Bonjour,
Bienvenue dans cette nouvelle histoire ! Il s'agit de la première fois que je poste en rating M, et que je travaille sur autant de violence.
Est postée en alternance Sombres Rêves, cinquième tome d'Une Lueur dans l'Ombre qui a pour héros Harry, le Survivant, et son jumeau Lucifer, en restant aussi proche des personnages de JK. Rowling que possible. Si vous êtes intéressés, Les Pièces Secrètes en est le premier tome.
Le Chagrin, et la Pitié n'a aucun lien avec l'univers de Sombre Rêves. Il s'agit de la chute d'un monde vers la destruction de même l'espoir, puis la reconstruction des seuls individus pour s'en souvenir. C'est une histoire de voyage dans le temps, certes, mais c'est aussi une histoire de personnes exilées loin des leurs pour avoir une chance de survivre.
2003, Forêt de Dean
La pluie battante se mêlant à la brume empêchait Harry de voir où il se trouvait. Ses vêtements déchirés étaient alourdis par la boue et le sang, et sa baguette détrempée manquait de lui glisser des mains à chaque foulée parcourue. Il devait parvenir à son but et rien ne pourrait l'en empêcher, ni son bras qui le brûlait, ni sa trachée à l'agonie, ni ses pieds qui collaient au sol et le ralentissaient.
Il aurait voulu se retourner pour vérifier qu'Artemis se trouvait toujours derrière lui mais ils perdraient alors un temps précieux, et en ce temps de guerre, le temps était justement la donnée manquante. Un cri bref très reconnaissable l'alerta et il se baissa juste à temps pour éviter le sort rouge qui manqua de le frôler. Pas le temps de le remercier, pas la nécessité. Ils se rendaient la pareille sans compter. L'auteur du sort n'était qu'une ombre au loin, mais Harry reconnut sans peine la robe noire d'un Mangemort associée à un masque d'argent.
-Avada Kedavra ! hurla-t-il.
Un nouveau cri plus long, plus bas, de reproche cette fois. L'éclair vert était allé se loger plus loin que le Mangemort, qui l'avait évité sans efforts. Un nouvel éclair violet surgit de l'autre côté et le Survivant comprit qu'ils étaient encerclés. Ils désiraient les ralentir et éventuellement les capturer. Ils savaient qu'ils viendraient. A moins qu'ils les aient repérés par hasard.
Il ne pouvait plus courir, son propre corps ne lui obéissait plus, et deux Mangemorts, voir plus se trouvaient dans les environs, prêts à les torturer.
-Voyage ! retentit une voix non loin de lui.
Artemis s'était rapproché dans sa course.
-Non ! répliqua-t-il.
Il avait évité de transplaner pour que l'attention ne se porte pas sur eux, pour pouvoir s'approcher un maximum et trouver le campement provisoire que les Mangemorts avaient établis.
-Avant qu'ils n'y pensent ! siffla Artemis, plus proche encore.
Le visage pâle du garçon, ses cheveux, étaient striés de boue et de rougeurs dûes à la pluie et à l'épuisement.
Harry perçut l'éclair une seconde avant qu'ils ne le reçoivent. Il poussa son ami au sol et ils roulèrent dans la gadoue. Sa baguette brandie il riposta aussitôt par trois sorts de morts consécutifs, espérant que l'un au moins atteigne sa cible. Il sentait le corps tendu à l'extrême d'Artemis en dessous de lui et tenta de le laisser se relever mais de nouveaux sorts fusaient. Le jeune homme devait se rendre à l'évidence : ils devaient transplaner.
-Une demi lieue en amont, annonça son compagnon.
Sans réfléchir, il lui attrapa l'épaule et échappa au sortilège Doloris d'une seconde à peine.
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Le corps décharné d'Hannah s'éleva dans les airs sans un bruit. Etait-elle morte ? Ou survivait-elle encore sans plus aucune force pour faire sortir même un cri de souffrance de sa gorge ? Neville l'ignorait, et cette pensée atteignit son cœur comme un poignard alors qu'il pensait l'avoir si bien protégé sous une carapace d'acier. Elle avait survécu deux ans à cette guerre en tant que membre de l'Ordre, et si courageusement qu'il aurait voulu pour elle la plus magnifique des stèles.
Deux ans entre la vie et la mort, à s'engager en connaissant parfaitement les risques, deux ans à être aussi braves que la plus digne des Gryffondors. Deux mois à survivre, prisonnière des Mangemorts, et deux secondes à croiser ses yeux pour ce qui devait être la dernière fois avant sa terrible mort. Un sentiment d'injustice bouillonnait en lui. Elle allait mourir, ou était morte devant ses yeux sans qu'il sache l'instant exact où elle avait quitté cette réalité mortuaire pour rejoindre leurs amis et familles.
Il sentit le sel des larmes lui brûler les yeux, alors qu'ils ne s'étaient pas humidifiés à la mort de Dean, ni à celle de Daphnée. Mais c'était Hannah. Hannah avec qui il avait partagé près d'un an de sa vie, dont il était passionnément tombé amoureux. Lorsque les réunions de l'Ordre pouvaient encore se tenir de façon hebdomadaire, Harry leur assénait chaque fois que l'amour, si elle était la chose la plus merveilleuse qui pouvait leur arriver même en ces temps troublés, était également la plus dangereuse. Ils risquaient d'être plus sensibles aux pièges et à la rage, or il fallait être capable de contenir leurs sentiments s'ils désiraient survivre et se montrer utiles.
Je ne suis pas venu ici par amour pour Hannah, Harry, songea-t-il inutilement.
Il avait eu des informations par un vieux villageois neutre de sa connaissance qui l'avait contacté : un camp provisoire de Mangemorts avait élu domicile dans le forêt de Dean dix jours auparavant. Neville n'avait eu aucun doute que c'étaient ceux qui avaient fui après l'explosion du Manoir Malefoy, où les pertes des deux camps avaient été considérables, et pas uniquement humaines. Baguettes, ouvrages de valeurs et réserves de nourriture avaient été détruites ce jour là. Il avait tenté un repérage après avoir envoyé le lieu à Harry et aux autres sur la Mornille prévue à cet effet.
Dissimulé en haut d'un sycomore, le jeune homme observait la fille qu'il aimait être un peu plus humiliée et détruite par une bande de Mangemorts, dont il soupçonnait Rodolphus Lestrange d'en être le leader. Alors qu'un nouveau Diffindo venait entamer ce qui restait de chair sur Hannah, Neville en vint à espérer qu'elle soit morte depuis un bon moment. Il aurait voulu que son esprit ait quitté son corps durant ses deux mois de captivité, mais l'amour et le désespoir qu'il avait lu dans ses yeux bleus lorsque leurs regards s'étaient croisés indiquaient le contraire.
Hannah retomba finalement sur le sol sous les rires et Neville s'agrippa fermement à ses branches pour ne pas se ruer sur le tortionnaire de ses parents.
