que je ne l'ai pas vue, à toi de me le dire, répondit Harry, impitoyable.
— Ça fait six mois pour moi.
Harry attrapa la baguette et la claqua contre le bureau.
— Sérieusement, je pourrais vous envoyer un cognard dans la tronche ! éclata-t-il.
Il fixait Malfoy, implacable. Malfoy soutint son regard quelques secondes et se leva brusquement. Harry était furieux. Il aurait vraiment pu…
— Si tu veux savoir comment va Moïra, tu n'as qu'à envoyer un hibou, allumer un feu, aller l'attendre à la sortie du siège des Aurors. C'est même pas loin ! A trois minutes à pieds. On voit l'entrée de ta fenêtre !
— Ce n'est pas si simple ! contra Malfoy
— Pas aussi simple ? Demander à Aurora comment elle va : pas si simple. Demander à Moïra comment elle va : ça demande juste du courage. Mais il est vrai que pour un Serpentard c'est quelque chose de peut-être un peu inhabituel.
Malfoy lui décocha un regard noir mais il ne répondit pas verbalement à la provocation.
— De quoi as-tu peur, bon sang ? Aussi inconcevable que cela puisse paraître, Moïra t'aime toujours. Elle t'aime depuis qu'elle a dix-sept ans et n'a jamais réussi à se débarrasser de ce sentiment.
Malfoy releva la tête et regarda Harry, l'étudia comme s'il cherchait à mesurer la véracité de ses propos. Harry soutint le regard. L'idée qu'il pouvait être en train de trahir son amie le frappa brusquement. Avait-il vraiment le droit d'interférer ? Mais plus de possibilité de reculer : l'espoir étincelait maintenant dans le regard de Malfoy.
— Et toi, tu l'aimes depuis que t'as quinze ans, acheva Harry.
— Quinze ans ? Pfff ! Tu plaisantes…
— Malfoy ! A d'autres ! J'étais aux premières loges, rappelle-toi !
Malfoy ouvrit la bouche, prêt à faire entendre son désaccord et son indignation, mais il n'émit aucun son. Il referma la bouche et s'enfonça, vexé, dans son fauteuil. Malfoy n'aimait pas qu'on lui rappelle qu'il était aussi transparent que du cristal. Il mettait beaucoup d'efforts à masquer ses pensées, à calfeutrer ses émotions. Généralement, les gens n'y voyaient que du feu. Seulement, Harry n'était pas la première personne venue : il avait été le témoin privilégié d'instants constitutifs de la personne que Malfoy était devenue : sa rencontre avec Moïra, ses maladresses pour gagner son cœur, la mort de son père, le procès… Cependant, Draco et Harry n'étaient pas amis. Ils auraient pointé leur baguette sous le nez de quiconque aurait osé prétendre le contraire. Ils ne s'étaient pas choisis. Ils avaient appris à reconnaître la valeur de l'autre, à apprécier ce qui leur semblait appréciable. Mais si on leur posait la question, non, ils n'étaient pas amis. Ils étaient… Compagnons d'armes, partenaires de galères, camarades de destinées qui craignaient.
« Tu crois qu'on devrait se faire un tatouage, avait un jour demandé Malfoy après une réunion particulièrement houleuse au Département de Justice (leurs chefs respectifs avaient failli s'écrabouiller à coups de sorts) sur le cas d'un éleveur illégal d'Arachnocanis. « Genre quoi ? avait répondu Harry. — Je ne sais pas. Genre : "On a trouvé les Portes. Deux fois. (Alors faites pas chier !)". — On pourrait commencer par un T-shirt. »
— Mais avant d'aller la voir, il y a quelqu'un à qui tu dois parler, reprit Harry plus calmement. Presque précautionneusement.
Moïra allait lui raboter la tronche !
— A qui ? demanda Malfoy.
— Ta mère.
Malfoy ne fit rien pour masquer sa surprise.
— Ma mère ? Et de quoi veux-tu que je lui parle ?
Harry adressa une prière aux mânes. Pourvu que Moïra lui pardonne !
— En Avril 2001, je ne sais pas si tu te souviens, c'était une période un peu compliquée pour vous deux.
— Je m'en souviens très bien ! répliqua froidement Malfoy.
Le 21 mars 2001, lors du repas d'anniversaire de Moïra, Malfoy l'avait demandée en mariage. Ils étaient ensemble depuis trois ans. Cela avait semblé à Malfoy être une bonne idée. Ou si ce n'était bonne, du moins commune. Attendue, presque. Ce qui avait été un peu moins attendu : la réponse de Moïra. Non seulement elle avait refusé mais en plus s'était mise en colère. La soirée d'anniversaire s'était terminée dans un claquement de porte. Le lendemain, alors qu'il avait le cœur anesthésié par l'alcool, mais l'estomac retourné, Malfoy avait vu Harry apparaître comme une furie dans son appartement. Comment Malfoy avait pu faire un truc aussi débile ? Ne connaissait-il pas Moïra ? « Tu es l'héritier d'un Grand Nom ! s'était emporté Harry. Mieux que personne tu aurais dû savoir ce que Moïra pense des Grands Noms. »
— Moïra est passée chez toi parce qu'elle voulait te parler, reprit Potter, mais tu n'étais pas là. C'est ta mère qui l'a reçue. Ça ne s'est pas très bien passé. Puis il y a eu une mission, qui s'est encore plus mal passée. Moïra est restée alitée presque quinze jours à Sainte Mangouste.
— Je m'en souviens : j'étais en déplacement au Japon. J'ai voulu rentrer mais elle a refusé.
Malfoy avait accepté de faire partie de la délégation envoyée au Japon, non seulement parce que c'était une chance de se faire remarquer par son supérieur, mais surtout parce que c'était l'occasion de mettre un peu de distance entre lui et Moïra. Pour respirer, pour réfléchir. Mais lorsque le médicomage l'avait contacté au beau milieu de la nuit pour lui demander son autorisation pour certaines procédures, Harry imaginait que tout cet espace était devenu suffocant. Malfoy était le contact d'urgence de Moïra, il était habilité à prendre des décisions pour elle si l'Auror n'était pas en mesure de les prendre. Malfoy donna toutes les autorisations nécessaires : qu'il la sauve ! Les médicomages préféraient ne pas se prononcer. Malfoy était en train de préparer ses affaires quand Potter l'avait contacté le lendemain pour lui donner de plus amples informations. Malfoy s'en était ouvertement pris à Harry : quel genre de coéquipier était-il ? « Je croyais qu'on t'appelait le Sauveur ? » Harry avait accepté toute cette fureur douloureuse sans ciller. Qu'est-ce que ça aurait fait à Malfoy de savoir qu'ils avaient été mal renseignés, qu'ils avaient choisi de se séparer, qu'il était là où le danger n'était pas quand Moïra avait mis le pied pile là où il était concentré ? C'était au milieu de promesses de lui arracher les cheveux, la langue, que Harry avait appris à Malfoy qu'il ne pouvait pas venir. « Moïra ne veut pas que tu viennes. »
— Ta mère est venue la voir à l'hôpital, continua Harry.
— Ma mère ? Pourquoi ?
Harry, les yeux baissés, fixait ses mains. Il avait bien conscience que Malfoy avait le regard braqué sur lui, qu'il cherchait ce que Harry ne voulait pas lui dire.
— C'est quand elle est sortie de Sainte Mangouste que Moïra m'a annoncé que c'était définitivement fini. Est-ce que c'est la conversation avec ma mère qui a entraîné cette décision ? demanda Malfoy.
Harry se passa la main dans les cheveux, joua avec les breloques des ses bracelets, mais garda les yeux baissés.
— Il faut que tu parles à ta mère, répéta Harry. Je ne peux pas t'en dire plus.
Harry en avait déjà beaucoup trop dit. Malfoy s'enfonça dans son fauteuil et leva les yeux vers le plafond. Un silence inconfortable tomba entre les deux sorciers. A travers la fenêtre entrebâillée, Harry percevait les bruits de la rue et, de l'autre côté de la porte, il surprenait quelques éclats de rire, des objets qui tombaient. Harry se demandait si Malfoy pouvait encore entendre tout cela, ces indices de vie quotidienne, de l'ordinaire lassant et pourtant si rassurant.
