Archibald Twitter, archéomage

Livre I - La Conspiration de Merlin

Chapitre 1 - Juillet 1896

Lord John Twitter eut la surprise de sa vie lorsque sa toute jeune épouse, Euphémia Selwyn, lui annonça au lendemain de leurs noces qu'elle était une sorcière. Il la rassura en lui annonçant que les sorcières n'existaient pas, et que, même si elle devenait une horrible mégère au nez crochu, il l'aimerait toujours. Son rire s'évanouit quand Euphémia agita sa baguette magique et fit apparaître une nuée de canaris. Il se rendit alors compte qu'il ne savait pas quoi faire de cette information...

AUGUSTE PERLIMPINPIN - Archibald Twitter, une vie

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« 20 juillet 1896, Londres,

Cher Archibald,

J'espère que cette lettre t'arrivera sans encombre : avais-tu vraiment besoin de partir si loin ? D'un autre côté, je t'envie beaucoup : le temps est affreux à Londres, il pleut sans discontinuer depuis plusieurs jours. Je ne peux même pas me rendre sur le Chemin de Traverse : un scandale ! En plus, la boutique de Quidditch expose en ce moment même un tout nouveau balai, le Lancechêne 96. Bien plus élégant que ce ramasse-poussière de Comète 61 ! J'aimerais bien me l'offrir, mais ce n'est pas avec les trois mornilles d'argent de poche en ma possession que je pourrais me le payer...

Je te vois déjà en train de lever les yeux au ciel : sache mon ami que je ne désespère pas. Un jour, tu succomberas aux sirènes du Noble Sport... »

On toqua à la porte. Archibald Twitter leva les yeux de son courrier en soupirant : ne pouvait-il avoir quelques minutes pour lui ? Il plia le parchemin en toute hâte et le cacha dans la manche de sa robe de chambre.

- Entrez.

Un valet tiré à quatre épingles entra et s'inclina devant Archibald. Il lui annonça d'une voix dénuée d'émotion, que « Milord et Milady l'attendaient pour le breakfast, est-ce que le jeune Sir souhaitait de l'aide pour s'habiller ? ». Archibald secoua la tête, agacé d'être perpétuellement entouré d'une nuée de serviteurs : il savait quand même mettre un pantalon et faire un nœud de cravate seul, par Merlin ! Le valet s'inclina de nouveau devant le refus et alla ouvrir en grand les fenêtres pour aérer la chambre.

Un vent frais entra dans la pièce, apportant les effluves des mimosas en fleur, l'odeur du sable mouillé et le bruit des vagues. Archibald frissonna et attendit que l'autre sorte pour refermer prestement la fenêtre : il haïssait les courants d'air et était persuadé que le valet l'avait fait exprès pour se venger.

« Quand seras-tu de retour en Angleterre ? Peut-être pourrions-nous nous voir avant la rentrée à Poudlard ? Au fait, as-tu commencé les trente-cinq centimètres de parchemins de Têtenjoy sur le sortilège du Patronus ? J'en ai déjà écrit quatorze centimètres et des poussières, mais j'ai l'impression de me répéter...

À très bientôt !

Ton ami de toujours,

Hamilton Piccadilly »

Un sourire se dessina sur les lèvres d'Archibald : lui aussi avait hâte de rentrer en Angleterre. En attendant, il était coincé en France, pour des vacances imposées par Père.

Tout était de la faute de Lady Adélaïde. C'était elle la principale investigatrice de cette idée ridicule de partir en bord de mer, pour « apprendre à se connaître ». Père y avait consenti et, à peine une semaine après son retour par le Poudlard Express, Archibald avait été contraint de prendre un bateau en direction du Havre, puis trois trains successifs pour rejoindre Biarritz et enfin une diligence jusqu'au luxueux Hôtel du Palais. Un bien trop long voyage alors qu'il aurait été plus simple et rapide de prendre un Portoloin...

Mais Père avait été inflexible : hors de question de parler de magie en présence de Lady Adélaïde. Il lui avait d'ailleurs interdit de prendre ses affaires scolaires avec lui. Archibald s'était indigné : comment était-il supposé avancer sur son devoir de potion pendant les vacances ? Le Professeur Juniper Ashbrow était tellement sévère, le zéro pointé était assuré si Archibald ne rendait rien dans les temps.