-La petite catin est toujours en vie Avery ? s'enquit une voix nasillarde qu'il reconnut comme celle d'Austin Goldman, un garçon qui avait à peine quitté Poudlard lorsque l'école s'était effondrée.
Non, Merlin je vous en prie, faites qu'elle soit morte, murmura silencieusement Neville en fermant les yeux.
-Eh ! Regarde c'que j'vois Rodolphus ! Y'a un mouton dans l'arbre on dirait, ricana un Mangemort que Neville n'avait jusqu'ici pas remarqué.
Mais avec la lumière du soleil filtrant dans les feuilles des arbres, Macnair, le bourreau, était, lui, en posture de le remarquer.
Ce qu'il venait de faire.
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Artemis s'écarta d'Harry dès qu'il le put, luttant contre l'angoisse qui le submergeait. Il regarda autour de lui, désireux de trouver un indice de l'endroit indiqué sur la Mornille d'Harry. Son ami avait suivi ses directives, nul doute ne pouvait être émis, mais il ne connaissait pas cette forêt. Le Survivant se trouvait à quelques pas de lui et lui fit signe d'avancer.
-Nous allons de nouveau courir, indiqua-t-il.
Artemis acquiesça et ferma les yeux dans une vaine tentative de supprimer les effluves de magie et l'angoisse qui lui enserrait le cœur. Le temps qu'il rouvre ses prunelles claires, son ami courait déjà de façon effrénée et il n'eut d'autre choix que de le suivre.
Douleur. Sexe. Souillure.
Sang. Fouet. Verge.
Neville. Frank et Alice. Eclairs rouges – Doloris.
Souffrance. Famine.
Artemis se mordit violemment la lèvre pour ne pas hurler, trébucha, effectua savamment une roulade dans la boue pour se relever sans un bruit. Il avait reconnu l'esprit capté : Hannah Abbot, née en 1981, membre de l'Ordre du Phénix depuis le 17 décembre 1998, disparue soixante-quatre jours auparavant sans qu'aucun d'eux n'ait plus de nouvelle.
Il devait informer Harry, mais le cri d'avertissement les ferait repérer et ses réserves de magie étaient aussi épuisées que son endurance après ces sprints dératés dans la forêt. Il continua de suivre son ami dans sa course, impuissant et silencieux malgré la douleur, les symptômes et les flashs, malgré son esprit douloureux qui ne désirait qu'abdiquer.
De toute façon, cela importait peu : ils étaient dans la bonne direction. La Magie Noire et le sadisme s'infiltraient dans tous les pores de sa peau et il doutait de parvenir à y résister.
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Neville avait activé son bouclier sitôt que le cri d'alerte de Macnair avait résonné, et il se haïssait désormais de s'être montré aussi imprudent. Tous les membres du camp s'étaient regroupés autour du sycomore. Il s'incita au calme. En six ans, il avait toujours échappé aux Mangemorts. Il survivrait également cette fois-ci.
Sa présence avait le mérite de faire diversion. Harry devait être en chemin depuis qu'il avait reçu le message. Il hésita à transplaner mais ne put se résoudre à laisser ses alliés affronter le campement seul.
Son bouclier était assailli de toutes part et il menaçait d'exploser. Le jeune homme inspira profondément à plusieurs reprises et examina la situation. Sa protection finirait par céder et il ne disposait plus désormais de l'avantage de la surprise. Il ne lui restait plus qu'à agir comme tous les Gryffondors : par instinct. Son bouclier toujours maintenu, il se leva, lança un sortilège d'amortissement sur le sol puis sauta.
Il atterrit dans la clairière auprès du corps d'Hannah. Sa compagne avait les yeux vitreux mais il ne put prendre le temps de vérifier si elle respirait ou non : tous ses ennemis s'étaient tournés vers lui d'un air incrédule. Il réagit le premier, lançant le sortilège de stupéfixion pour en éliminer un, puis visa Lestrange en luttant violemment pour que ce qui sorte de sa baguette ne soit pas autre chose que le sortilège de mort. Il aurait voulu le torturer jusqu'à la folie, mais savait que cette basse vengeance ne lui apporterait pas le retour de ses parents.
-Longdubat, l'agneau en personne ! s'exclama Lestrange dans un éclat de rire. Tu crois pouvoir nous battre, nous six, seul ?
-Je n'ai pas cette prétention, répliqua Neville. Avada Kedavra ! Diffindo ! Endoloris ! Protego ! Incendio !
Ses sorts pleuvaient alors qu'il évitait ceux qui lui étaient lancés. Hannah, il devait récupérer Hannah, ne serait-ce que son corps.
L'amour peut vous sauver mais également être la cause de votre mort. Et si nul ne survit de votre mort, alors cet amour n'a pas sa place dans la situation donnée. Vous ne ferez que du mal.
Les avertissements d'Amelia Bones retentirent dans sa tête et pourtant il n'y prêta pas attention. Rien n'était plus rationnel chez Neville.
LAISSEZ LES CADAVRES ! HERMIONE, LAISSE LE ! NOUS ALLONS TOUS MOURIR, IL N'EST PLUS LA CE N'EST PLUS QU'UN CORPS. LAISSE LE !
Plus qu'un corps… Mais Hannah était peut-être vivante.
Au fil des années l'esprit de Neville avait appris à se dupliquer : il lançait les sorts, se protégeait, se déplaçait avec tant de facilité dans le duel que c'en était presque automatique, il pouvait laisser son esprit vagabonder, essayer de trouver une solution. L'un des éclairs verts avait atteint un Mangemort, un autre avait subi le Doloris mais était de nouveau debout.
Au ralenti, il vit Goldman appuyer sur sa Marque. C'était fini. Voldemort allait arriver.
Neville trouva le temps de se fustiger : il était une cible de choix, le second bras droit d'Harry Potter. Ils voudraient le capturer, lui extorquer ses secrets. Il ignorait s'il pourrait résister, et savait qu'il détenait certains secrets les plus importants.
Aucun sortilège de mort ne lui était envoyé, songea-t-il en esquissant un sourire ironique, passant adroitement entre un maléfice d'entrave et un impardonnable. Ils le voulaient vivant, et ils le tortureraient aussi bien physiquement que mentalement. Il agita la main gauche de manière à créer un bouclier et plongea l'autre dans la doublure de sa veste pour y trouver une pastille d'Artemis. Le nom de code avait été choisi en l'honneur de celui qui avait proposé l'astuce, et à l'horreur du concerné.
Un Doloris parvint à le toucher et il se cambra dans les airs en perdant toute notion du temps. Il gardait les mains crispées sur sa baguette et sur la pastille. Il avait été touché et perdait peu à peu l'espoir de s'en sortir, mais tant qu'il avait ces deux possessions, les choses pouvaient toujours tourner en sa faveur.