— Tu cherches les Portes, demanda Harry, lassé du silence.
— Tu plaisantes, mais je ne vais plus jamais dans un endroit sans jeter un coup d'œil au plafond. Ça m'a sauvé la vie une fois.
— Ça m'a sauvé deux fois la vie.
— Il faut toujours que tu cherches à être le meilleur.
— Mon tatouage dira : « Les Portes m'ont appris à regarder toujours plus haut. ». Il faudrait que je le place au-dessus de mes sourcils, voire à la place de mes…
— Pourquoi me dis-tu tout ça maintenant ? coupa Malfoy.
Cinq ans étaient passés. Malfoy avait eu le temps de se fiancer et de rompre et Moïra d'avoir quelques amoureux (dont deux avaient été particulièrement sérieux).
Harry haussa les épaules.
— Il faut essayer de vivre sans regrets, dit-il nonchalamment.
— Je veux que ce soit mon tatouage : « Les Portes m'ont appris à vivre sans regrets. »
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Mr Sunraider, le concierge, salua Draco et lui remit le courrier qu'il avait mis de côté. Draco prit poliment des nouvelles du vieux sorcier. Il était au service de la famille Malfoy depuis plusieurs décennies. Lorsque le vent avait tourné pour les Malfoy, Draco lui avait demandé s'il souhaitait partir. « Monsieur, sans vouloir vous manquer de respect, ce sont les pieds devant que je quitterai cette propriété. » Draco n'avait pas insisté. Les autres employés de la famille avaient eu moins de scrupules. Mr Sunraider faisait des petits travaux d'entretien. Il s'assurait que le jardin restait net et que les carpes survivaient et surtout il faisait le lien entre Draco et les clients.
— Comment sont les locataires ? demanda Draco.
Cela avait été déstabilisant au début de voir le manoir familial envahi par des étrangers qui mangeaient dans sa cuisine, se réunissaient dans ses salons, dormaient dans les chambres, parcouraient ses jardins. Mais c'était la seule solution à laquelle Draco avait pu penser pour sauver le domaine familial.
— Hautains, irrespectueux, mécontents. Ils ne cessent de se plaindre de Madame.
— Qu'est-ce qu'elle a fait ?
— Rien d'extraordinaire : elle rentre chez eux, les insulte et les menace.
Draco soupira.
— Où en sont les locations ?
— Pas de soucis, Monsieur. Nous sommes complets jusqu'à l'année prochaine. La consultation des archives et de la bibliothèque privée attire beaucoup de sorciers-chercheurs. Tous les week-ends sont pris pour des conférences. Et la Chambre des Zoomages aimerait savoir si vous comptez ouvrir le cabinet de curiosités de la famille au public.
C'était une question qui revenait souvent. Pour le moment, Draco préférait garder cette salle et son contenu à l'abri des regards curieux. Il n'avait pas besoin qu'on juge davantage sa famille. Le concierge l'appelait poliment « le cabinet des curiosités », Draco l'aurait plutôt qualifié « le musée des horreurs ».
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Draco avait à peine passé le pas de la porte du manoir qu'un locataire l'aborda. Il fut vite rejoint par une autre locataire. Ils se plaignaient du bruit, de la décoration, de la plomberie qui bouchonnait, des lattes qui jouaient des mauvais tours, de l'escalier qui n'amenait pas toujours au bon étage. Draco s'efforçait d'avoir l'air compatissant tandis qu'il promettait de s'occuper de tout ça.
— Et puis votre mère ! s'exclama enfin la locataire.
Toujours garder la meilleure flèche pour la dernière attaque.
— En quoi peut-elle vous être utile ? demanda Draco avec un excès obséquieux de politesse et de sourire.
— En arrêtant de m'insulter quand je me rends dans la cuisine. Elle m'a pourchassée avec un balai et une théière. Pleine. Elle est dangereuse !
— Miss Cabbage, vous êtes une Zoomage, rappela Draco. Vous étudiez les hydres, par Merlin ! Vous n'allez pas me dire que ma mère vous fait peur !
— Monsieur Malfoy, avez-vous récemment vu votre mère ?
— Et s'il n'y avait que ça ! enchaîna le locataire. Mais elle entre dans nos appartements et jette nos affaires par la fenêtre en nous hurlant des insanités. Monsieur, il me semble qu'on paye suffisamment cher pour ne pas avoir à subir les humeurs de votre mère.
— Je vais voir ce que je peux faire, professeur Grognon.
— C'est Crognon, monsieur Malfoy !
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Draco marqua un temps d'arrêt quand il arriva devant la porte des appartements de sa mère. Il n'avait pas besoin de pousser la porte pour savoir qui se trouvait derrière : son parfum flottait dans l'air. Il inspira profondément et appuya sur la poignée.
Astoria était assise par terre, pieds nus, devant Narcissa qui lui caressait les cheveux tout en se balançant dans son rocking-chair. Astoria chantonnait une vieille ballade, Narcissa fredonnait. Une latte du parquet craqua et Astoria se tut. Avec la grâce et la précision d'une fée, Astoria se leva, déplia son corps gracile à la silhouette impeccable. Ses cheveux couleur or tombèrent souplement sur ses épaules étroites, dans son dos. Un sourire poli, rose tendre étira légèrement ses lèvres. Elle était, comme toujours, belle à en couper le souffle, à en perdre ses mots.
— Où sont tes manières, Draco ? Ta mère t'a mieux élevé que ça ! se moqua-t-elle.
Draco se racla la gorge et traversa la pièce. Tandis qu'il embrassait sa mère, Astoria lança un sort pour nouer ses cheveux en un chignon sophistiqué, tout en légèreté. Et telle une Cendrillon, elle enfila ses chaussures : deux charmants et délicats escarpins. Astoria lissa le tissu soyeux de sa robe noire, s'assura que sa broche était bien fixée, que ses manches étaient bien tirée et tendit enfin sa joue à Draco. Astoria était une princesse. Peut-être pas de sang, mais de port et d'attitude. Et de porte-monnaie. Astoria était invraisemblablement riche, ou plutôt sa famille l'était.
Si la famille Greengrass était une famille influente et respectée, son origine était assez récente comparée à celle des Grands Noms et sa fortune était liée au commerce. Le père d'Astoria avait des rêves nobiliaires. La famille Malfoy était peut-être ruinée, raillée mais elle était ancienne. « Les racines sont implantées profondément dans la terre et l'Histoire, ce n'est pas cette bourrasque qui fera tomber l'arbre ! » Draco n'était pas aussi confiant. Mais il était agréable d'être courtisé, d'être reçu avec civilité et politesse, surtout quand jusqu'à présent il n'avait fait face qu'à des portes obstinément muettes.
Astoria était une femme pragmatique, sans la moindre goutte de mièvrerie. Elle travaillait dans l'entreprise de construction de son père : elle supervisait le département de développement créatif et s'assurait de tout ce qui était relation publique. Elle avait un talent incroyable pour mettre les gens à l'aise. Communiquer avec elle était plus que facile, c'était plaisant. A son contact, les idées venaient facilement, les projets prenaient de l'ampleur. « Je suis une maïeuticienne, » avait-elle murmuré un jour à l'oreille de Draco émerveillé de voir en un dîner un investisseur changer totalement de discours. Et après avoir regardé dans le dictionnaire, Draco avait convenu que le titre lui convenait tout à fait. Elle était belle, riche, talentueuse et intelligente. (Draco savait que l'ordre des adjectifs auraient fait froncer les sourcils parfaitement dessinés d'Astoria. « Pourquoi ne puis-je pas être intelligente avant d'être belle ? »). Elle était de toute évidence la compagne parfaite pour une vie chaotique.