La seule chose qu'il avait réussi à prendre avec lui en toute discrétion était sa baguette magique, qu'il tenait cachée dans la doublure de sa veste. C'était bien connu, un sorcier sans sa baguette n'était rien. Mais, là encore, il était frustrant de ne pas avoir l'occasion de s'en servir...

Archibald ne supportait pas d'être totalement coupé du monde de la sorcellerie. Il avait supplié ses amis de lui écrire par voie moldue pendant les vacances. Hamilton le lui avait promis, Brutus lui avait ri au nez :

- Même pas en rêve, Lord Twitter ! Je préfère me faire empaler par l'épée de Gryffondor plutôt que d'utiliser des méthodes barbares. Et puis d'ailleurs, j'aurai autre chose à faire que de t'envoyer un courrier.

- Ah ouais, comme quoi ? avait rétorqué Hamilton. Te compter les pustules du derrière ?

La pendule qui ornait l'élégante cheminée en marbre sonna les huit coups, le ramenant à l'instant présent : il allait être en retard.

Il cacha la lettre d'Hamilton dans le roman moldu que lui avait offert Lady Adélaïde – une insipide histoire de vampire très à la mode – puis choisit dans la penderie un élégant costume trois-pièces gris.

Il expédia sa toilette dans la salle de bain marbrée attenante à la chambre (luxe inouï : l'hôtel possédait l'eau courante dans toutes les suites), s'habilla à la hâte, puis vérifia sa mise dans le long miroir.

Père détestait les faux plis. Il passa un coup de brosse sur ses courtes boucles noires, fit avec soin le nœud de sa cravate, tira un peu sur les manches de sa chemise afin que les extrémités soient visibles juste ce qu'il fallait et vérifia que ses chaussures étaient bien cirées.

Enfin, il sortit de sa chambre, prenant soin de la fermer à clé derrière lui.

Il traversa le long corridor au tapis moelleux, esquissant un bref signe de tête au passage d'un domestique, ou s'effaçant lorsqu'une dame venait en sens inverse. Délaissant l'ascenseur, il descendit le majestueux escalier en marbre bordé de petits palmiers jusqu'à la réception.

Il rejoignit la grande salle à manger circulaire, dont les baies vitrées donnaient sur la mer turquoise et un peu houleuse ce matin-là, et repéra un peu plus loin son père.

Lady Adélaïde fut la première à le voir et lui adressa un sourire chaleureux. Archibald se tint très droit tandis qu'il saluait ce qu'il convenait désormais d'appeler « sa famille » : Lord John Twitter, son père, droit et guindé, la moustache parfaitement tournée et l'or de sa chevalière brillant à son petit doigt, lady Adélaïde Ashton, sa belle-mère depuis maintenant quatre mois, la tête recouverte d'un large chapeau d'où s'échappait de grandes plumes d'autruche, et mademoiselle sa demi-sœur Charlotte, ravissante petite peste de deux ans son aînée.

Archibald trouva en lui la force de complimenter lady Adélaïde et son affreux chapeau.

- As-tu bien dormi ? s'enquit-elle, en lui présentant une tasse de thé en porcelaine.

- Parfaitement bien, oui.

Il déplia une large serviette sur ses genoux et piocha dans le petit panier un croissant, tandis qu'un serviteur lui présentait une carafe de jus d'orange pressé et une coupelle de fruits fraîchement cueillis et baignant dans un épais sirop. Tout en déjeunant, il prêta une oreille distraite aux bavardages de Charlotte.

- J'ai lu dans le Tout-Biarritz qu'il y avait un grand magasin de mode situé non loin d'ici, s'extasia-t-elle, les yeux brillants. Pourrions-nous y aller aujourd'hui, papa ?

Archibald refréna l'envie de lever les yeux au ciel. Papa... Père détestait les niaiseries, et jamais il n'aurait osé l'appeler de la sorte.

- Non, Charlotte, dit Père de sa voix profonde. Vous savez ce que je pense de ces endroits qui poussent les honnêtes gens à la consommation, au détriment des petits commerçants qui ont besoin de nous pour vivre.

