.AMOK TIME.
chapitre 3 Ugaya - Engagement
Précédemment :
─ Je n'ai pas entendu un mot de ce que vous avez dit, et je vous emmènerai sur Vulcain d'une manière ou d'une autre.
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Tout est tranquille, sur le passerelle. Nul n'a la moindre idée du drame qui est en train de se jouer. Uhura interrompt la rédaction de son rapport pour prendre la communication entrante du Capitaine :
─ Lieutenante, passez-moi l'amiral Komack à Starfleet Command, secteur neuf. Transmettez-le au bureau de McCoy.
─ Starfleet Command. Oui, Monsieur.
Le duo qui pilote le vaisseau a tout entendu
─ Monsieur Sulu, Grommelle Chekov. Vous ne pensez pas que…
Les deux hommes échangent un regard dépité
─ Peut-être devriez-vous calculer une trajectoire sur Vulcain, juste au cas où… Suggère Sulu avec pertinence
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Le Capitaine est sorti de sa cabine depuis environ 19,57 minutes, Spock se lève avec difficulté. Il modifie les tonalités de la lumière de sa cabine, afin qu'elle se rapproche le plus possible du spectre électromagnétique de sa planète natale. Il remet un cône d'encens à brûler aux pieds de la statue de Ti'Valka'ain.
Les yeux mi-clos, il prend de grandes et longues inspirations afin d'emplir son odorat de cette fragrance réconfortante. Hélas, cette tentative d'apaisement est inefficace, sa psyché reste rétive à toute velléité de méditation.
Spock saisit sa ka'athyra et s'assoit dans le fauteuil face à son lit. Sa lyrette l'a toujours aidé à gérer ses émotions inopportunes. Il joue lentement sans chercher à produire de mélodie précise. Il focalise son esprit sur la façon dont vibrent les cordes, les fréquences des harmoniques des sons qu'elles produisent, leurs intensités acoustiques…
Note après note, accord après accord, son esprit retrouve un semblant un équilibre.
L'interphone siffle et fait éclater la précaire bulle de paix qu'il était difficilement parvenue à obtenir.
─ Communication pour M. Spock. Ici le lieutenant Uhura. Le capitaine m'a demandé de…
Envahi par une rage incontrôlable, il se lève d'un bond, la main contractée en un poing tremblant
─ Kal'uh t'nash-veh awek'es ! [Laissez-moi tranquille!]
Son poing s'abat sur l'écran
─ KAL'UH T'NASH-VEH AWEK'ES
Sa colère décuple sa force. En trois coups, il réduit l'écran de son ordinateur en une compression informe…
son esprit sursaute à la vision du moniteur. Il reconquière une infime partie de son contrôle, juste assez pour ne pas fracasser sa fragile ka'athyra sur le bureau… Cette interruption lui a fait perdre un temps précieux, il doit tout recommencer!
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Le Capitaine James Tiberius Kirk a pris sa décision, rien ne pourra l'en détourner.
Il rejoint McCoy à l'infirmerie afin de le rassurer : il fera ce qui doit être fait. Il le retrouve dans son bureau, sans prêter attention à la présence de Miss Chapel dans la pièce d'à coté
Uhura a obtenue la communication demandée avec l'Amiral et la transfère dans l'ordi du médecin.
L'amiral James Komack est un homme d'une soixantaine d'années, aux cheveux blancs et aux sourcils broussailleux. Il écoute la requête du Capitaine Kirk et ne cache pas sa perplexité:
─ Capitaine, vous faites là une demande des plus inhabituelles.
Kirk se tient bien droit face à la caméra, le visage grave :
─ J'en suis conscient, Monsieur, mais c'est de la plus haute importance. Vous devez me donner la permission de me détourner vers Vulcain.
─ Mais vous refusez de m'expliquer en quoi cela est si important ? ! Comprend l'Amiral
─ Je ne peux pas, monsieur, mais… croyez-moi, je ne ferais pas une telle demande…
─ Altair Six n'est pas une affaire ordinaire. Cette zone est en train de se reconstruire après un long conflit interplanétaire. Cette inauguration stabilisera l'ensemble du système d'Altaïr. Pontifie l'Amiral inflexible. Notre présence sera une démonstration d'amitié et de force, grâce à laquelle l'Empire Klingon saura à quoi s'en tenir.