« Il y a cependant un échec de taille à mon palmarès, avait-elle dit un soir qu'il vantait ses qualités auprès d'un conseiller du ministre de la Justice et de son épouse. Aussi persuasive et charmante que Draco me présente, je n'ai jamais réussi à me faire aimer de lui. » Ce soir-là, elle avait bu un peu plus que de coutume et ses paroles, habituellement si mesurées, avaient échappé à son contrôle. Elle avait refusé de parler de « l'incident » durant tout le trajet de retour.
— J'aimerais cependant éclaircir un point, avait-elle dit, une fois arrivés dans le magnifique appartement que Mr Greengrass leur avait acheté. Nos fiançailles prendront fin quand Moïra sera mariée et officiellement hors d'atteinte ? C'est juste pour que je puisse m'organiser sur les prochaines années. Et que je sache quoi répondre quand les gens me demanderont. Parce que la carrière, le chaos, le « on a le temps » commencent quelque peu à s'épuiser.
L'amertume suintait du moindre de ses mots.
— Depuis quand te soucies-tu de ce que les autres pensent ? avait-il répondu, agacé qu'elle prononce le prénom de Moïra, toujours furieux et humilié.
— Depuis que je n'en peux plus de partir me réfugier dans les toilettes publics pour pleurer. As-tu idée de combien c'est humiliant ? As-tu idée de combien je déteste être cette femme ?
— As-tu besoin que tout soit officiel ? Ce mariage est-il vraiment nécessaire ? Depuis le temps, c'est comme si nous l'étions !
— Je me moque du mariage. Seulement on a lancé un processus et il faut aller jusqu'au bout. Et si l'institution du mariage te semblait si inutile et surfaite, il ne fallait pas me demander ma main.
— N'était-ce pas ce que tu voulais ?
— Ce que je voulais ? avait-elle répétée. Depuis quand te soucies-tu de ce que je veux ? T'en es-tu une fois soucié ?
Le ton était cinglant, le regard dédaigneux. Et Draco avait bien dû admettre, si ce n'est à Astoria, du moins à lui-même, qu'il ne s'était jamais réellement demandé ce qu'Astoria pensait de leurs fiançailles. Avait-elle été rebutée par l'idée ou enchantée ? Est-ce que son père avait dû la convaincre ? la persuader ? Qu'est-ce qui l'avait décidé à envisager de finalement lier sa vie à celle de Draco ?
— Qu'est-ce que tu veux ? s'était emporté Draco.
Il était dans son tort, et quand il était dans son tort, Draco s'énervait, parlait fort. « Stratégie de défense un peu primaire » avait l'habitude de dire Moïra.
— Je veux que tu sois honnête !
— Non, tu ne le veux pas, avait ricané Draco.
— Ne me dis pas ce que je veux ou ne veux pas ! s'était emportée Astoria.
— Tu veux savoir si je pourrais un jour t'aimer ?
Elle avait éclaté de rire.
— Non, Draco. Ce n'est vraiment pas ce que je veux savoir. L'amour est un accessoire qui coûte cher et ne supporte pas le temps qui passe ! Je ne pense pas que l'amour scelle un mariage harmonieux et réussi. Ce sont les projets, une vision d'ensemble commune…
Astoria s'était tue un instant. Elle avait regardé une photo d'eux deux joliment encadrée et posée à la vue de tous sur le manteau de la cheminée. « J'ai toujours trouvé que les photos de famille dans des cadres, ça faisait vitrine du bonheur, se moquait souvent Moïra. Genre : regardez comme nous sommes beaux et heureux et unis ! Enviez-nous ! »
— Je voudrais savoir, avait repris plus calmement Astoria.
Elle avait hésité et finalement s'était lancée.
— Je voudrais savoir si tu parviendras à faire un jour le deuil de la vie que tu aurais pu avoir avec Moïra ? Est-ce que tu parviendras à arrêter de la considérer comme la femme de ta vie alors même que ça fera vingt, trente, quarante ans que nous vivrons ensemble ? Est-ce que tu parviendras à regarder nos enfants sans penser que tu aurais voulu en avoir d'autres ? Sans imaginer ce que les autres auraient pu être ?
La question et toutes ces implications l'avaient surpris au point de le réduire au silence et de dissiper toute la colère que cette soirée et conversation avaient concentrée en lui.
— Draco, je m'en fiche de la romance ! Je m'en fiche de l'amour pour toujours ! Tout ça…. Tout ça m'importe peu ! Ce que je veux c'est un partenaire sur lequel je peux compter jour et nuit, qui ne prendra pas la fuite parce que c'est trop dur, parce que finalement ce n'est pas ce qu'il voulait. Je ne parle pas seulement d'avoir une famille, mais aussi des ambitions de carrière, de vie. Est-ce que tu peux être ce partenaire ? Est-ce que tu le veux ? Réfléchis-y ! Mais j'ai besoin d'une réponse.
Elle était montée dans leur chambre, Draco était resté dans le salon. Il avait surveillé le feu, l'avait regardé faiblir puis repartir. Il avait réfléchi. Et au petit matin, il s'était assis à la table de la salle à manger tandis qu'elle prenait son petit déjeuner.
— J'ai envie d'être cet homme, avait-il déclaré.
— Tu as envie ? avait-elle répété, avec défiance. Mais peux-tu l'être ?
— Je pense, oui.
— Tu penses ?
— Tu ne peux pas m'en demander plus pour le moment.
— Pour le moment ?
— Tu vas arrêter de répéter tout ce que je te dis ! s'était-il emporté. Je te dis que je vais faire de mon mieux pour être celui que tu veux que je sois. Tu veux quoi de plus ?
Elle s'était essuyée précautionneusement la bouche, avait replié parfaitement sa serviette.
— Et toi Draco, que veux-tu ?
— Eh bien, je viens de te dire…
Elle lui avait attrapé la main et l'avait regardé droit dans les yeux.
— Non, toi, que veux-tu ?
Moïra.
Il ne l'avait pas dit, mais il l'avait pensé tellement fort qu'elle l'avait peut-être entendu. Elle avait souri et déposé un baiser sur la tempe de Draco.
— J'enverrai quelqu'un récupérer mes affaires ce soir. Je vais prendre rendez-vous avec mon père pour que nous puissions annoncer la rupture de nos fiançailles. Tu peux garder l'appartement.
Et elle avait quitté la salle à manger en ne laissant derrière elle qu'un sillage de parfum. Alors que ses talons d'une finesse presque fragile cliquetaient sur le sol, Draco s'était dit qu'il devait se lever, lui courir après. S'il laissait cette femme quitter sa vie, il n'en retrouverait jamais une autre qui lui serait comparable. Mais il ne se leva pas. Il la laissa partir, quitter sa vie.
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— Bonjour, chéri, dit Astoria d'un ton chantant. Ta mère voulait savoir quand nous la ferions grand-mère. Je lui ai répondu qu'on avait le temps. Qu'elle était bien trop jeune pour être faite grand-mère.
— Oh, ma chérie ! s'exclama Narcissa. On n'est jamais trop jeune pour accueillir le bonheur que procure la naissance d'un enfant.
Draco n'était pas certain que cela fût vrai, mais il n'en dit rien.
— Tu étais tellement belle dans ta robe de mariée. Je ne peux m'empêcher de penser que tu seras la plus belle des mamans.
Draco ferma les yeux et serra les poings sur le dossier de la chaise de sa mère. Narcissa dérivait à nouveau le long des côtes de Fantasyland. Son esprit s'était envolé et remontait le temps. Astoria et Draco étaient toujours fiancés, un nouveau départ pour la famille Malfoy était envisageable. On avait coupé des branches, mais des bourgeons allaient donner de nouvelles fleurs à ce vieil arbre… Draco ouvrit les yeux et, sans un son, remercia Astoria. Elle hocha la tête d'un air entendu.