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Les jambes d'Harry menaçaient de le lâcher mais il les menait toujours plus loin, au mépris des signaux. Ils devaient approcher, à présent… Courir ne ferait que signaler leur présence plus tôt que prévu. Il ralentit et sa respiration reprit peu à peu une tonalité normale. Ce ne fut qu'à ce moment là qu'il se souvint de ce qu'être accompagné d'Artemis signifiait.
Il se retourna aussitôt, pour voir le garçon à quelques mètres de lui, accoudé à un arbre, luttant pour ne pas tomber au sol et recevant en pleine figure ce qui devait être des émanations des Mangemorts se trouvant non loin. Il jura et fut aux côtés de son ami en quelques enjambées.
-Artemis ? murmura-t-il.
Les yeux dans le vague, il était parti. Harry agita une main devant ses yeux sans recevoir le moindre battement de cil.
-Artemis ! Parle ! Que ressens-tu ? Qui est là bas ? Artemis ! Artemis !
Le garçon sembla enfin entendre ses appels. Il chancela et Harry se garda bien de tenter de le rattraper, sachant ce que pourrait engendrer un contact.
-Sadisme, répondit son ami. Doloris. Joie. Marque !
Le cœur d'Harry manqua un battement. Voldemort viendrait. Et pourtant, il ne pouvait pas laisser Neville là-bas. La Mornille avait indiqué que c'était sa pièce qui avait envoyé le message, et il savait que son ami serait sur place.
-Ils l'ont trouvé, haleta Artemis. Ils l'ont trouvé, il se bat !
Harry crut que son cœur aller s'arrêter. Ses yeux s'élargirent de façon démesurée et il fit demi-tour pour gagner le campement le plus vite possible…
-Non. Harry, tu vas devoir trouver un moyen silencieux de communiquer.
-Plus tard, siffla-t-il, irrité et anxieux.
Ils n'avaient pas le temps de tergiverser.
-Hannah est là-bas, l'informa Artemis.
Le Survivant se demanda si les mauvaises nouvelles finiraient un jour d'affluer. Pourtant, son être se gorgea d'espoir en entendant ces mots.
Ils avaient perdu Hannah lors d'une mission deux mois auparavant et elle était depuis lors portée disparue. Si le campement provisoire provenait, comme il le soupçonnait, de chez le Manoir Malefoy, alors leur amie s'y était trouvée, et nul ne l'avait su durant l'attaque. Ils auraient pu la libérer et la sauver…
-J'ignore si je peux me battre, résonna la voix d'Artemis, le sortant de ses pensées.
Il était pris de convulsions, ses yeux se voilaient peu à peu et il luttait ostensiblement. Harry comprit alors qu'ils allaient, effectivement, devoir trouver un code silencieux.
Pourtant, Artemis se releva, attrapa sa gourde et but, et lui offrit un signe de tête. Il s'était repris. Ils seraient deux de plus contre les Mangemorts, à soutenir Neville et Hannah, si tant est qu'elle soit en état de lutter.
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Les sorts fusaient de toutes parts et malgré les années de luttes qui lui avaient forgé une endurance qu'il avait ignoré posséder, Neville fatiguait. Il ne pouvait continuer à se battre seul contre six Mangemorts, le bras littéralement brûlé par un Incendio qu'il n'était pas parvenu à éviter et le visage lacéré par un sort de découpe qui aurait pu lui trancher un bras. Quant au Sectumsempra que Rogue avait particulièrement aimé utiliser dans leurs anciennes luttes, il avait de la chance d'y avoir échappé pour le moment.
Les deux Mangemorts auxquels il avait le moins prêté attention avaient disparu et Neville pivota sur lui-même et eut la confirmation de ce qu'il avait craint : ils se trouvaient derrière lui. Son bouclier ne cessait de frémir dangereusement et son poignet connaissait de telles distorsions qu'il nécessiterait un baume soignant qu'il n'était pas sûr d'obtenir.
Les partisans de Voldemort aimaient encercler leurs ennemis. Il s'agissait d'une stratégie apparue quatre ans auparavant qui avait par la suite commencé à s'imprimer dans leurs luttes. Harry, Remus, Maugrey et Emmeline Vance avaient passé des heures à trouver une réponse de duellistes qu'ils avaient ensuite enseigné aux membres de l'Ordre, mais Neville ne parvenait plus à l'appliquer seul.
-Avada Kedavra !
De toutes évidence, ses ennemis commençaient également à fatiguer. Le garçon esquissa un sourire sans prendre le temps de lancer une remarque ironique. Ce genre de choses avaient perdu nombre des leurs, Sirius Black compris dans les premières victimes.
-Incendio ! hurla Neville.
Le Mangemort évita son sort de justesse, mais il avait visé l'arbre juste à côté. Le pays était à feu et à sang, dédaigné de tous les autres et ostracisé les biens non-êtres ne comptaient plus.
La forêt s'embrasa au moment où il recevait quatre sort simultanés, des deux côtés. Il fit le choix de façon instinctive : évitant le vert et le rouge, il reçut le violet qui restait inconnu de l'Ordre et le Sectumsempra. Son corps s'ouvrit aussitôt en de nombreuses plaies sanguinolentes qui lui laisseraient des cicatrices, mais après tout, qu'importait ? Le sort violet l'avait réduit à néant, presque inconscient, incapable de tenir sur ses jambes. Au moins, la douleur de l'autre en était-elle amoindrie. Les trois Mangemorts tenant encore debout s'approchèrent de lui, et il distingua une jouissance cruelle dans les yeux de Lestrange.
-Avada Kedavra ! siffla-t-il, luttant contre la fatigue et l'inconscience qui menaçaient de l'emporter.
Si tous, amis et ennemis, s'accordaient sur le fait qu'il donnait du fil à retordre, Lestrange ne s'était manifestement pas attendu à une riposte. Pris de court, trop proche, son corps bascula de façon pitoyable sur l'herbe détrempée.
Neville le regarda chuter alors que ses veines se vidaient douloureusement de son sang, un mince sourire ironique naissant sur ses lèvres. Hannah était étendue à côté de lui, morte ou vivante, perdue ou consciente et il venait de tuer le tortionnaire de ses parents. Une étrange et paisible satisfaction enfla dans son être.
-Merde ! siffla Goldman. Le Maître ne va pas être content.
-Ce que tu peux être stupide ! La perte de Lestrange n'est rien par rapport à Neville Longdubat livré sur un plateau !
Celui qui avait dû être le second du campement s'agenouilla près de lui et commença à marmonner des formules. Le jeune homme sentit ses plaies se refermer alors que ses doigts déjà vidés de leur sang demeuraient froids. Ses forces le quittaient et Harry arriverait trop tard pour le sauver. Il se refusait à être livré à Voldemort. Refusait d'être torturé aussi longuement que ses parents, de comprendre qu'il ferait moins bien qu'eux en livrant des informations, ou d'être incapable de comprendre qu'il avait fait aussi bien parce que son esprit était détruit. Sa main étendue vers Hannah, peinant à maintenir la pastille d'Artemis entre deux doigts, Neville se recroquevilla lentement vers son torse, le reste de son corps ne bougeant plus.
