Tony apparut dans l'encadrement de la porte de la cuisine, s'avançant, il alla jusqu'à la machine pour se servir un café. A combien en était-il exactement ? Peter suivit vaguement son mouvement des yeux avant de rebaisser son regard sur sa propre boisson. L'ingénieur se servit une tasse et vint s'asseoir autour de l'îlot central. « Alors, ça avait l'air d'une soirée difficile ? » Observa Tony. Peter ne releva pas son nez de sa tasse fumante de chocolat et se contenta de hocher la tête. « Envie d'en parler ? » Lui proposa l'ingénieur. Peter remua mal à l'aise, il était sur le point de refuser quand il se souvint de ce qu'il avait dit à la jeune femme qu'il avait sauvé de la mort ce soir… Parler était la solution… Bien sûre il avait déjà parlé, s'en était déjà sorti… Mais, pourtant, le fantôme de Skip… était toujours là, pas tout le temps, pas constamment, mais il revenait, à une fréquence régulière… Un éclat de bleu et de blond dans la rue, une tape amicale dans son dos, « Einstein »… le mot était comme un putain de poison dans son cerveau… Il pouvait le sentir, avec lui, ce soir, comme s'il… comme s'il était là encore, refaire ce qu'il faisait à son corps d'i ans… Est-ce que… Il pouvait le dire à Tony ? Est-ce que… Il aurait moins mal s'il se confiait à celui qui était presque devenu son père au fil des mois qui avaient passé ?

« Je… j'ai vu cette fille, sur le rebord d'un toit… je l'ai empêché de sauter et on a un peu parlé… elle m'a dit pourquoi… pourquoi elle voulait sauter, parce qu'on lui avait fait beaucoup de mal et je… ça m'a rappelé des choses… » Commença-t-il. Lui qui avait parlé si facilement, si aisément, sur le rebord de ce toit, il avait la gorge sèche à présent et les mots sortaient difficilement… « Ça devait être un sacré truc… Et du coup, c'était quoi ces choses ? » Poussa l'ingénieur. Peter souffla, fermant les yeux, il prit une inspiration profonde. « J'avais un ami quand j'étais petit… un ami plus âgé… » Commença-t-il, rouvrant ses yeux, il se força à redresser la tête et à rencontrer le regard de Tony. Il n'aurait pas peur, il n'aurait pas honte… Ici, sous l'éclairage faible de l'halogène de la cuisine, il était en sécurité, ici, avec son ami, mentor, presque un père pour lui, il était en sécurité. C'est le mantra qu'il essayait de répéter à l'intérieur de sa tête alors que les mots pesaient sur sa langue…

« Il s'appelait Skip et… tout était parfait… j'étais ce garçon timide et renfermé qui n'arrivait pas à se faire d'ami et soudainement… Skip est apparu et il était cool, plus âgé, et le plus important, il voulait être mon ami… » Il déglutit, fermant les yeux et baissant la tête, ses mains se serrèrent autour de la tasse de chocolat. « On passait beaucoup de temps ensemble, à jouer à des jeux stupides, le genre auquel on joue quand on a 9ans… On était tellement proche qu'il a proposé à mon oncle et ma tante de me garder, pour qu'ils puissent avoir un peu de temps pour eux… Tout se passait parfaitement bien… jusqu'à qu'il… » Il s'arrêta et souffla profondément, à ce stade de la conversation, si on pouvait toujours appeler ça une conversation, on pouvait entendre une mouche voler dans la pièce et Stark ne respirait quasiment plus et avait son regard fixé sur le jeune garçon.

« Un jour… Il a amené ces magasines, c'était des magasines pour adultes et… il a voulu qu'on les regarde ensemble puis qu'on… qu'on reproduise les… les images… » Il entendit un bruit fort et releva soudainement les yeux pour rencontrer la tasse de café de Tony éclatée sur le plan de travail et le café fumant se répandant sur la table… Un filet mince de sang courrait sur la paume de sa main. Tony, silencieusement, se leva, et attrapa la trousse de secours dans le placard de l'évier. Il fit couler l'eau, rinça sa main et appliqua rapidement un bandage de fortune, il demanderait à Bruce quelque chose de mieux, et d'autres petites choses très certainement… Mais pour l'instant, il se satisferait d'un peu de gaz enroulée autour de sa main.