Les médicomages avaient voulu interner Narcissa. « Monsieur Malfoy, il faut que vous compreniez bien la situation. La réalité blesse trop votre mère, la mort de votre père, le procès, la ruine, l'opprobre public… C'est plus qu'elle ne peut supporter et gérer. Elle est en train de créer une autre réalité où tout n'est pas si mal allé pour votre famille. Le fait qu'elle soit une sorcière n'aide pas : comme son esprit n'est pas stable, sa magie ne l'est pas non plus. De plus, nous courons le risque qu'elle modifie la réalité pour qu'elle corresponde à son délire. Pour vous donner une idée : ça peut aller jusqu'à rappeler le fantôme de son défunt époux, des malédictions sur ceux qu'elle juge coupables de son sort… Je crains pour la sécurité de vos locataires. » Draco avait écouté, mais n'avait pas tenu compte : il pouvait s'occuper de sa mère. Il ne la ferait pas enfermer chez les cinglés ! Sa mère n'était pas folle, juste fatiguée. Avec du repos, de la tranquillité…
Astoria salua Narcissa qui l'embrassa avec chaleur, puis Draco la raccompagna jusqu'à la porte du manoir.
— Je suis désolée de m'être immiscée dans tes affaires mais une de tes locataires, Mrs Bloom, m'a envoyé un hibou en catastrophe.
— Elle aurait dû me joindre. Ce n'est pas à toi…
— Elle a essayé mais ta secrétaire n'a rien voulu savoir : tu étais occupé.
Il allait vraiment falloir qu'il parle avec Miss Ticklesickle de ce qui devait être considéré comme urgent ou non.
— Je te remercie de t'être déplacée. Je te promets que ça ne se reproduira pas.
Elle hocha la tête.
— Draco, elle a besoin de quelqu'un pour veiller sur elle.
Draco se raidit.
— Je te remercie, vraiment, Astoria pour ce que tu as fait, pour la comédie à laquelle tu t'es prêtée : rien ne t'y obligeait. Mais ce qui concerne ma mère ne regarde que moi !
— Quand je suis arrivée, elle saignait. Rien de grave ! J'ai arrêté l'hémorragie, je l'ai soignée.
— Qu'est-ce qui s'était passé ?
Ce qui se passait souvent : elle avait détruit un miroir, des cadres photos. Tout ce qui lui rappelait trop la réalité, tout ce qui la ramenait les deux pieds sur terre. Elle ne remarquait pas qu'elle était blessée. Une fois, elle avait oublié de manger trois jours de suite.
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Narcissa Malfoy avait été une très belle femme, mais les épreuves avaient prématurément blanchi ses cheveux, creusé son beau visage. Son regard était maintenant sans éclat, toujours lointain. Elle avait perdu chair et muscles et n'était plus qu'os, peau et tendons. Elle était autrefois pâle, Draco la trouvait maintenant étain.
Narcissa ne sembla pas réagir à la présence de Draco, elle se balançait dans son rocking-chair en regardant par-delà la fenêtre. Draco ne se formalisa pas. Il posa sur la table deux couverts et sortit de son sac en papier kraft deux boîtes.
— Je suis passée chez le traiteur italien, celui que tu aimes bien.
Draco servit les assiettes, réchauffa les plats, remplit les verres. Puis il appela sa mère, mais elle ne bougea pas.
— Maman, il faut que tu manges, insista-t-il.
Il s'agenouilla devant sa mère et posa ses mains sur ses genoux pour essayer d'attirer son attention.
— Si tu ne manges pas, il faudra que tu ailles à l'hôpital une fois encore.
Et Draco ne savait pas s'il ne la garderait pas contre son avis cette fois. C'était l'angoisse qui l'étreignait chaque fois.
— Astoria est venue me voir, dit Narcissa.
— Je sais, Maman. J'étais là quand elle est partie.
Narcissa baissa enfin la tête et regarda son fils. Elle sourit et posa une main sur le visage de Draco.
— Elle est la femme qui te convient.
Elle s'enfonça dans son fauteuil et reprit son balancement. Draco ne répondit rien. Il lui avait déjà dit trois fois que leurs fiançailles étaient rompues. Chaque fois la nouvelle avait été très mal prise : des hurlements, des larmes, de la casse et du mutisme. Draco préférait donc ne plus rien dire. C'était inutile. D'ici demain, elle aurait de nouveau oublié.
— Si seulement vous étiez tombés amoureux plus tôt. Si tu avais été avec Astoria plutôt qu'avec…
Narcissa ne termina pas sa phrase. Elle ne disait jamais le prénom de Moïra, elle était son personnelle « Tu-Sais-Qui ». Pour sa mère, Moïra était associée à tout ce qui avait été allé de travers dans leur vie.
— C'est cette…, elle marqua une pause puis reprit, qui t'a convaincu de te rebeller contre ton pauvre père.
— Maman, personne ne m'a convaincu.
— Balivernes ! Tu étais un petit garçon si obéissant, si honorable. Et puis tu rencontres cette…
Combien de fois Draco avait-il eu cette conversation ? Combien de fois avait-il essayé de faire comprendre que si, oui, Moïra avait eu une part importante dans son évolution, elle n'était en rien l'instigatrice de la scission entre lui et son père. Moïra l'avait encouragé à concevoir sa propre opinion et à la formuler, à agir selon ce que lui dictait sa conscience et non celle des autres. Il avait non seulement le droit, mais le devoir d'exprimer ses idées et non plus de répéter celles de son père. Son exemple avait insufflé à Draco le courage d'exister par lui-même. S'il n'avait pas mille raisons d'être amoureux de Moïra, celle-là serait suffisante pour des siècles.
— Cette… chasseuse de têtes ! Cette sans-rien, cette sans-passé ! vitupéra Narcissa. Mais j'ai vu clair dans son jeu : elle n'en avait qu'après ta fortune, ton nom. Et dès que tout ça est tombé, elle est partie. Elle n'a pas traîné ! Vite déguerpie.
Draco serra les poings sur les genoux de sa mère, tandis qu'une bouffée de colère montait en lui. S'il pouvait lui dire qui était réellement Moïra ! S'il pouvait lui dire qu'elle portait un nom qui tintait des sons d'or et de bronze quand on le prononçait ! Mais un serment le muselait. Moïra avait pris la décision de fuir. Pas de passé, pas d'ancêtres, pas d'identité déjà taillée et de laquelle il faudrait tant bien que mal se draper. Et Potter avait raison : Draco avait été idiot de la demander en mariage. Jamais Moïra n'aurait pu accepter d'être Moïra Malfoy.
— Maman, Moïra n'en a jamais eu après mon nom ou mon argent, put-il juste dire, avec autant de douceur dont il était capable.
— Elles disent toutes ça ! Et puis elles tombent enceintes et il faut les épouser.
— Maman, j'ai demandé Moïra en mariage et elle a refusé.
— Bien sûr qu'elle a refusé ! J'ai fini par lui faire entendre raison.
— Tu as fait quoi ? s'exclama Draco, surpris.
— Elle n'avait plus aucun moyen de pression. La tourmente était au-dessus de nous et Astoria était celle qui pouvait nous sauver.
— Quel moyen de pression ? De quoi tu parles, Maman ?
— La descendance. Les Grandes Familles ont besoin de descendance.
— Maman, je ne comprends rien !
Sa mère posa la main sur la joue de Draco et sourit.
— Tu n'as jamais rien compris, mon fils. C'est pour ça que je dois veiller sur toi. Je ne les laisserai pas nous séparer. Nous sommes les Malfoy.
Du fin fond de sa mémoire, le souvenir d'une jeune fille qui tentait d'échapper à la prise de deux garçons plus forts qu'elle lui revint en mémoire. La Captive l'appelait-on alors. Elle ne se débattait plus maintenant, mais Captive, elle l'était toujours.
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Draco appuya sur la sonnette. Il attendit deux secondes et appuya de nouveau. Plus longtemps. Pour finalement appuyer en continu. Il avait contacté Miss Ticklesickle pour lui dire d'annuler tous ses rendez-vous : il avait quelqu'un à voir. C'était une question de vie ou de mort ! La porte s'ouvrit brusquement et c'est une furie blonde, baguette à la main qui apparut.