Charlotte prit une mine déconfite, que sa mère se chargea d'effacer :

- Et si nous décidions quoi faire de cette belle journée ? dit-elle d'une voix joyeuse. Que diriez-vous d'une balade au bord de mer pour commencer ? Nous pourrions admirer les frégates ! Qu'en penses-tu, Archibald ?

« Je pensais plutôt aller me noyer dans l'Atlantique, vous n'y voyez pas d'inconvénient ? » eut plutôt envie de lui répondre Archibald. Il croisa pourtant le regard de son père qui le défia de refuser la proposition.

- J'en serais ravi, répondit-il, résistant à la tentation de se poignarder avec le couteau à beurre.

- Formidable ! Nous allons passer une merveilleuse journée tous ensemble !

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Au plus grand malheur d'Archibald, les journées se suivaient et se ressemblaient. Lady Adélaïde était infatigable, et trouvait toujours de quoi s'occuper : longues promenades, pique-niques improvisés, concerts nocturnes, courses de chevaux, initiation au tennis, partie de croquet... Toujours sous un soleil éclatant et avec le bruit des vagues s'écrasant contre la digue.

Elle entraîna également son petit monde pour une séance de cinématographie, la nouveauté en vogue des Frères Lumières. Archibald admit qu'il passa ce soir-là un excellent moment, en ayant le meilleur fou rire de sa vie quand il regarda pour la première fois l'Arroseur arrosé.

Mais l'ennui le rattrapa, et il commença à compter avec impatience les jours le séparant de son retour à Poudlard. Il n'osait ouvertement demander à Père pour quand était programmé le retour en Angleterre, de peur de se faire rabrouer. Il savait cependant que la saison mondaine n'allait pas tarder à commencer, et que Lady Adélaïde voulait que sa fille fasse son entrée dans le monde. Elles regardaient ensemble les journaux de mode et discutaient chiffons et breloques à longueur de journée.

- Serais-je présentée à la Reine ? s'était inquiétée Charlotte, tordant ses jolies mains blanches.

- Ne te soucie de rien, ma chérie, tu portes un nom prestigieux ! lui avait assuré sa mère.

Sur le moment, Archibald s'était demandé de quel nom elle voulait parler : celui d'Ashton, celui d'un simple secrétaire au service d'un ancien ministre ou celui de Twitter, de la maison aristocratique des Swanson ?

Les derniers jours de juillet furent accompagnés par des trombes de pluies et d'orage. La clientèle fut contrainte de se morfondre entre les quatre murs de l'hôtel, s'occupant comme elle le pouvait en attendant le retour du soleil.

Charlotte fit découvrir les joies du billard à Lord John : rigueur et précision militaire sur un champ de bataille de tissu vert ne pouvaient que plaire à Père. Archibald regarda sans passion les billes d'ivoires s'entrechoquer entre elles : le jeu aurait été nettement plus intéressant si des Bavboules avaient été utilisées !

Il parvint à s'échapper de la vigilance de Lady Adélaïde qui applaudissait à chaque coup porté.

Il erra dans les couloirs de l'hôtel, comme une âme en peine, ne sachant que faire pour s'occuper les mains.

Il aurait dû désobéir à Père et ramener ses devoirs en douce.

Il décida d'aller se réfugier dans la petite bibliothèque de l'hôtel pour passer le temps, qui avançait aussi vite qu'un veracrasse...

Soudain, des éclats de voix provenant du grand hall lui firent lever la tête : une dame houspillait un pauvre groom qui venait de faire tomber ses valises :

- Bougrrre d'Hurrrluberrrlus ! Corrrnichon d'ectoplasmes ! Pignouf des Tarrrtarrres ! Mes valises, espèce de maladrrroit !

Le pauvre homme ne savait plus où se mettre, les oreilles rouges. Le directeur de l'hôtel, entendant les charmantes vociférations de la dame, accourut, et se confondit en excuses. Archibald fut absolument fasciné par le langage très fleuri de la dame et ne put s'empêcher de la regarder attentivement : grande et mince, majestueuse dans sa longue robe de soie noire, elle avait un visage marqué par le temps, éclairé par des yeux vifs et brillants.