Peter était resté complètement silencieux depuis qu'il avait brisé la tasse, et quand il se tourna vers lui, il vit son visage livide et l'humidité dans ses yeux, des larmes qu'il se refusait de verser. En croisant son regard Peter ne put s'empêcher de rajouter, dans une soudaine précipitation : « Je le voulais pas… je voulais pas… » L'ingénieur agita sa main valide devant lui, Peter suivit le mouvement des yeux. « Je sais, gamin. » Dit-il avant de faire le tour de la table pour venir précautionneusement s'installer à côté de lui. « Hey, c'était pas ta faute, tu n'y étais pour rien… » Continua-t-il. Peter renifla, ses yeux voyageant sur le plan de travail, à la tache de café oubliée et aux éclats de porcelaine… « Je te remercie de me l'avoir dit. Est-ce que… ta tante est au courant ? » Interrogea Tony.

« Ouais… je… j'ai fini par leur dire… au bout de quelques mois… » Répondit-il en fixant ses yeux dans le chocolat brun de sa tasse. Tony souffla, il tendit une main pour son épaule mais s'arrêta dans son mouvement. « Ça va si je te touche ? » Demanda-t-il précautionneusement. Le garçon hésita quelques secondes avant de hocher prudemment la tête et Tony étendit sa main pour toucher son épaule. Peter trembla un peu, avant de se détendre, puis il se tourna et posa sa tête sur l'épaule de l'ingénieur et Tony passa ses bras autour de lui. « C'est bon, gamin… » Rassura-t-il en le serrant doucement. Il sentit les larmes froides venir glisser et imprégner sa chemise. Il posa une main réconfortante sur le sommet de sa tête. « Eh, c'est bien de pleurer, ok ? Tout va bien, tu es en sécurité maintenant… » Est-ce qu'il l'était se demanda Tony. Est-ce que ce Skip pouvait encore toucher à son garçon ? Pas sous sa montre en tout cas… Il s'écarta légèrement et posa ses mains sur les épaules de Peter, le fixant. Le jeune homme releva la tête et plongea dans les orbes sombres.

« Est-ce que ce type… est en prison ? » Demanda-t-il avec sérieux. Peter baissa les yeux et hocha la tête. « Bien… » Soupira l'ingénieur avec un certain soulagement. La prison n'était pas suffisante à son avis pour quelqu'un qui avait posé ses mains sur son araignée, ou même sur n'importe quel enfant… Mais c'était toujours mieux que de le savoir dans les rues, arpentant les routes à la recherche de gamins vulnérables, comme l'avait été Peter. Néanmoins, il sonderait un peu plus tard pour obtenir le nom complet du gars et il s'assurerait qu'il resterait seul et enfermé dans une cellule pour assez longtemps… Mais pour l'instant, pour l'instant, il avait besoin de ramasser les morceaux de l'adolescent pleurant dans ses bras. Il avait encore tout un tas de questions, comme as-tu vu un psy ? En as-tu besoin ? Il pouvait payer pour ça… Avait-il aussi besoin de voir un médecin ? Même si c'était… la chose était ancienne. Mais ça ne coûtait rien que Bruce le voit au moins… Mais pas maintenant… Il n'avait heureusement pas vécu cette merde, mais il en avait vu d'autres, il savait que Peter avait besoin de se reposer en ce moment, la nuit avait été longue, trop longue, et il n'irait certainement pas dormir maintenant, pas avec toutes ces images en tête.

« Eh, que dirais-tu d'aller faire quelques expériences cool dans le labo ? » Suggéra Tony, le labo était très certainement un terrain émotionnellement sûr pour Peter et il y avait toujours ce bon vieux canapé dans lequel il pourrait dormir un peu et Tony serait là en cas de besoin… Le gamin hocha la tête, levant ses mains à son visage pour essuyer ses yeux et ses joues mouillés. Il était assez fatigué en réalité, et pas certain de tenir bien longtemps éveillé, mais il n'avait pas non plus envie de dormir, pas après cette soirée, les ombres tout autour de lui semblaient trop épaisses, trop effrayantes… Ils se déplacèrent tranquillement jusqu'au labo, aucun d'entre eux ne semblait vouloir parler, Peter était trop fatigué et Tony trop préoccupé pour que chacun entretiennent leur bavardages habituels. Alors, ils passèrent la longue descente en ascenseur jusqu'au labo dans le silence. Friday leur ouvrit les portes et ils entrèrent tous deux dans le laboratoire et Tony commença à expliquer ce sur quoi il travaillait à Peter, le gamin écouta religieusement mais à mesure qu'il parlait il semblait gagné par l'épuisement. Tony le fit s'asseoir sur le canapé, il se retourna pour aller allumer quelques écrans, continuant son verbiage, et quant il regarda dans la direction du canapé, l'enfant semblait endormi…