— Vous tenez à ce point à vous faire dépecer ou quoi ?
L'expression de fureur de Moïra se figea en un masque de surprise quand elle aperçut Draco. Elle avait les cheveux relevés en queue de cheval, elle portait un sweat bleu marine à capuche orné de l'inscription « Auror Academy » en orange. Elle était en jeans, pieds nus et, détail amusant : logés entre ses orteils, des morceaux de coton.
— Draco ? Qu'est-ce que tu fais là ? Une urgence ? Un troll dans les couloirs du ministère ? Une sirène dans la plomberie ? Des kangourous mutants dans…
— Potter est de retour, coupa Draco.
— C'est pas trop tôt ! soupira Moïra. Je commençais à craindre que Dumbledore ne l'empêche de repartir. Tu sais, équilibre des forces : je m'en vais, il doit rester.
— A l'en croire, Dumbledore s'est plutôt dépêché de le mettre à la porte.
Moïra rit et Draco sentit sa gorge se nouer. Elle s'effaça pour le laisser entrer.
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L'appartement de Moïra était assez petit. Un séjour et une cuisine au rez-de-chaussée, une chambre et la salle-de-bains/toilettes à l'étage. Il y avait une cave, domaine de Pâquerette, la chauve-souris vampire apprivoisée, et un grenier où pleurait Grégoire IV, le fantôme de la maison (« Mais c'est temporaire ! »).
— Trouve-toi une place où t'asseoir, je vais voir si j'ai autre chose que de l'eau du robinet à te proposer.
Trouver une place où s'asseoir chez Moïra était toujours une gageure. La jeune sorcière étalait sa vie tout autour d'elle. Une dizaine de petites bouteilles multicolores avaient pris possession de la table basse. Patron, le chat borgne, avait annexé le fauteuil. Des livres et des rouleaux de parchemins se répandaient sur le sol. Le buffet croulait sous le courrier en retard et les bouteilles vides. La télévision et son meuble étaient envahis de DVD. Des vêtements s'égrainaient sur les dossiers de chaises, la table à manger, les portes. Des fioles ponctuaient l'espace, comme des points de respiration. Où s'asseoir ? Draco avisa un tabouret, déplaça l'ordinateur portable qui y avait pris place, et s'installa.
— Ce qui m'étonne, dit Moïra quand elle revint avec un verre de jus de fruits et un verre d'eau. C'est qu'il soit venu te voir en premier. Au lieu de Ron, Hermione ou moi.
Draco préféra le verre d'eau. « Bien joué ! sourit-elle. » Il ferma les yeux et but d'une traite son verre. Il avait la gorge parcheminée et les mains qui tremblaient.
— Tu voulais quelque chose ? demanda-t-elle quand il eut fini son verre.
— Savoir ce qui s'est passé en avril 2001.
Le sourire de Moïra disparut et elle fit mine de se lever, mais Draco lui attrapa le bras.
— Qu'est-ce que tu voulais me dire ?
Draco avait bien conscience qu'il y avait quelque chose de plaintif dans sa voix, mais il avait dépassé le stade où cela importait de quelque manière que ce soit.
— C'était il y a longtemps ! Je ne m'en souviens pas.
— Moïra ?
Ils étaient toujours dans cette étrange position : elle, ni debout, ni assise ; lui, en extension dans un équilibre précaire. Il chercha à attraper son regard, mais elle regardait partout sauf dans sa direction. Elle se laissa tomber plus qu'elle ne s'assit. Il lui lâcha le bras.
— Qu'est-ce que t'a dit Harry ?
— Il ne m'a rien dit ! Seulement que tu voulais me parler juste avant de partir pour cette affreuse mission. Rien de plus.
— C'est du passé ! soupira-t-elle. Le dragon s'est endormi depuis longtemps. Il n'est pas nécessaire de le chatouiller !
Draco se pencha en avant. Il cherchait encore ses yeux, elle les lui refusait toujours. Son cœur battait à toute allure. Il rassembla tout son courage, en ramassa toutes les miettes qu'il put trouver sous le tapis.
— Le dragon ne s'est jamais endormi, dit-il.
Sa voix tremblait, il avait la bouche sèche, la gorge serrée et le cœur qui battait tellement vite, tellement fort qu'il se demandait si elle parviendrait à entendre tout ce qu'il voulait, devait, lui dire.
— Si tu veux qu'on ne parle pas du passé, soit. Mais peut-on parler de maintenant ?
Moïra tourna la tête et enfin lui fit face. Enfin il attrapa son regard et il respira mieux.
— Peut-on parler du fait qu'il n'y a pas un matin où je ne regarde pas par la fenêtre de mon bureau pour te voir arriver ? Que chaque fois que quelqu'un prononce ton nom, j'ai le cœur qui explose ? A tel point que c'est devenu le jeu préféré de Potter. Que le soir, je redoute et espère que je rêverai de toi ? Est-ce qu'on peut parler du fait que je n'envisage pas ma vie avec une autre personne que toi ? J'ai essayé. Ça n'a pas marché ! Et du fait que si un jour j'ai des enfants, je veux qu'ils aient la moitié de ton patrimoine génétique et tout ton courage ? Est-ce qu'on peut parler de ça ?
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Lorsque Moïra était apparue au milieu de son salon, Harry était persuadé que sa dernière heure était arrivée. S'il avait eu le choix, il aurait préféré qu'elle apparaisse après son petit déjeuner : sa logeuse lui avait préparé pour son retour un carrot cake du tonnerre et il aurait bien aimé en profiter totalement. Mais il fallait faire face à son destin : il avait manqué à son serment (pas totalement, mais c'était déjà trop pour Moïra) et elle venait lui arracher les yeux, comme promis.
Baguette tendue, elle lui demanda quelle était son excuse. Son excuse ? La question le mit étrangement en colère. Eh bien, son excuse était qu'il en avait assez de la voir malheureuse ! De la voir s'abîmer dans des relations qui étaient condamnées dès le début. Il savait qu'elle essayait avec autant de sincérité qu'elle le pouvait. Mais il savait encore mieux qu'elle finirait toujours par saborder toutes ses histoires.
— Parce qu'ils n'étaient pas et ne seront jamais Draco, acheva-t-il.
— Tu ne vas pas me soutenir que Draco est l'homme parfait ? ironisa-t-elle.
— Sûrement pas ! Mais il sait qui tu es. Et tu attends de ces pauvres gars, éperdument amoureux de toi, qu'ils agissent comme s'ils savaient que derrière la terrible Auror se cache une petite fille qui a dû fuir sa maison. Mais ils ne le sauront jamais. Et tu sais que c'est injuste de leur reprocher ce qu'ils ignorent, alors tu te transformes en harpie pour qu'ils s'en aillent. Et ils s'en vont. Et je te récupère effondrée, pleurant non pas sur ces relations perdues – sacrifiées, je devrais dire – mais sur celle que tu n'as jamais pu mener à son terme. Vous ne vous êtes pas séparés parce que vous ne vous aimiez plus. Je ne sais pas si votre histoire est faite pour durer, mais je suis sûr d'une chose : elle s'est arrêtée trop tôt ! Elle n'a pas fini de se consumer et elle vous brûle maintenant de l'intérieur. Mon excuse, c'est que vous avez la possibilité de vivre cette histoire d'amour et, je te le dis : si tu ne fais rien pour y remédier, c'est par la peau du cou que je te dépose devant sa porte.
— Avec un nœud autour de la tête ?
— Autour de ce que tu veux ! Mais je peux t'assurer que tu y seras.
— Je suis donc qu'une pauvre fille trop faible pour mener seule sa vie ? demanda-t-elle froidement.
— Moïra, tu es probablement la personne la plus courageuse et la plus forte que je connaisse. Et je connais quelques braves ! Mais tout le monde a besoin de poser les armes de temps en temps. Même toi, la plus brave des braves.
— La plus brave des braves ?
Il hocha la tête.
— Plus brave que Hermione ?