Le sang manquant le fatiguait tant que ses yeux semblaient se fermer seuls. Son bras droit, tenant sa baguette, était brûlé et tout son être n'était plus que souffrance, mais il commençait à s'y habituer. La torsion de la faim et la brûlure de la soif s'étaient effacées au profit de l'adrénaline et de la douleur. Sa main se ramena sur son torse, puis sur son menton et il glissa la pastille dans sa bouche.
-NON !
Le hurlement de Macnair survint trop tard, ainsi que sa tentative désespérée pour lui faire recracher son bien.
-Expelliarmus !
La voix puissante d'Harry retentit et Neville ferma les yeux, se demandant si sa dernière action, comme sa vie entière, n'avait en fait été que stupidité et maladresse.
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Les baguettes de Macnair et Avery volèrent de leurs mains. Le double interlocuteur était une capacité qu'Harry avait acquise durant trois longs et douloureux mois où il n'avait eu d'autre choix que de rester caché à attendre que la lumière ou l'ombre ne se décide à amorcer un mouvement. Artemis brandissait sa propre baguette devant lui, menaçant les Mangemorts à terre du poignard dissimulé dans sa botte qu'il ne délaissait jamais.
-Le Survivant en personne ! ricana Macnair. Quelle bonne surprise.
-Voldemort arrive, prévint Artemis d'une voix blanche.
Harry le vit vaciller dans sa vision périphérique et jura à mi-voix. Il ne devait pas flancher maintenant.
-Pars ! murmura Neville.
Il agita sa main droite derrière lui, espérant qu'Artemis comprendrait le signal. Les Mangemorts avaient dû appeler leur Maître longtemps auparavant, ce qui signifiait qu'il avait été retenu. Avery éclata d'un nouveau rire cruel et appuya sur sa Marque, trois fois.
Harry connaissait ce signal par cœur. Il signifiait directement à Voldemort que ses partisans se trouvaient face à lui. Artemis empoigna sa main juste à temps et il bondit aussitôt sur Neville. Il sentit aussitôt Avery l'empoigner mais ne put rien faire : ils transplanaient déjà dans l'un des Quartiers Secondaires Innocupés.
La maison était en ruine, poussiéreuse et du sang d'anciennes victimes ornait les murs de façon sinistre. Les poutres qui avaient autrefois maintenu le toit encombraient le passage de façon désordonnée. Les genoux d'Harry heurtèrent le sol de façon désagréable et il lâcha aussitôt Neville pour pointer sa baguette sur Avery. Il était impensable de le laisser de nouveau contacter Voldemort. Artemis avait réagi au quart de tour néanmoins, et malgré la fièvre qu'il lut dans les yeux bleus du garçon, il hocha brièvement la tête en guise de remerciement, admirant la façon dont l'acier de son poignard était habilement appuyé contre la gorge du Mangemort, juste assez pour faire couler le sang en cas de besoin.
-Je vais l'appeler, et vous ne pourrez rien y faire, railla leur ennemi.
Harry écrasa sa main gauche de son pied. Il portait des bottes qui firent craquer les phalanges et la maigre satisfaction qu'il ressentit lui soutira un rictus écoeuré.
-Choisis Potter, moi ou ton ami… Ingénieuse ces pastilles, mais encombrantes, n'est-ce pas ?
Ecarquillant les yeux avec horreur, Harry remarqua la mousse blanche qui maculait les lèvres de Neville.
-Non !
Il s'agenouilla aussitôt à ses côtés, sans se douter que son cri faisait écho à celui de Macnair près d'une minute plus tôt.
-Harry… murmura Neville, plus pâle qu'aucun cadavre. J'ai encore tout raté, n'est-ce pas ?
-Je t'interdis de dire une telle chose, rétorqua-t-il fermement.
-Oh que si Longdubat, tu es aussi stupidement inutile que tes chers pare…
Le Survivant devina sans peine qu'Artemis avait appuyé la lame un peu plus fort que nécessaire mais le contact révulsait son ami et il doutait que, dans son état actuel, il tienne bien longtemps. Néanmoins, ils devaient garder Avery en vie, ils devaient pouvoir l'interroger. Il appliqua un silencio basique, mais quelque peu dangereux pour eux, sur le Mangemort.
-Je vais te sortir de…
-'Nutile 'Arry. 'Astille 'révocab', 't'souvi'ns ? articula Neville, quelques bulles blanches s'élevant en même temps que ses mots.
Harry se maudit. Si seulement ils avaient été plus rapides, s'il avait été seul, s'il n'avait pas dû s'arrêter…
-Ye sais pas si 'Anna mort',souffla son second bras droit. 'Voir.
-Il y a eu des cas… commença Harry, cherchant un récipient du regard et envisageant d'enfoncer sa propre baguette jusqu'à la glotte de son ami.
Mais Neville attrapa fermement sa main et la maintint sur son torse.
-'Trop de b'essur', 'Arry. 'Y serait passé au prochain combat. 'Hannah… Probab'ment mort'. Piège, 'y retourn' pas, okay ? Je ne reg'et' pas. Ai eu Lestrange, et affaib'i leur camp'ment.
-Tu nous as été d'une aide précieuse, murmura Harry.
Il fallait qu'il tienne, le temps qu'il trouve de l'aide. Ses blessures n'étaient pas mortelles… ou du moins il avait survécu à pire.
-Ce fut un honneur d-de me battre à t-tes côtés, Harry. D-depuis l-l-le dé-but.
Le désespoir emplissait lentement le Survivant. La résignation gonflait son cœur et son esprit, la tristesse l'engourdissait.
-L'honneur fut pour moi, répondit-il.
Il ne sut si Neville l'avait entendu. Lorsqu'il voulut retirer sa main, ses doigts étaient déjà devenus rigides et ses yeux fixaient le vide.
Lentement, il se défit de son ami, essuya le sang qui maculait ses mains sur ses habits, puis ferma doucement ses yeux avant de l'embrasser sur le front.
-L'honneur fut pour moi, pour l'Ordre, et pour Gryffondor, répéta-t-il.
Puis il se leva et se tourna vers Avery avec une rage peu coutumière.
-Tu sais ce qui t'attends, n'est-ce pas ?
-Et vous osez dire que nous sommes les barbares, siffla Avery d'un air narquois.
Harry haussa les épaules pour balayer l'insulte qui semblait pourtant avoir ajouté encore de la souffrance à son cœur meurtri, bien qu'il ignorât comment ce fut possible. Il jeta un œil à Artemis, qui commençait à trembler violemment, et reconnut les prémices d'une crise. Il traversa la pièce, observa différentes poutres brisées et en choisit une qu'il transforma en hache sans beaucoup d'effort, avant d'en faire léviter une autre près du Mangemort prisonnier.