Kirk et McCoy échangent un regard dépité
─ Monsieur. Insiste Kirk avec véhémence. Le retard serait, au plus, d'un jour. J'ai beaucoup de mal à croire que…
─ Vous vous rendrez à Altair Six comme ordonné! Vous avez reçu vos ordres. L'affaire est close. Starfleet terminé! Réplique l'Amiral en mettant fin à la communication
─ Voilà qui est réglé. Commente McCoy
─ Non, cela ne l'est pas! Se rebelle Jim. Je sais comment cela se passera à Altair. Nous serons l'un des TROIS vaisseaux. Très impressionnant, très diplomatique, mais ce n'est tout simplement pas vital.
Assise à son bureau, Miss Chapel ne perd pas un mot de la discussion. Elle aussi s'inquiète pour Monsieur Spock.
─ Vous ne pouvez pas aller sur Vulcain contre les ordres de Starfleet! Proteste McCoy inquiet pour son ami. Vous seriez pris au piège.
─ Je ne peux pas laisser Spock mourir! Le puis-je, Bones ? Et il mourra si nous allons sur Altair. Je lui dois la vie une bonne douzaine de fois. Cela ne vaut-il pas une carrière ? Gronde Kirk en arpentant la pièce de long en large. Il s'arrête et fixe McCoy de son air décidé.
─ Il est mon ami.
McCoy se tait, que pourrait-il dire ? Il connaît les tendances sacrificielles de Jim, rien ni personne ne pourra faire changer d'avis cette tête de mule. Et d'une certaine façon, il l'approuve, même s'il se refuse à l'admettre.
Kirk s'assoit au bureau du médecin, sa décision est plus irrévocable que jamais. Il est prêt à en assumer toutes les conséquences, quelles qu'elles soient.
─ Passerelle. Navigation.
─ Passerelle. Navigation.
─ Monsieur Chekov… Calculez un cap vers Vulcain…
Miss Chapell pousse un cri muet de soulagement. Spock est sauvé! Elle se lève sans attendre la fin des ordres que le Capitaine transmet au navigateur.
─ …Dites à l'ingénierie que je veux une vitesse de distorsion de huit minimum. Poussez le vaisseau au maximum!
─ Cap déjà tracé. Je le mets en place, monsieur.
─ Je vois. Très bien. Procédez, Monsieur Chekov. Kirk, terminé.
Les deux hommes échangent un long regard: son sort est désormais scellé.
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Miss Chapel est déjà dans le couloir et parcourt les coursives en essayant de ne pas courir. Son cœur bat si vite. Comme ce turbolift est lent! Elle s'arrête à la porte de Monsieur Spock. Elle hésite. Peut-elle se permettre de s'introduire dans son intimité? La chassera-t-il à nouveau dans un hurlement de fureur indignée? Elle doit savoir comment il se porte! Et cela même si elle doit à nouveau subir sa colère et son rejet.
Elle entre. La pièce est plongée dans une pénombre teintée de rouge, elle baigne dans une odeur d'encens aussi étrange qu'agréable. Monsieur Spock n'est pas à son bureau, alors elle va jusque dans sa chambre.
Il est là, sur son lit, allongé sur le côté, si immobile. Il lui tourne le dos, elle ne voit pas son visage, mais elle devine qu'il doit dormir profondément. C'est mieux ainsi, il ne se rendra pas compte de cette intrusion. Elle contourne le lit, s'approche de lui. Elle tend la main vers lui, pour l'effleurer, caresser ces cheveux de soie noire. Elle se ravise, cela ne se fait pas de toucher sans son consentement une personne endormie . Aussi discrètement que possible, elle sort de la chambre.
La voix de Spock l'arrête :
─ Miss Chapel.
Il n'y a aucun courroux dans sa voix, elle paraît plus calme, profondément lasse.
L'infirmière se tourne pour lui faire face.
─ Oui, Monsieur Spock ?
Il s'assoit sur son lit. Son corps est si lourd, ses gestes si lents, comme si l'air était devenu solide. Il chasse cette réflexion inopportune de son esprit et dit d'une voix pensive:
─ J'ai fait un rêve des plus surprenants. Vous essayiez de me dire quelque chose, mais je ne pouvais pas vous entendre.
Une larme coule des doux yeux bleus de Miss Chapel, elle glisse le long de sa joue. Elle n'a jamais vu Spock dans un tel état, si fatigué, si affaibli, elle devine une souffrance qui le ronge et qu'il lui cache.
Il se lève avec difficulté et repousse son aide d'un signe de la main
─ Il serait illogique de notre part de protester contre notre nature. Ne croyez-vous pas ?
─ Je… ne comprends pas.