Harry sourit. Moïra et Harry avaient une blague récurrente : rien n'était plus courageux et effrayant que Hermione.
Moïra baissa sa baguette.
— Tu n'auras pas besoin de me déposer comme un œuf de Pâques devant sa porte : il est passé chez moi hier.
— Et ?
Moïra resta de longues secondes à fixer Harry et puis, finalement, elle lui tendit un livre.
— Lis-le ! Pas demain, pas « un jour ». Aujourd'hui. Au moment, où je disparaîtrai…
— Pour réapparaître devant Malfoy ?
— Au moment, où je disparaîtrai, reprit-elle, tu prendras ce livre et tu commenceras à le lire. C'est mon cadeau de remerciement.
— Tu me remercies en me donnant des devoirs ? On dirait vraiment Hermione !
— Je te donne la possibilité de clore ton histoire. Un œil pour un œil.
— Tu sais que normalement, c'est une expression biblique qui autorise la vengeance.
— Pas la vengeance, la justice rétributive, corrigea Moïra.
— Avoue : tu as traîné avec Hermione pendant mon absence !
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Harry ne s'était pas immédiatement plongé dans le livre laissé par Moïra. Il avait d'abord terminé son petit déjeuner, dégusté sa part de gâteau, pris une douche et partagé une pause café avec Ron. Ils avaient débriefé le voyage dans le passé. Ron s'était un peu vexé que son « prétendu meilleur ami » aille d'abord saluer le « Vicelard Serpentard ».
— OK, avait admis Ron. Ce mec a mieux tourné que ce qu'on aurait pu craindre au départ. Il n'en reste pas moins un type snob, rétrograde et condescendant.
— Sauf qu'il est fauché maintenant. Et quelque peu conspué.
— Je ne trouve pas que ça arrange le portrait.
Puis Harry avait fait quelques courses pour remplir ses placards. Il avait dû passer au Siège pour déposer son rapport et débriefer la situation avec ses chefs. Il était resté aussi vague que possible sur le sort d'Aurora. Sa hiérarchie n'avait d'ailleurs pas été très curieuse. Le Siège s'occuperait de transmettre le rapport à ARTEMIS. On était vendredi, il était presque seize heures, ils auraient probablement un rendez-vous pour lundi. C'était déjà ça de gagné !
Il était seize heures trente quand Harry apparut dans son salon. Une pile de courrier, de missives avait eu le temps de croître sur son paillasson. Il avait poussé le tas du pied et s'était laissé tomber dans le canapé. Le livre que Moïra avait laissé sur sa table basse était alors entré dans son champ de vision.
— Allez ! Un thé et je m'y mets.
Harry avait commencé mollement, sans entrain, ce livre illustré destiné à la jeunesse. « Elle me prend vraiment pour un attardé ! » avait-il maugréé. Était-ce parce que le héros, un jeune garçon de dix ans, découvrait au détour d'un accident de voiture, qui aurait dû le tuer et auquel il survivait miraculeusement, qu'il était un sorcier que Moïra avait autant insisté pour qu'il le lise ? L'histoire semblait somme toute assez classique : dans un univers où la magie était connue de tous, Jiggle, le héros, l'enfant élu, prédestiné par tout un tas de prophéties, devait apprendre à utiliser ses pouvoirs en vue du combat final contre un très méchant sorcier, qui, Harry en était sûr, allait s'avérer être son père dans les dernières pages. Il y avait un mentor, barbu, plein de sagesse et de mystères. Et bien sûr, on ne pouvait pas faire sans l'antagoniste qui prenait un malin plaisir à semer d'embûches le quotidien du héros. Harry, lassé, s'apprêtait à reposer le livre quand le héros fit quelque chose à laquelle il ne s'attendait pas : Jiggle refusa sa mission et son destin. Le héros ne voyait pas pourquoi c'était lui, tout jeune sorcier dont personne ne s'était soucié jusque là, qui devait faire le sale boulot. « Il n'y a donc personne de plus compétent que moi ? C'est un peu inquiétant ! J'arrive à peine à faire léviter un parchemin et vous voulez que j'aille me battre contre le plus grand sorcier qu'on a vu depuis Raspoutine ? Si vous avez un instinct de survie limité, désolé, mais ce n'est pas mon cas ! »
Ce fut le livre à la main que Harry avait préparé son dîner, puis mangé.
En cours d'histoire, le héros se lia d'amitié avec deux personnages déglingués : une jeune Mémoire qui n'était plus capable de collecter un seul souvenir depuis qu'elle avait mécontenté un de ses chefs et un Géant rétréci par un sorcier désagréable. Si les deux personnages voulaient redevenir ce qu'ils étaient censés être, il leur fallait aider l'élu à accomplir sa mission. D'amis par obligation, ils devinrent amis par choix. La galerie s'étendait peu à peu au cours du roman et des aventures que le héros était amené à vivre malgré lui. D'alliances en trahisons, de révélations en mensonges, le héros avançait, grandissait, apprenait.
Il était deux heures du matin lorsque Harry ferma le livre. Il songea à apparaître chez Moïra mais il se dit qu'il était peut-être un peu tard. Harry découvrit, rangée dans le rabat de la couverture, une invitation pour une rencontre avec l'auteur et l'illustratrice. La rencontre aurait lieu le lendemain de huit heures à douze heures dans la librairie Bergamote à Londres. Était-ce pour cela que Moïra avait insisté pour que Harry lise immédiatement le livre ? Pour qu'il ne rate pas la rencontre avec l'auteur ? La biographie ne disait pas grand-chose à propos de l'auteur, Hespéra Dague. Hespéra Dague était née à Montréal, avait vécu au Mexique, au Chili, au Népal, en Islande et à Québec. Elle avait été reporter pour des revues géographiques, rédigé des articles pour des guides de voyage. Elle écrivait aussi pour la jeunesse.
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La file d'attente était longue : elle s'échappait de la librairie, s'étendait sur le trottoir, débordait sur la chaussée. Mais personne ne s'en allait. Certains avaient même apporté des chaises pliables et relisaient leurs passages préférés. Harry profita de l'attente pour demander le tome deux à une fillette de douze ans qui patientait devant lui. Elle hésita cependant longtemps avant de lui remettre son volume.
— On en a pour un certain temps à attendre. Je ne risque pas de m'en aller bien loin, dit-il pour l'encourager.
— Pourquoi vous venez pour une dédicace si vous n'avez pas lu les livres ?
— J'a lu le premier hier soir ! répondit Harry avec fierté.
— Vous ne l'avez lu qu'une fois ? s'exclama une petite fille à couettes. Comment ça se fait ?
— Bah, il était deux heures du matin, je venais juste de le lire. Je n'allais quand même pas tout reprendre du début !
— C'est ce que j'ai fait, moi ! dit un garçon à lunettes et à bagues.
— Ça veut dire que vous ne savez pas que l'instructrice Terranée est en fait…, commença la fillette à couettes.
— Mais tais-toi ! coupa la propriétaire du tome deux. Il te dit qu'il n'a lu que le un ! Il ne sait même pas qui est Terranée encore.
La fillette à couettes écrasa ses mains sur sa bouche et le gamin à lunettes jeta un regard d'envie à Harry.
— Vous ne savez pas la chance que vous avez ! J'adorerais être comme Navette et oublier l'histoire pour pouvoir la redécouvrir encore. Et encore.
— En encore ! dirent les enfant en chœur, avant de soupirer profondément.
Harry ne se sentit soudain pas du tout à sa place. Plus qu'une séance de dédicaces, c'était également une possibilité pour des enfants de discuter de leurs héros préférés avec d'autres lecteurs, d'échanger leurs avis, de partager leurs théories. Qui était réellement le méchant ? De qui le héros tomberait-il amoureux ? La Mémoire et le Géant échapperaient-ils à leur malédiction ? Et quels acteurs choisiraient-ils pour le film ? Les parents gardaient les places dans la file et les enfants formaient des groupes de discussions.
— Moi, du moment qu'Onyx est beau, soupira une adolescente.