-Pose ton bras là-dessus, ordonna-t-il sans état d'âme.
Avery se contenta de le dévisager, et Harry sentit la rage embraser ses veines. Artemis hoqueta et gémit, et les yeux de son ennemi se voilèrent. Il s'accroupit devant lui.
-Pose ton bras, cracha-t-il, et je ne me répéterai pas.
Avery consentit finalement à obéir. Il tendit son bras gauche sur le morceau de bois. Harry le contempla froidement. D'ordinaire, il jetait un sort d'anesthésie mais la mort de Neville le laissait emprunt d'une amertume et d'une rage qui ne demandait qu'à exploser, et seule la présence d'Artemis l'empêchait de céder à ses pulsions de folie. Il aurait torturé Avery en représailles d'Hannah, de Seamus, d'Altaïr, mais il ne le pouvait pas. Il était le meneur de la Lumière, et de fait, il ne pouvait pas se permettre de se comporter comme Voldemort. La seule fantaisie qu'il pourrait jamais s'autoriser serait cette monstruosité qui le révulsait et hantait ses nuits blanches. La seule qu'ils aient trouvé jusqu'ici pour empêcher le lien entre les Mangemorts et la Marque. Il leva la hache, vérifia qu'Artemis ne regardait pas –mais les yeux du garçon étaient vitreux et partis dans un autre monde- et l'abattit mécaniquement à la lisière entre le coude et l'avant-bras.
Le membre mort tomba à terre et malgré toute la maîtrise dont il faisait preuve, Avery ne put s'empêcher de hurler à la mort.
Sitôt que l'homme ne constitua plus une menace, Artemis le lâcha et Harry le vit sombrer dans la crise qui menaçait depuis des jours.
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Ils s'activent autour d'Artemis, s'organisent pour transporter le prisonnier dans une geôle sûre, insistent pour que le Survivant nettoie ses plaies, pour qu'il cesse de se préoccuper de celles de Neville qui ne peuvent plus s'infecter.
Un petit garçon en pyjama dans la salle des Gryffondors. « Je suis prêt à me battre ! »
« DE LA LUI DOBBE SURDOUT BAS HARRY » le Ministère de la Magie, du sang sur le visage et sur sa robe de sorcier.
Le même garçon –Neville ? Neville.- démuni devant une femme au même visage lunaire. Flashs, double flashs, douleur, souffrance, doloris. Douceur hors du commun. « Je vais prendre soin de toi. »
« Fuis Harry ne te préoccupe pas de moi ! » Neville torse nu, fouetté jusqu'au sang, les mains écartées tel le Christ sur sa croix.
La main chaude de Neville sur son épaule, puis une étreinte puissante et virile, des mots rassurants murmurés.
Chaleur, affection, admiration. Respect, amitié, confiance.
Douleur, vide, deuil. Deuil, deuil, vide, haine.
Artemis halète et tremble, recroquevillé sur le sol en position fœtale. Les souvenirs affluent dans l'esprit d'Harry, et il sait qu'il serait cruel de lui demander de les contrer. Neville a été le second bras droit du Survivant depuis le début de cette guerre, l'une des personnes en qui il avait le plus confiance. Un véritable ami, capable d'énoncer des vérités parfois dures à entendre, de l'aider et de le guider vers le chemin qui contenait le moins de cadavres embusqués. Sa capacité à mener un combat et à motiver les troupes tranchait avec la douceur dont il pouvait faire preuve dans les moments les plus intimes. Artemis tente de laisser entrer doucement ces flashs et de rendre hommage à leur ami mais ses barrières mentales sont trop fortes et il ne contrôle plus rien.
Il savait que la crise menaçait depuis bien longtemps : ces derniers jours avaient été lourds d'une tension qu'il avait captée et les pertes au Manoir Malefoy avaient affecté la Lumière entière. La dernière mission que l'Ordre avait tenté l'avait affecté, les deux seuls prisonniers libérés lui avaient transmis de nombreux souvenirs, et dans les bousculades les contacts s'étaient faits trop nombreux pour qu'il puisse le supporter.
Le Seigneur des Ténèbres surplombait l'audience. Avery s'inclina et s'avança à la mention de son nom. Il donna à son Maître les informations arrachées à la dernière prisonnière en date, qui leur avait coûté de nombreuses heures. Elle était coriace et déterminée. Loyale –une ancienne Poufsouffle selon Vincent Crabbe.
La petite catin leur avait donné de fausses informations, mais ils parviendraient à lui extorquer ses connaissances. Ils la briseraient… Elle avait un petit corps si frêle. Macnair se réjouissait des nouveaux hématomes qui apparaissaient chaque jour sur sa peau pâle.
Le Manoir était en flamme. Ils devaient récupérer la petite catin. Ils avaient fini par briser sa résistance, la dernière information qu'elle leur avait livrée s'était avérée réelle et, pour une fois, pas en décalage. Un bout de toit tomba près d'Avery qui souleva sa cape au dessus de lui par réflexe. Les vitres brisées avaient répandu du verre partout. Il chancela, toussant à cause de la fumée et peinant à respirer, puis ouvrit une trappe secrète menant aux prisonniers. S'ils devaient n'en prendre qu'une, ce serait elle. La puanteur des geôles le prit comme chaque fois à la gorge. Devant lui, dans les quatre cages abritant des êtres vivants restants, se trouvaient quatre morceaux de choix : leur prisonnière, la môme Delacour enceinte jusqu'aux dents, le traître Harper et, si défiguré qu'on ne pouvait le reconnaître, Charlie Weasley avec son bras en moins et ses yeux crevés…
Au moment où ces souvenirs revinrent en écho dans son esprit, Artemis hurla à s'en déchirer les poumons et agrippa ses genoux, ses ongles passant à travers le tissu déjà déchiré. Les yeux hermétiquement clos, il laissa sortir sa souffrance et son horreur sans pouvoir contrôler ni les mouvements de son corps ni les sons qu'ils produisaient, commençant à se balancer contre le parquet plein d'échardes.
-Ils vont venir, soupira une voix masculine qu'il fut incapable d'identifier où perçait une once de peur. On doit le faire taire.
-On ne peut pas, répliqua une femme.
Le garçon savait qu'il devait s'arrêter. Nul n'était en état pour une nouvelle bataille et pourtant ses cris continuaient de résonner, impitoyables alors que ses yeux révulsés sous ses paupières se remplissaient de larmes et que son cerveau à l'agonie renvoyait sa souffrance dans son corps et son âme.
Il sentait sa magie échauffer sa peau et savait que l'explosion était proche…
-Artemis ! Artemis ! Artemis !
La voix d'Harry retentissait depuis quelques instants déjà mais il ne parvenait pas à l'atteindre. Son ami se tenait relativement loin de lui, mains tendues pour empêcher une catastrophe de se produire. Il pouvait le sentir à cette distance.
-Artemis ! Artemis ! Regarde moi, Artemis. Artemis.