- Je suis vraiment désolé d'un tel incident, Votre Altesse... s'excusa le directeur, à grand renfort de courbettes.

Mais elle ne l'écouta pas : son regard avait accroché celui d'Archibald et elle claqua des doigts dans sa direction.

- Es-tu en trrrain de bayer aux corrrneilles, mon garrrçon ? Au lieu de rrrêvasser, viens aider ! Et rrretirrre tes mains de tes poches, espèce de malapprrris !

Archibald s'empressa de lui obéir, sous le regard épouvanté du directeur. Il aida le groom à remettre la dizaine de malles sur les deux chariots, tandis que l'étrange femme signait le registre de l'hôtel tout en bougonnant.

Puis, elle se dirigea d'un pas altier aux ascenseurs, escortée par ses bagages. Archibald calqua ses manières sur celui du groom et entra dans l'habitacle, qui s'arrêta au dernier étage.

Ils suivirent le long couloir jusqu'à la suite impériale, la plus fastueuse chambre de l'hôtel, située non loin de celle qu'occupait Archibald. Il aida le groom à décharger les valises : une bonne attendait dans un coin qu'ils terminent la pénible tâche.

Il ne put s'empêcher de jeter des coups d'œil furtifs à la dame, qui promenait un regard blasé sur le mobilier autour d'elle. Puis, quand il fallut partir, elle octroya de mauvaise grâce un pourboire au groom et à Archibald, qui se retint à grande peine d'éclater de rire.

Il la remercia néanmoins d'une courbette et sortit de la suite.

- Monsieur me voit si confus ! s'exclama aussitôt le groom au teint rouge une fois dans le couloir. Je vous prie sincèrement de m'excuser pour cette regrettable méprise.

- Aucune importante, sourit Archibald, tout en lui donnant le pourboire. Mais qui est-ce ?

- Oh ! Merci Monsieur. Il s'agit de la Princesse Olga Nicolaïevna de Russie... Elle vient parfois ici pour prendre les eaux.

- Et elle a toujours aussi mauvais caractère ?

Le groom regarda autour de lui pour être sûr de ne pas être entendu avant de répondre :

- Toujours Monsieur, chuchota-t-il.

Archibald se promit alors de ne pas croiser le chemin de la Princesse pendant les jours à venir et, après avoir salué le groom, se retira dans sa chambre.

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Il eut cependant l'occasion de la revoir lors du souper : seule à sa table, elle mangeait sans appétit son velouté de crevettes et de champignons, contemplant d'un air maussade la tempête qui faisait rage dehors. Il y avait quelque chose dans cette femme qui mettait Archibald mal à l'aise : il avait l'impression qu'elle essayait de lire ses pensées. Charlotte remarqua son air absent durant le repas : elle suivit son regard et se moqua de sa soudaine passion amoureuse pour la vieille dame.

- Elle n'a pas l'air aimable, constata Lady Adélaïde en portant élégamment à sa bouche un morceau de langouste.

Au dessert, le serveur posa devant Archibald une coupelle de profiteroles dégoulinantes de chocolat. Il sentit son mal de tête s'amplifier, comme si des milliers de picotements essayaient de percer son crâne. Écœuré, il finit par poser sa cuillère.

- Père, puis-je me retirer ? demanda-t-il. Je ne me sens pas bien du tout.

- C'est vrai que tu es un peu pâle, s'inquiéta aussitôt Lady Adélaïde.

Lord John hocha la tête et Lady Adélaïde lui proposa aussitôt un remède composé de menthe poivrée et de lavande.

- Je vous assure, Madame, que ça ira : j'ai juste besoin d'un peu de sommeil.

Il souhaita la bonne nuit, soulagée de fuir la présence intrusive.

Un éclair illumina le ciel et un coup de tonnerre retentit, faisant trembler les murs et vaciller les lumières du couloir qui menait à sa chambre. Poussé par la curiosité, Archibald posa son front contre la vitre fraîche et ses mains en coupe autour de ses yeux, il tenta d'apercevoir la mer déchaînée malgré les paquets de pluie qui s'abattaient avec violence sur la grève.

Il se sentait déjà mieux : sa migraine s'apaisait déjà.