— C'est d'un cliché d'être fan d'Onyx, s'était moquée une autre.
— Parce que t'es fan de qui, toi ?
— De Sylphe et Hydre.
— Genre, c'est pas cliché de préférer les Jumeaux Contrariés ? Tu me diras, ça pourrait être pire : t'aurais pu être fan de Lux, « le méchant pas si méchant ».
— Tu me prends pour qui ?
On s'inquiétait également du nouveau personnage féminin que l'auteur avait promis pour le prochain tome. Certains espéraient qu'elle serait « badass », d'autres redoutaient qu'elle soit une « Mary-Sue ». Harry essayait de suivre mais entre les noms, le vocabulaire, les sous-entendus et les citations qu'il n'avait pas encore lues, il s'y perdait totalement.
— C'est votre première séance de dédicace ? demanda une femme.
— Ça se voit tant que ça ?
— C'est la quatrième que je fais. J'accompagne mes filles. Elles sont fans.
— Et pas vous ?
La mère rit.
— Touchée. Personnellement, je suis plus conventionnelle : je préfère Jiggle, le héros.
— Moi aussi ! Mais Navette et Grimm me plaisent bien aussi.
— Je les adore ! Ils sont particulièrement grandioses dans le troisième tome où ils doivent passer devant un tribunal… Mais je vais me taire et vous laissez découvrir tout cela par vous-même, gloussa la jeune femme.
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Après une heure d'attente, Harry put enfin apercevoir la table où deux femmes, l'auteur et l'illustratrice, œuvraient à remplir les pages de garde qu'on posait respectueusement devant elles. Il fallut encore une demi-heure à Harry pour atteindre la table. Entre temps, il avait récupéré sur un présentoir les trois tomes qui lui manquaient, rendu celui qu'il avait emprunté et poursuivait sa lecture. Harry était profondément absorbé par les aventures de Jiggle, Navette et Grimm quand il atteignit enfin la table de l'auteur. Il fallait qu'il donne son livre maintenant, mais il voulait aller au bout de sa…
— Bonjour, Harry.
Harry arrêta net sa lecture, son cœur trébucha, son cerveau eut un raté. Le timbre était un peu différent, l'accent s'était endormi, mais les intonations, la tessiture étaient les mêmes. Il releva les yeux pour confirmer ce que ses oreilles lui avaient déjà révélé.
— Aurora ?
Aurora. Aube. Au. Hespéra Dague.
Ses cheveux autrefois blonds et longs étaient maintenant gris et courts mais ses yeux bleus avaient gardé le même éclat. Le temps, la vie avaient tracé des sillons dans son visage fier sans pour autant altérer son sourire un peu railleur, son air d'en savoir toujours plus. Elle l'observait par-dessus ses lunettes. Son regard franc le scrutait comme il l'avait fait il y a six mois pour lui, il y a plus de trente ans pour elle.
— Moïra a finalement décidé de transmettre mon message, à ce que je vois.
Elle tendit la main vers le livre que Harry tenait toujours ouvert. Il le lui donna sans trop réfléchir, encore abasourdi par cette rencontre. Cette apparition.
— Je me demandais si tu arriverais à me reconnaître derrière ce nom d'emprunt. Si derrière Jiggle, Navette et Grimm, tu verrais…
Elle lui parlait, il voyait ses lèvres bouger, mais il ne comprenait rien de ce qu'elle lui disait. Les mots, les phrases n'avaient aucun sens. Il pouvait juste la fixer. La fixer du regard à défaut de la fixer dans le temps.
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Il était assis dans le fond de la librairie avec une tasse de thé qui refroidissait. Le libraire avait essayé de lui faire la conversation et avait abandonné devant le manque de réaction de Harry.
— Maman m'a demandé de vous dire qu'elle n'en avait plus pour longtemps. Il lui reste deux personnes.
Le mot éclata en millions d'éclats de verre et le ramena avec violence à la réalité.
— Maman ?
— Oui. Hespéra est ma mère.
— Vous êtes l'illustratrice ?
— Et la fille, acquiesça-t-elle. Eurydice.
Elle tendit sa main. Harry la serra distraitement.
— Avant de les écrire pour tous les enfants, Maman nous racontait, à mon frère et moi, les aventures de Jiggle, Navette et Grimm pour nous endormir le soir.
— Votre frère et vous ?
— Oui.
— Il est ici ?
— Oh non ! Il est… ailleurs. Zéphyr préfère vivre les aventures que de les imaginer. Maman prétend que c'est parce qu'il a le nom d'un dieu des vents. Je pense que c'est parce qu'il s'est trop identifié à Jiggle quand il était petit.
Elle sourit. Un sourire malicieux, moqueur. Au premier regard, la ressemblance avec Aurora n'était pas frappante. Elle avait les cheveux bruns, bouclés, des yeux noisette et une peau mate. Elle était plus petite et moins osseuse que n'avait été Aurora à son âge. Elle parlait l'anglais en hésitant un peu. Elle cherchait ses mots, bafouillait, tentait de camoufler son accent, mais il ressurgissait toujours au détour d'une phrase. Elle rougissait de sa maladresse. Au premier regard, elle n'avait rien de commun avec la fière et tranchante Aurora Dawn, Lame d'Artemis. Mais, à force de la scruter, Harry finit par repérer la filiation dans un geste, une expression, une intonation. Et dans ce sourire railleur.
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— Tu as fait la connaissance de ma fille ?
Le regard d'Aurora se braqua sur sa fille qui discutait en riant avec le libraire. Il se dégageait de la jeune femme une insouciance et une tranquillité rafraîchissante. Dans son univers, Harry ne croisait que des êtres pétris de souffrances et striés de cicatrices. Ils avaient l'âme lourde et le sourire parcimonieux. Mais, tous les jours, ils se battaient pour que d'autres puissent continuer à rire, facilement, sans trop y penser.
— Si elle savait qu'elle a parlé à celui qui m'a inspiré Jiggle ! dit Aurora, amusée.
— Est-ce qu'elle est… ?
— Une sorcière ? Non. Aucun de mes enfants ne l'est. Pour eux, les sorciers, les dragons, les mages noirs et les fées sont des créatures de fiction, des amis imaginaires d'enfance.
— Ils ne savent pas qui tu es ? s'étonna Harry.
— Qui j'étais, corrigea Aurora.
Le ton était tranchant. Abrupt. Implacable. Harry serra les mains autour de sa tasse de thé froid et fixa les ronds qui en troublaient la surface.
— Je n'ai jamais retrouvé mes pouvoirs, reprit Aurora, plus calmement. J'ai essayé de réparer ce qui avait été brisé, mais…
Elle se tut un instant.
— Les dégâts infligés par l'épée de la Négation étaient trop importants. Irréversibles. Alors, il a fallu renoncer. C'était une question de survie.
Le terme était fort et surprit Harry.
— Comment était le passé ? demanda-t-il.
Harry refusait toujours de regarder Aurora : question de survie ! Il se cramponnait à sa tasse comme si elle était une bouée dans cette tourmente émotionnelle qu'il était en train d'essuyer. Il dénoua ses doigts et posa ses mains à plat sur le bois de la table.
— Riche en événements. Je me suis mariée et j'ai divorcé. Mais j'ai eu le temps d'avoir deux enfants. J'ai été photographe, grand reporter. J'ai parcouru le monde. J'ai écrit, j'ai aimé, j'ai pleuré, je me suis enflammée. J'ai vu le mur de Berlin tomber. J'ai un peu investi dans quelques entreprises très prometteuses. Et puis, j'ai rencontré…
Aurora énumérait les moments de sa vie, des faits qui constituaient maintenant ses souvenirs et que Harry ne connaissaient qu'à travers des manuels d'Histoire et des documentaires. Harry ingérait les informations sans avoir le temps de les digérer. Et la nausée commençait à lui tordre l'estomac. Il frappa la table du poing. La tasse trembla et un peu de thé se répandit sur la table. Aurora interrompit sa rétrospective biographique.