Il aurait donné sa magie sans hésiter pour être capable de répondre à la requête du Survivant, mais le deuil et l'horreur continuaient de s'infiltrer dans sous ses paupières et les barrières qu'il avait érigées se brisaient comme un barrage.
-Artemis ! 14 Juillet 1789. Quoi ? Où ? Son contenu ?
Révolution Française. Prise de la Bastille. Mais Harry voulait la Déclaration des Droits de l'Homme, le…
Le cadavre d'Altaïr, méconnaissable et les cris de sa jeune sœur. La chair qui commençait à gangrener, l'odeur immonde qui s'en dégageait…
-Artemis ! 6 Juin 1944. Nom. Place.
Opération Neptune, plages de Normandie…
Luna avait été grièvement brûlée. Ce qui subsistait de ses vêtements collait à sa peau et…
-Low Lie, The Fields of Athenry, where once, we watch, the small free birds fly. A quel évènement la chanson fait-elle référence ?
-Our love was on the wind. We had dreams and songs to sings.
Une deuxième voix féminine s'était jointe à la tonalité grave de Harry. Artemis se saisit enfin de la main qu'on lui tendait pour le ramener à la réalité.
-Famine en Irlande, haleta-t-il, sa voix rendue rauque par ses cris. By a lonely prison wall, I heard a young man calling. Nothing matters Mary while you're free.
Against the Famine and the Crown, I rebelled, they took me down. Now you must raise our child with dignity. Low lie…
Ses yeux papillonnant s'ouvrirent pour apercevoir Harry, Tonks et Raj dans la pièce. Avery avait disparu. Son regard chercha instinctivement deux émeraudes.
-Pardonne-moi… murmura-t-il.
-Il n'y a rien à pardonner, répondit fermement Harry.
Artemis secoua misérablement la tête et s'efforça de se lever, s'écartant brutalement lorsque Raj, le voyant vaciller, voulut l'y aider.
-Nous retournons à Poudlard, murmura Harry. Pose ta main sur mon bras.
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Le bureau d'Harry se trouvait dans ce qui avait jadis été la Salle des Trophées, juste derrière la Grande Salle. Sur les étagères trônaient quelques reliques rescapées des multiples attaques que Poudlard avait subie ainsi que les rares livres ayant échappé aux flammes des Mangemorts. La bibliothèque qu'Hermione avait tant chérie ne se réduisait plus qu'à une vingtaine d'ouvrages sur des sujets divers, allant de Veracrasses, Botrucs, Nifleurs : quel intérêt à l'élevage ? aux Noirceurs les plus profondes et leur pouvoir d'attraction, en passant sur deux livres de fictions, dont un exemplaire sorcier non édulcoré de Dracula que les adolescents avaient le droit d'emprunter à partir de dix ans à condition de le rendre dans l'état où ils l'avaient trouvé. Une tapisserie dissimulant un passage que tout le monde connaissait permettait néanmoins une sortie de secours en cas d'attaque.
Sur le bureau en bois, poli par des membres de l'Ordre et réfugiés qui s'ennuyaient, étaient dispersées des notes, des papiers, des requêtes et des lettres de réclamation ou suppliant un réconfort que le Survivant n'avait que très rarement la force de leur donner. Isobel et Duncan, deux jumeaux de douze ans qui avaient vu leurs parents déchiquetés par les crocs de loups-garous et les griffes de gobelins s'occupaient de les trier pour lui, et portaient celles qu'ils avaient sélectionnés à la dizaine d'enfants volontaires qui ne pouvaient pas encore se battre. Ils y répondaient avec leur fraîcheur et leur candeur, leurs espoirs et leurs maladresses, et cela leur faisait une occupation relativement saine. De temps à autres, une correspondance se nouait et ils avaient l'obligation de la reporter à leur Tuteur, Denis Creevey, qui vérifiait le contenu. Ils avaient récupéré quelques membres de cette façon, et également décelé quelques traîtres ou exploits dangereux.
Après avoir vérifié qu'Avery était en lieu sûr, Harry avait accueilli les informations d'Artemis en gardant un masque impassible et un bouclier entre ses émotions et son cœur avant de se restaurer. Il s'était enfermé dans son bureau afin de réfléchir. L'Ordre avait toujours soupçonné que les prisonniers des Mangemorts devaient être plus prêts d'eux qu'ils ne l'imaginaient, et il avait donné l'ordre de les rechercher durant l'attaque du Manoir Malefoy. Entre les flammes, les projections d'objets dont la noirceur aurait même fait pâlir Regulus Black, les missionnaires avaient lancé nombre d'Hominum Revelio avant de quitter les lieux, sans résultats, et les cadavres éparpillés et les blessés à soigner les avaient dissuadés d'aller inspecter les décombres.
Le Survivant soupira puis ouvrit le tiroir destiné aux fichiers de membres de l'Ordre portés disparus. Gabrielle Delacour avait disparu une année auparavant après une dispute avec son aînée, et toutes les recherches pour la retrouver n'avaient abouti à rien. Leurs espions eux-mêmes n'avaient obtenu aucun renseignement, comme si l'insignifiance de la jeune fille dissuadait les Mangemorts de s'intéresser particulièrement à son cas, laissant le soin de la traiter à leurs sous-fifres. Quant à Charlie qui avait constitué durant une longue période leur allié le plus prometteur, Voldemort en personne avait monté un commando d'élite afin de s'en emparer après que les dragons du jeune Weasley aient mis à feu et à sang une partie de l'Ecosse et ait permis à l'Ordre de reprendre le contrôle des ruines encore flamboyantes de Poudlard. De ce qu'Artemis avait vu de lui, il avait refusé de collaborer et en avait payé un fort prix.
Il devait s'entretenir avec son bras droit dans les plus brefs délais. Une nouvelle expédition devait être préparée dans l'urgence jusqu'aux souterrains de ce qui restait du Domaine Malefoy. Les réunions visant à atteindre Saint Mangouste dans l'espoir de mettre les mains sur des remèdes en bon état seraient retardées, les entraînements des futurs membres de l'Ordre, maintenus.
Harry passa une main dans ses cheveux trop longs. Lorsqu'il était toujours un adolescent, avant la mort de Cédric, ils avaient été coupés courts, en brosse et indomptables sur son crâne et sa nuque. Depuis le début de la guerre, il n'avait plus eu le temps de les entretenir, de les couper, ni même l'envie de s'en soucier. Son visage taillé à la serpe et aux diffindos, son corps musclé et couturé de cicatrices et ses yeux émeraudes éteints qui le fixaient lorsqu'il se trouvait par miracle devant un miroir encore intact avaient remplacé le petit garçon malingre qui ressemblait tant à son père. Mais jamais James Potter n'avait eu à affronter la mort de ses meilleurs amis : il était parti en premier. Ses dangereuses missions au sein de l'Ordre n'avaient rien eu à voir avec les opérations quasi-kamikaze dans lesquels son fils unique se lançait chaque jour, chaque nuit.