Un nouvel éclair zébra le ciel : toutes les lumières s'éteignirent d'un coup.

- Vive la modernité ! ironisa Archibald en essayant d'apercevoir quelque chose dans l'obscurité.

Soudain, un hurlement effroyable retentit non loin de lui. Le cœur battant, Archibald déchiffra la pénombre. Agacé, il finit par plonger ses doigts dans la doublure de sa veste et retira sa baguette magique, le cœur battant.

Le tonnerre gronda au loin. Archibald murmura un prudent « Lumos ! » avant de s'aventurer dans l'obscurité, tous ses sens en alerte. Avait-il été le seul à entendre le cri ?

- S'IL VOUS PLAÎT, NON ! AYEZ PITIÉ !

Sans réfléchir, il se rua jusqu'à la chambre d'où provenaient les sanglots et les supplications, avant de pénétrer par la porte entrouverte.

- Pitié, pitié, implora une voix, je ne veux pas, je ne...

Il vit un homme à la forte corpulence et au visage déformé par la cruauté. Il se dirigeait d'un pas conquérant vers une petite bonne qui pleurait, recroquevillée sur le sol, sans défense.

Son sang ne fit qu'un tour quand il comprit ce que l'homme songeait à faire. Il n'avait que quatorze ans et était taillé comme une allumette, mais il ne manquait pas de cran.

- Hé ! Laissez-la tranquille ! s'exclama-t-il, sa baguette levée, prêt à se battre.

L'homme détacha son regard de la petite bonne et se tourna lentement vers Archibald, clignant de ses petits yeux porcins.

Clac !

L'homme devint une femme, vêtue d'une longue robe de deuil, le visage caché par un long voile noir. Elle tendit une main implorante vers Archibald, la bouche ouverte en un cri silencieux.

L'esprit rationnel d'Archibald resta pétrifié de longues secondes, stupéfait.

Comment sa mère pouvait-elle se trouver ici, elle qui gisait depuis bientôt cinq ans dans le caveau glacial des Twitter ?

- Maman ? chuchota-t-il, apeuré par cette vision macabre.

Elle avança vers lui, ses bras tendus, suppliante. Archibald sentit plus qu'il ne vit du mouvement derrière lui. La bonne essayait de s'échapper.

Clac !

L'homme obèse l'empêcha d'aller plus loin et la fille, terrifiée, poussa un long cri.

Archibald se serait donné des gifles : comment pouvait-il avoir été si stupide ? Les Épouvantards étaient étudiés en troisième année en cours de Défense contre les Forces du Mal, comment avait-il pu passer à côté d'une telle évidence ?

Rassemblant tout son sang-froid, il rappela vers lui l'image faussée de l'homme bedonnant, lui redonnant une nouvelle fois les traits de sa défunte mère.

- Partez ! cria-t-il à l'adresse de la fille, qui ne se fit pas prier, et qui ne comprenait décidément pas ce qu'il se passait.

Archibald fit de nouveau face à sa mère, se remémorant les cours du professeur Têtenjoy :

« Le rire ! » avait-elle aboyé. « Seul le rire peut détruire un Épouvantard. Et avec ça, un sortilège d'une grande complexité... Allez, montrez-moi ce que vous avez dans la baguette ! »

- RIDDIKULUS ! s'exclama Archibald.

Sa mère trébucha sur sa longue robe et s'étala de tout son long. Mais elle continua de l'implorer dans des râles venus d'outre-tombe. Il leva à nouveau sa baguette, mais aucune pensée cohérente ne se forma. Le chagrin lui broya le cœur...

Comment pouvait-il rire de l'image de sa mère ? Il lui suffisait simplement de tendre sa main, et...

- CERRRTAINEMENT PAS ! vociféra une voix.

Clac !

L'Epouvantard se métamorphosa en un vieil homme à la longue barbe blanche et au regard flamboyant. Sans broncher, la sorcière leva sa baguette et le vieillard se mit à danser avec frénésie, avant d'être renvoyé dans une des malles grandes ouvertes.

- Alorrrs, mon garrrçon ? On essaye de tuer mon Epouvantarrrd que j'ai eu tant de mal à capturrrer ? s'exclama la Princesse Olga en se tournant vers lui. Toi, tu cherrrches les ennuis !