— Pour moi, ça fait cinq jours ! coupa-t-il. Tu parles de ta vie qui est passée, mais pour moi, c'était il y a cinq jours ! Pas même une semaine !
Il y a cinq jours, Aurora était étendue sur un lit dans l'infirmerie gémissante et sanguinolente de Poudlard. Elle lui intimait l'ordre de « remballer ses lieux communs et de ficher le camp ».
Et il y a six jours, elle lui murmurait pour la première fois qu'elle l'aimait.
Aurora attrapa les mains de Harry.
— Je suis désolée de te causer de la peine.
Harry retira ses mains et s'appuya contre le dossier de la chaise, le regard aussi froid que possible, l'expression fermée.
— Surtout si peu de temps après mon départ, continua Aurora sans s'émouvoir. Moïra ne voulait pas que je te le dise. Elle pensait que ce serait cruel. Je pensais que ce serait encore plus cruel de te laisser sans savoir. Rester dans le passé était la bonne décision. Pas la plus simple, pas la moins douloureuse, mais c'était la bonne. Je n'aurais jamais pu revenir à mon époque, sachant que la vie que j'aimais, celle pour laquelle je m'étais battue m'était maintenant interdite.
— Je t'aurais aidée ! affirma Harry.
Il avait de la rancœur sur le bout de sa langue, de l'amertume entre ses mots et, quelque part, compressée dans sa gorge de la douleur. Tout cela était vain, Harry le savait bien. Il n'y avait plus rien à débattre, plus personne à combattre : Aurora avait pris sa décision il y a trente ans de cela.
— Tu n'aurais pas pu m'aider, affirma Aurora. Tu aurais essayé, mais tu n'aurais pas pu : je ne voulais pas être aidée. Je ne voulais pas être consolée. J'étais trop en colère. Contre le monde entier. Contre toi.
— Contre moi ? s'étonna-t-il.
Elle hocha la tête.
— Je n'aurais pas pu continuer notre relation. Je sais maintenant que tu n'es en rien responsable de ce qui m'est arrivé, que tu as fait du mieux que tu as pu. Je le sais maintenant, mais alors, lorsque ça s'est passé, rien de tout cela n'était évident pour moi. Il me fallait un responsable. Si je t'avais suivi dans le présent, si nous avions essayé de continuer comme si de rien, j'aurais fini par te détester. Je t'aurais entraîné sans la moindre pitié dans l'enfer que je traversais. Je t'en aurais voulu d'être un sorcier. D'être toi.
Ils restèrent un instant silencieux à se dévisager, à se jauger. Aurora se tenait droite, l'expression impavide. Elle se soumettait à l'examen de Harry avec la certitude d'avoir fait ce qu'elle devait. Elle avait fait un choix, elle l'assumait. Elle n'en rougirait pas, elle n'avouerait aucun regret, aucun remords. Le temps était passé, mais Aurora restait cette femme fière, indépendante, indomptable. Elle n'ignorait rien de la souffrance de Harry : elle suintait de tout son être. Harry faisait de son mieux pour la contenir, mais il était bien conscient qu'elle exsudait de lui comme une mauvaise odeur. Elle acceptait son regard blessé, ses gestes malhabiles, son refus de sympathiser.
— Tu la donneras à Artemis.
Le bruit sec du bois contre le bois attira l'attention de Harry et l'obligea à baisser les yeux : la baguette d'Aurora.
— Tu leur diras que j'ai péri pendant l'attaque. Ce qui n'est pas vraiment un mensonge : la Lame Aurora a cessé d'exister quand le Mangemort Cosmo Eternat l'a vaincue. Et c'est tout ce qui compte pour eux.
Harry regardait la baguette sinueuse qui roulait doucement sur elle-même. C'était plus une oscillation qu'un roulement, comme l'aiguille d'une boussole qui cherche le nord. Une baguette qui cherche son sorcier. Harry posa sa main sur l'item magique. Quand il rangea la baguette dans une de ses poches, Aurora leva la main, comme si elle voulait le retenir. Une expression de détresse passa sur son visage jusque là si calme, si impassible. Ça ne dura que le temps d'un battement de paupières. La main retomba contre la table et le regard se fit de nouveau assuré.
— J'ai une question, reprit Harry. Que se passe-t-il dans le tome 4 ?
Du menton, Harry désigna le présentoir où il ne restait plus que trois exemplaires du dernier volet de la saga d'Aurora.
— Ce qui se passe toujours quand le héros grandit : il tombe amoureux.
Harry se leva. La chaise racla sur le carrelage. Un bruit strident, désagréable qui écorcha les tympans.
— Je vais te dire adieu et te souhaiter tout le succès que tu mérites.
— Adieu ?
— Qu'est-ce qu'on pourrait se dire d'autre ? demanda Harry. Toute autre promesse ne serait qu'un mensonge.
Il affectait d'être froid, aussi froid et distant que possible. Une voix cassante, un regard glacé étaient pour le moment ses meilleures armes, sa plus solide défense. Il affectait parce qu'en dedans il n'était qu'éclats et brisures tranchantes, que fragilité et déchirures lancinantes.
Il tendit sa main qu'Aurora serra sans un mot, sans une émotion.
— Ton ami s'en va, Maman ? s'enquit la fille d'Aurora.
— Oui, il s'en va.
— Il ne faut pas qu'il oublie ses livres, s'exclama la jeune femme, alarmée. Pour m'occuper pendant que vous parliez, je les ai tous dédicacés.
— Je vous dois combien ? demanda Harry.
— Laisse ! fit Aurora. En souvenir d'Orpheo, ajouta-t-elle alors que Harry insistait pour sortir son porte-monnaie.
Il hocha la tête et prit les livres que la fille d'Aurora lui tendait.
— Vous avez connu Orpheo ? s'étonna-t-elle. Comment est-ce possible ? Il était comment ? Maman fait tout un mystère autour de ce garçon qui lui a inspiré Jiggle.
— Je ne l'ai connu que très brièvement !
— Vous n'avez pourtant pas l'air bien plus vieux que moi, remarqua-t-elle.
— Je suis plus vieux que j'en ai l'air, sourit Harry.
La fille d'Aurora tendit sa main.
— Au revoir… ?
— Harry.
— Au revoir, Harry. Ravie d'avoir fait votre connaissance. A une prochaine fois.
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Harry poussa la porte de la librairie. La cloche tinta et le vent l'accueillit. Un vent froid et humide d'automne qui charriait des feuilles couleur or et rouille. Les livres pesaient lourd dans ses bras. Il leva les yeux vers le ciel. Haut, aussi haut qu'il put. Regarder en l'air pour ne pas regarder en arrière. Et avancer.
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Fin du quatrième bonus
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Note 2 : J'ai toujours su que Draco et Moïra finiraient ensemble. Je n'avais juste pas mesuré que ça leur prendrait autant de temps et de larmes pour se retrouver. Je ne pensais pas non plus que Draco passerait pas la case « fiançailles ».
En revanche, l'avenir de Harry et Aurora a toujours été incertain. Au tout début, ils devaient finir ensemble. Mais il faut dire qu'au tout début, j'ignorais qu'Aurora perdrait ses pouvoirs. Lorsque j'ai pris la décision qu'elle serait grièvement blessée par l'épée de la Négation, j'avais dans l'idée que je trouverais bien un moyen pour les lui rendre. Pourquoi ? Parce que je savais que si Aurora ne se rétablissait pas, le couple Harry/Aurora ne pourrait pas exister. Aurora serait incapable de supporter d'être avec Harry sans ses pouvoirs. Et puis j'ai finalement trouvé qu'il était plus intéressant qu'Aurora perde totalement et définitivement ses pouvoirs. Certains traumatismes, certaines blessures sont irréversibles et ce serait triché que de se servir de la magie pour les effacer (fans de Buffy êtes-vous là ?). A partir de là, même si je les aimais vraiment beaucoup ensemble, j'ai dû me résoudre à séparer Harry et Aurora. Elle s'en est remise, il s'en remettra.
J'espère que ce chapitre vous a plu.