Il ignorait où il menait ses alliés, et combien de survivants il resterait lorsque la Lumière reprendrait enfin le contrôle du Royaume-Uni. Les moldus qui avaient pu évacuer le continent l'avaient fait et les pays voisins les avaient accueillis. Le Gouvernement Britannique avait prétendu une famine et des épidémies dont les survivants devaient à tous prix s'éloigner, et Rufus Scrimngeour s'était épuisé à faire en sorte que chaque moldu présent sur le territoire soit déclaré sain de cette maladie imaginaire et puisse être accueilli par les amis du Common Wealth. La branche sorcière de l'ONU avait installé des camps de réfugiés moldus à Guernesey et des camps sorciers à Jersey mais nul ne venait plus sur les terres britanniques et nul n'intervenait, les laissant s'entre tuer.
Hermione avait l'habitude d'expliquer qu'ils craignaient que Voldemort ne s'en prenne à eux plus tôt que prévu en représailles selon elles, ils se préparaient néanmoins à riposter sitôt que le Mage Noir tenterait une approche vers eux. Mais l'Ordre était parvenu à endiguer les éventuels rêves d'immensité des Mangemorts et ils opposaient une résistance si farouche qu'ils devaient se focaliser sur les batailles se déroulant sur le sol qu'ils ne parvenaient pas entièrement à prendre.
Des centaines et des milliers de sorciers avaient péri dans les batailles, en dommages collatéraux, en civils ou en sujets d'expériences ou d'otages. Il n'existait pas un individu qui ne soit pas endeuillé. Et Neville venait de mourir. Neville, qui avait été aux côtés d'Harry depuis leurs onze ans, qui avait montré maintes fois qu'il était digne de Gryffondor, qui se battait à l'épée de Godric plutôt qu'avec la baguette de son père. Neville qui l'avait réconforté dans ses pires nuits, qui avait accepté Artemis sans questions ni solutions.
Harry se leva brusquement et envoya valser les papiers se trouvant sur le bureau, les lettres et les suppliques. Il flanqua un coup de pied dans le meuble et un coup de poing dans le mur, sentant sa magie échauffer ses veines et la peine gonfler son cœur. Les larmes obstruaient sa vision et coulaient sur son visage. Il tomba sur le sol, le corps secoué de sanglots silencieux. Le moment n'était pas venu pour se laisser aller de la sorte mais il ne pouvait se contenir plus longtemps. Il avait perdu plus qu'aucun, avait donné plus qu'aucun et à vingt trois ans à peine, se retrouvait leader dans l'enfer. La perte de Neville avait brisé ses barrières émotionnelles et la crise d'Artemis l'avait ébranlé.
Il ne voyait plus l'intérêt de continuer à se battre, n'éprouvait plus aucune joie à imaginer la façon dont il pourrait reconstruire le monde. Nul ne vivait plus, tous survivaient et souffraient, la faim au ventre, le cœur en lambeaux.
Dans les jeunes heures d'un jour où la mort, les larmes et le sang régneraient de nouveau, Harry James Potter pleura dans les bras consolateurs et si tentateurs de la nuit.
Il se releva, comme il se relevait toujours, car il n'avait pas le choix, et se servit un verre d'un alcool brûlant et insipide avant de ramasser le désordre et de se rasseoir, le verre coincé entre l'index et le majeur de sa main gauche. Il restait l'amour et l'espoir de ceux qui se tenaient à ses côtés instant après instant, mort après mort, victoire après défaite. Cet amour brûlant dans les yeux de Fleur et de Bill, pour l'un et l'autre et pour Hope dans les yeux des frères et sœurs dans ceux des amitiés bien plus fortes qu'en temps de paix. C'était grâce à l'amour qu'il était vivant, c'était parce qu'il restait l'amour qu'ils se battaient.
Le Survivant ferma les yeux dans le but d'éclaircir son esprit épuisé. Artemis n'avait pas déclenché de telle crise depuis près de six mois, et il ignorait dans quel état mental il récupérerait le garçon. Il voulait croire qu'il serait toujours aussi fort et désirait sa présence au Manoir Malefoy, mais il avait vu ses yeux révulsés et les efforts déployés pour le faire revenir avaient été considérables et donc inquiétants. Dans ses meilleures heures, Artemis était un ami indéfectible et plus loyal et plus fiable que le propre esprit d'Harry. Dans ses pires heures, il était un enfant, un jeune frère à protéger mais dangereusement instable, impitoyablement menaçant pour ses alliés.
Le Manoir Malefoy… L'alcool avait engourdi ses sens et les dernières cinquante heures s'étaient écoulées sans qu'il songe à dormir. Sa tête penchait vers le bureau, sa température corporelle baissait et lui rappelait à quel point le château était froid désormais. Les images de Ron et Hermione venaient entraver ses lectures des fiches de disparus… Les grands yeux marrons de Ginny vinrent le guider jusqu'au repos provisoire et salvateur.
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Rares étaient les endroits de Poudlard à avoir survécu aux batailles et aux destructions volontaires. La Chambre des Secrets, qui abritait à présent les prisonniers de guerre, un laboratoire et un champ d'entraînement, ainsi que la Salle Commune des Serpentards, comme tous les lieux qui se trouvaient sous terre faisaient parti de ce qui en avait réchappé. La magnifique prouesse magique que représentait la Salle sur Demande ainsi que les salles communes de Gryffondors et Serdaigle avaient explosé et disparu dans les flammes. La salle commune de Poufsouffle, en revanche, tenait relativement bien malgré le sang qui maculait encore ses murs et quelques pans de tentures brûlés. C'était le lieu qu'avait choisi l'Ordre du Phénix pour se réunir, et c'était également dans ses dortoirs que dormaient membres de l'Ordre, familles et Alliés, entreposés dans les quatorze dortoirs différents.
Harry avait regagné Poudlard pour la première fois depuis deux mois, et il avait aussitôt programmé une réunion de l'Ordre. Les tables autrefois réservées aux études avaient été accolées les unes aux autres et Phénix et Flammes avaient pris place, mais ils étaient désormais trop peu pour cette grande salle imposante. Les sièges des morts avaient été retirés par respect et ceux des disparus ou blessés qui demeuraient vides augmentaient de façon déchirante.
Le Survivant se plaça en bout de table et se leva. L'impatience le gagnait de plus en plus et il ne parvenait plus à se contenir. Il craignait que les deux mois passés à vagabonder et à interroger les serpents tout en combattant des ennemis en compagnie d'Artemis ne l'aient poussé à bout. Le garçon disposait du premier siège à sa gauche et se tenait droit, regardant fixement devant lui, ayant autant récupéré que possible. Le deuxième siège à droite n'était plus, il avait rejoint les autres recouverts d'un linceul blanc et Harry réprima les sanglots qui enserraient sa gorge avec fureur. Il n'avait pas le temps de pleurer Neville.