Et des ennuis, Archibald en eut.

Il était un sorcier de premier cycle, ce qui l'interdisait d'utiliser la magie en dehors de l'école. De plus, il avait invoqué un sortilège dans un environnement moldu, ce qui était interdit depuis la signature de la Charte internationale du Secret magique, instituée en 1692.

Et ça, le hibou en provenance du Conseil des Mages de Paris le lui rappela parfaitement dans un jargon juridique fort ennuyeux. Bien sûr, Archibald était mis à l'épreuve, et menacé de renvoi de Poudlard. Quant au Ministère de la Magie à Londres, il serait informé de ses dérapages et une note serait ajoutée à son dossier.

Les menaces habituelles en quelque sorte.

Archibald aurait vraiment pu s'en tirer et personne n'en aurait rien su si le hibou n'avait pas choisi comme destinataire Lord John.

Au beau milieu du Brandy et du cigare, dans le salon réservé à la gent masculine.

Père fut furieux. Il convoqua Archibald dans l'antichambre de sa suite, le parchemin entre les mains :

- Tu as utilisé ta baguette ? s'exclama-t-il, scandalisé.

- Père, je...

- Réponds-moi !

Archibald baissa la tête, frustré. Père ne comprenait pas. Il détestait la magie : il tolérait qu'Archibald aille à Poudlard car sa mère en avait formulé le souhait avant de mourir. Mais Père avait d'autre projet pour lui : il était son seul et unique héritier, détenteur d'un titre prestigieux et d'une colossale fortune. À la mort de Lord John, Archibald deviendrait de facto le septième comte de Swanson. Il allait uniquement à Poudlard pour apprendre à canaliser sa magie, mais, une fois ses ASPIC en poche, c'était une vie de richissime moldu qu'il était destiné à vivre. Pas un sorcier.

- Tu me déçois, lâcha Père.

Sa voix résonna au plus profond d'Archibald, qui sentit la colère étreindre son cœur. Il se redressa, prêt à défendre son héritage magique :

- Si je n'avais pas été là, cette pauvre fille aurait fini par mourir de peur. Les Epouvantards...

- Je me contrefiche de ton épouvantail ! Je t'avais expressément interdit de prendre tes affaires scolaires !

- En cela, je vous ai obéi, Père. Mais vous devez comprendre qu'un sorcier ne se sépare jamais de sa baguette. Et je n'ai pas fait étal de ma magie devant Lady Adélaïde. En fait, je trouve que je me suis très bien comporté !

- Je n'aime pas ce ton, jeune homme ! J'en arrive à penser que Poudlard t'inculque les mauvaises manières ! A moins que ce ne soit tes amis qui...

Lady Adélaïde choisit le moment parfait pour toquer à la porte et entrer :

- Que se passe-t-il ? s'étonna-t-elle en voyant Archibald et Lord John se défier du regard. De quoi parliez-vous ?

- De rien, ma chère, répondit Lord John en reprenant contenance.

- Étiez-vous en train de disputer Archibald ? Pour l'admirable courage dont il a fait preuve ?

Archibald et Lord John tournèrent la tête vers Lady Adélaïde en même temps :

- Quel admirable courage ?

- Tout le monde ne parle que de ça ! s'extasia-t-elle en vérifiant sa mise dans le long miroir en pied. Comment Archibald a sauvé cette pauvre jeune fille des griffes de son ravisseur ! C'est cette délicieuse Princesse Olga qui nous a tout raconté. Ces dames ont qualifié le geste de notre Archie d'admirable !

Puis, elle se tourna vers lui, le gratifiant d'un petit clin d'œil :

- Il me semble aussi que la pauvre créature aimerait te remercier personnellement, rajouta-t-elle en se repoudrant le nez.

Archibald sentit ses joues s'empourprer. Il jeta un coup d'œil à Père, qui semblait être mécontent de la tournure des événements. Il resserra le nœud de sa cravate et passa une main dans sa chevelure.

- Nous en reparlerons une autre fois, dit-il du bout des lèvres. Tu peux rejoindre ta chambre, Archibald. Bonne nuit.

Il ne se le fit pas dire deux fois, et quitta Lord John, la démarche raide, tandis que Lady Adélaïde faisait étal de son soi-disant noble geste.

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Le lendemain, la Princesse Olga lui fit parvenir un mot, lui demandant de la rejoindre sur la terrasse surplombant l'océan Atlantique pour le déjeuner.

Lady Adélaïde se mordit les lèvres, hésitant à envoyer Archibald affronter seul une Princesse.

- Je sais me tenir ! s'impatienta-t-il.

- Il y a un certain protocole à respecter, Archibald, lui répondit-elle en lui faisait signe de s'asseoir à côté d'elle, sur une méridienne. Par exemple, tu dois incliner la tête et attendre qu'elle t'adresse la parole. Tu dois l'appeler « Votre Altesse », puis Madame. Ne lui tourne jamais le dos et ne mets surtout pas tes mains dans les poches. Il est très important de ne jamais froisser une tête couronnée, comprends-tu ?

- Que voulez-vous qu'elle me fasse, soupira-t-il agacé, qu'elle me tranche la tête ?

- Ne ris pas de ces choses !

Il fut enfin autorisé à rejoindre la Princesse : celle-ci s'était installée sur l'une des tables de la terrasse où était disposé un copieux petit-déjeuner. Elle fumait une cigarette d'un air pensif. Archibald ricana : voilà un geste qui n'était pas très royal !

- Votre Altesse, se présenta-t-il en se courbant très légèrement.

La vieille dame tourna vers lui ses yeux de faucon et lui désigna le siège en face d'elle.

- Si tu as faim, mange, lui ordonna-t-elle d'un ton sans réplique.

Archibald ne se fit pas prier et se servit d'une belle assiette d'omelette, de saucisse et de crêpes. Pas une seule fois la princesse Olga ne le lâcha du regard. Tandis qu'il dévorait son repas, il sentit une nouvelle fois sa présence dans sa tête, mais ne dit rien. Il fit semblant d'apprécier la vue des vagues s'écrasant sur la grève.

Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier et se servit d'une tasse de café.

- Une chance que je sois tombée sur un petit sorrrcier, lâcha-t-elle.

Archibald manqua de s'étouffer avec sa bouchée et leva vers elle un regard étonné :

- Ne fais pas cette tête, mon garrrçon : tu sais trrrès bien ce que c'était dans ma chambrrre. Ne t'inquiète pas, j'ai modifié les souvenirrrs de la petite bonne, elle en est quitte pour une belle frrrayeurrr.

Archibald repensa à l'homme obèse et songea que la peur de la bonne était bien plus profonde et insidieuse qu'un Epouvantard.

- J'en conclus que vous êtes une sorcière vous aussi, dit-il. Madame.

- En effet ! Une sacrrrée coïncidence n'est-ce pas ? ricana-t-elle.

- Que faisiez-vous avec un Epouvantard dans votre malle ? demanda-t-il, sa curiosité piquée.

- Oh ça ! Un ami prrrofesseurrr m'a demandé de lui en rrrapporrrter un, si d'aventurrres j'en crrroisais surrr mon chemin. J'ai eu de la chance de trrrouver celui-ci lorrrs de mon séjourrr à Naples.

C'était étrange de parler magie avec quelqu'un – même si ce quelqu'un était une parfaite inconnue.

Dans un geste élégant, la Princesse Olga sortit un étui argenté de nulle part et plaça une nouvelle cigarette au bout de ses lèvres, qu'elle alluma d'un claquement de doigts, sous le regard ahuri d'Archibald. Bientôt, un épais nuage l'enveloppa, lui piquant les yeux.

- Comment t'appelles-tu mon garrrçon ? demanda-t-elle.

Il lui répondit en toussant :

- Archibald Twitter. Madame.

- Poudlarrrd j'imagine ?

- Oui, en cinquième année.

Elle l'enveloppa d'un tel regard qu'il se sentit rougir.

- Alorrrs, nous nous rrreverrrons.

- Je l'espère bien, Madame.