-Quelles nouvelles ? s'enquit-il en se saisissant de la plume qu'il laissait généralement à portée de main.
Il n'était nul besoin de les informer de la mort de Neville. Tous savaient, et leurs traits livides étaient plus affaissés qu'à l'ordinaire. L'espoir les quittait peu à peu et il ne parvenait pas à trouver la force nécessaire pour les redresser.
-Pénélope nous a transmis son compte rendu hebdomadaire, déclara Bill. Luna est définitivement sortie d'affaire et elle se remet peu à peu, mais elle a le côté droit entièrement brûlé et elle n'est pas sûre de pouvoir faire repousser ses cheveux.
-Je ne crois pas que ça dérangera Luna, lança Terry Boot, en relevant le coin des lèvres.
Quelques commissures s'élevèrent, ombres de sourires depuis trop longtemps disparu. Harry hocha la tête en direction de l'aîné des Weasley, l'incitant à continuer sur les nouvelles. Bill secoua doucement la tête, l'air désolé.
-Il n'est rien de nouveau sur le reste Harry… Si, elle émet l'hypothèse que Neil ait franchi un nouveau pallier dans sa rémission.
Artemis tourna violemment la tête et le meneur de la lumière put lire un éclat de profond espoir dans ses yeux bleus. Il devina que Pénélope avait émis des réserves.
-Qu'en est-il d'Hermione ? s'enquit-il d'une voix plate et neutre.
Son corps ne réagit même plus, il le lui avait interdit trop longtemps auparavant.
-Elle ne s'est pas réveillée, Harry, répondit doucement le rouquin.
Il pouvait sentir sa sollicitude et aurait voulu la lui faire ravaler. Il n'était plus un enfant et il n'avait pas besoin de protection.
-Abelforth ? enchaîna-t-il, par acquis de conscience.
-Il est stationnaire.
Harry aurait voulu claquer violemment la porte de la Salle Commune à en faire vaciller ses protections et hurler sa frustration tout son soûl mais il se contint. Il fit passer son regard sur les autres membres. Nymphadora lui avait donné les informations dont elle disposait après qu'ils aient emprisonné Avery, Parvati venait de reprendre sa place après sa grossesse.
-J'ai retrouvé Septima, murmura une voix grave.
Harry se tourna aussitôt vers son auteur pour croiser deux yeux argentés dans lesquels se lisaient le deuil et le désespoir.
-Nous pouvons enlever son siège. Sa couverture est tombée et ils ont visiblement voulu s'occuper d'elle, mais elle a été plus rapide en utilisant une Pastille d'Artemis. Son cadavre était intact.
Un silence lourd de tristesse et de fardeau se fit, et du coin de l'œil, Harry observa le plus jeune membre de l'Ordre élever ses mains devant son visage. Il inspira profondément.
-Nous l'honorerons au souper, déclara-t-il d'une voix rauque.
Ils avaient perdu une espionne. Septima Vector, le professeur d'Arithmancie qu'Hermione avait admiré et respectée avait été chargé de se joindre à l'Ombre, auprès des familles qui avaient rallié Voldemort et que Rabastan Lestrange chargeait des plus basses besognes.
-Artemis ! la voix grave claqua pour rappeler le garçon. La pastille lui a empêché l'humiliation et lui a conféré une mort plus douce.
La sévérité dans sa voix rappelait qu'il avait été un père et qu'il avait éduqué son fils d'une main de fer. Artemis déglutit et ses mains cessèrent leurs ondulations pour retomber sur la table.
Harry soupira et ferma brièvement les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, le silence était toujours aussi complet et assourdissant. Il posa ses deux mains sur la lourde table et se pencha en avant. Il avait acquis des qualités d'orateur au fil des années.
-Comme vous le savez tous, Neville a retrouvé les Mangemorts du Manoir Malefoy en fuite. Il s'est admirablement battu avant de céder et a entraîné Rodolphus Lestrange dans sa chute. Nous avons capturé Avery, il se trouve en ce moment dans la Chambre des Secrets. Raj a cautérisé sa plaie. En le touchant, Artemis a obtenu des informations sur les prisonniers.
Leur soulagement à l'annonce de la mort de Lestrange avait été perceptible. Ils buvaient ses paroles avec une attention décuplée.
-Ils avaient pris Hannah et elle est morte auprès de Neville, mais d'autres prisonniers se trouvaient dans le Manoir Malefoy. Des prisonniers que nous n'avons pas pu trouver.
Il regarda son bras droit, qui frémit avant de relever la tête avec courage.
-Ils ont mis la main sur Harper, qui est en sale état, mais surtout, Gabrielle Delacour et Charlie Weasley s'y trouvaient.
Des hoquets retentirent mais il dut les couper. Il refusait de sentir la joie infiltrer la salle alors que les descriptions d'Artemis soulevaient le cœur.
-Gabrielle est enceinte et Charlie est mutilé à l'extrême mais ils étaient vivants il y a trois semaines. Nous allons monter une équipe de secours et nous partons dès que possible. Je veux que ces agents soient reposés et nourris en priorité avant la mission, et nous commencerons à la préparer dès la fin de la mission. Je la mènerai personnellement. Artemis vient avec nous.
Il croisa les deux yeux argentés et leur propriétaire hocha la tête avec résignation.
-Raj, ajouta-t-il, ainsi qu'Ernest et Dirk. Nous auront besoin de renfort et de duellistes.
Son bras droit, Bill et Parvati se proposèrent simultanément mais il n'accepta que les deux derniers.
Il fit ensuite un tour de table, où tous pouvaient s'exprimer. L'atmosphère était soudainement devenue électrique. La nouvelle que trois alliés et prisonniers avaient été retrouvés agitait leur soirée morbide d'autant plus que deux d'entre eux avaient dépêchés nombre de missions de renseignement et de sauvetages. Ils recherchaient le jeune Dragonnier depuis plus de trois ans désormais et sa survie, autant que sa réapparition, tenait du miracle. Harry aurait désiré donner du répit à Artemis, mais seul lui savait où se trouvait précisément l'entrée des geôles.
-La pleine lune se tiendra ce soir, déclara le garçon de son intonation monocorde.
-Harry ! s'interposa aussitôt Amelia Bones.
Le Survivant observa les réactions des membres de l'Ordre. Eux qui avaient autrefois lutté pour le pacifisme et la justice arboraient un visage égal. La figure de Parvati se tordait même d'une avidité qu'elle essayait de réprimer. Elle avait perdu sa jumelle de par la faute de ceux qui avaient élu le Manoir Malefoy comme quartier général et ils avaient retrouvé la tête de Padma plantée sur un pic en trophée.
L'écoeurement gagna le Survivant avant qu'il ne le renvoie au plus profond de lui. Il ancra ses yeux dans ceux argentés de l'homme devant lui.
-Lucius ? demanda-t-il.
Le visage pointu de son ancien ennemi s'étira en un sourire désabusé.