Elle fit un geste de la main pour le congédier, comme lassée de sa présence. Archibald se leva, un peu surpris d'être ainsi chassé. Il regagna alors la salle à manger, avant de se rappeler les paroles de Lady Adélaïde : il pirouetta sur lui-même, s'inclina brièvement et recula jusqu'à heurter la baie vitrée, mais elle l'avait déjà oublié.

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«31 juillet 1896, Biarritz,

Cher Hamilton,

Excellente nouvelle en perspective : je rentre enfin en Angleterre ! Il me tarde de te revoir pour te raconter mes incroyables vacances (me croiras-tu si je te disais que j'ai affronté un Epouvantard ?).

J'espère te voir sur le Chemin de Traverse : quand penses-tu t'y rendre ?

À très bientôt,

Archibald »

Il mit le courrier dans l'enveloppe qu'il scella et rangea le nécessaire d'écriture dans le secrétaire.

Quelqu'un toqua à sa porte et son valet de chambre préposé entra :

- Puis-je boucler les valises du jeune Sir ? demanda-t-il tout en se tenant très droit.

- Oui, soupira Archibald.

Il regarda le jeune homme sortir ses habits du placard et les plier avec soin.

Archibald avait hâte d'être de retour au manoir, hâte de revoir Bastet, hâte de se débarrasser de ses devoirs qui lui pesaient sur la conscience, hâte de retourner à Poudlard.

Il sortit de sa chambre, son courrier pour Hamilton dans la main. Il regretta un court instant que Brutus ne lui ait pas donné de ses nouvelles. Ses amis lui manquaient.

Il prit les escaliers pour regagner la réception de l'hôtel :

- J'aimerais envoyer ce courrier, s'il vous plaît. Pour Londres.

- Cela sera envoyé dans la journée, Sir. Autre chose ?

- Non, merci.

Il salua l'employé puis tourna les talons... pour se retrouver nez à nez avec une créature monstrueuse : grand, le poil rêche et gris, une longue queue, les babines retroussées...

Archibald déglutit péniblement et regretta d'avoir laissé sa baguette dans sa chambre...

- Shadow !

Une silhouette toute vêtue de noir surgit des portes vitrées de l'hôtel, rappelant l'animal à ses côtés. Archibald se sentit stupide d'avoir été effrayé par un chien.

- Vous a-t-il fait peur ? demanda la dame.

Elle avait une voix douce, mais dénuée d'émotion. Archibald nota sa taille bien trop fine, la richesse de sa robe brodée de perles noires, son opulente chevelure ramassée en un chignon compliqué.

- Un peu. Je croyais qu'il s'agissait d'un Sinistros.

- Un quoi ? Oh, peu importe...

Elle voulut passer et Archibald se poussa pour laisser passer l'Impératrice Élisabeth d'Autriche.

Charlotte allait en crever de jalousie.


Bienvenue dans cette toute nouvelle fanfiction! J'espère que ce petit voyage temporel vous a plu, et que le dépaysement n'est pas trop brutal... Une nouvelle ère s'ouvre, avec un nouveau héros, une nouvelle histoire, une nouvelle maison!

Cette fanfiction a été découpé en plusieurs livres, s'étalant des années 1890 jusqu'en 1920 (pour le moment). Elle couvre donc une large période. Archibald suivra l'Histoire avec un grand H, que ce soit à la cour de la reine Victoria ou dans les tranchées de la première guerre mondiale, en passant par un (court) voyage sur le Titanic. Ce premier livre fera au total 12 chapitres, un pour chaque mois de l'année scolaire.

Je vous avoue être à la fois heureuse de vous faire lire ma dernière création originale, mais aussi terrifiée: même si on croise beaucoup de sorciers connus de la saga Harry Potter, ce n'est pas une chronologie très présente sur le site... J'espère en tout cas que l'histoire vous plaira, que Archibald va vous conquérir, et que vous serez au rendez-vous à chaque chapitre!

Je tiens également à remercier AppleCherry Pie, fantastique beta, qui m'encourage et me seconde dans ce long périple qu'est l'écriture...

Je vous dis à très bientôt mes Poufs... Ah non, ça a changé! Mes Serdaigles, désormais (en fait non, vous serez toujours mes Nullos Poufsouffliens...) et je vous donne rendez-vous le 16 mars pour le chapitre 2!

Votre Citrouille