Il est logique qu'elle ne puisse pas appréhender la situation dans laquelle ses gènes Vulcains l'ont piégé. Mais il la sait dotée de ce sixième sens propre aux humains, nommé empathie. Un trait qu'elle partage avec Jim et le docteur McCoy. Il la rejoint. Doucement, il lève la main vers son visage et essuie la larme de son doigt en murmurant
─ Vous avez le visage humide
Miss Chapel ne veut pas embarrasser Spock avec cette compassion qu'il doit juger irrationnelle. Il faut qu'elle se domine, elle le doit, alors elle se raccroche à la réalité :
─ Je suis venue vous dire que nous sommes en route pour Vulcain. Nous y serons dans quelques jours.
Spock hoche la tête. Jim a tenu parole.
─ Vulcain. Répète-t-il douloureusement
C'est plus qu'elle ne peut en supporter. Miss Chapel fuit vers la porte pour éviter de fondre en sanglot, mais la voix de Spock stoppe à nouveau dans sa fuite
─ Miss Chapel.
─ Je m'appelle Christine. Répond-elle avec une profonde tristesse, sans même se retourner
─ Oui, je sais, Christine. Répond-il d'une voix douce
La délicate sollicitude de la jeune femme est étrangement réconfortante. Il l'a traitée si grossièrement quelques heures auparavant.
─ Voudriez-vous me préparer un peu de cette soupe au plomeek ?
Un immense sourire illumine le visage de la jeune femme
─ Oh, j'en serais très heureuse, Monsieur Spock. Répond-elle avec émotion
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L'Enterprise est enfin en orbite autour de la planète Vulcain. Spock est resté cloîtré dans sa cabine durant tout le trajet, à méditer afin de contenir ses accès de perte de contrôle. L'exercice s'est avéré de plus en plus éprouvant.
Kirk, McCoy et Spock se sont donnés rendez-vous dans le couloir, ils entrent ensemble dans le turbolift
─ Passerelle. Dit Kirk de sa voix décidée
Spock se tourne à demi vers McCoy :
─ Il est évident que vous avez deviné mon problème, Docteur. Mes compliments pour votre perspicacité.
McCoy ne sait quoi répondre. Pour être honnête, il ignore comment réagir à ce compliment. En temps normal, il aurait jeté une petite pique ironique au nez du Vulcain, mais là, il n'a pas la tête à le taquiner ou le provoquer.
─ Capitaine, il y a une chose… qui arrive aux Vulcains durant cette période, une sorte de folie que vous trouveriez sans aucun doute déplaisante.
─ Vraiment ? Minimise Kirk avec un demi sourire, vous avez été très patient lors de mes sortes de folies.
Il se souvient très bien de ce jour où un dysfonctionnement du téléporteur l'avait séparé en deux êtres que tout oppose. C'était au tous débuts de leur mission quinquennale.
L'un de lui avait hérité des aspects les plus sombres de sa personnalité : violent, amoral, narcissique, autoritaire, incontrôlable, dangereux et surtout prêt à tout pour conserver le commandement de son vaisseau l'Enterprise. L'autre, profondément doux, altruiste, bienveillant, indécis, avait été désespéré de se découvrir dépouillé de toutes ses facultés d'autorité. Après être redevenu lui-même, il avait été presque effrayé par la brutalité de cette part de lui-même, cet autre-lui, dont il avait refoulé la plus grande partie des pensées et souvenirs.
Spock et lui n'étaient pas encore amis à l'époque, mais un profond respect les liaient déjà. Jim avait été si désemparé ce jour-là. Spock avait été un soutien précieux, loyal, indéfectible, un roc auquel il avait pu se raccrocher.
Spock comprend le sous-entendu mais reste imperturbable. Il devine à quoi son ami fait référence : ce jour étrange où Jim fut scindé en deux. Sa Krus-Vuhlkansu (part Vulcaine de son esprit) se révolte aussitôt à cette pensée : il n'est pas un Humain, il ne saurait avoir d'irrationnelles intuitions. Cette réminiscence est une déduction. Lui aussi conserve en sa mémoire ces évènements aussi étranges qu'instructifs. Il avait découvert ce jour-là que la psyché de Jim, tout comme la sienne, est partagée entre deux êtres que tout oppose, krus-glu-rom he krus-glu-rasahkos [moitiés profondément bonne & mauvaise]. L'individualité unique de Jim, les nombreuses qualités qui font de lui un bon capitaine, sont la résultante de fins ajustements et équilibres entre ces deux antagonismes...
─ Alors... accepteriez-vous de vous téléporter à la surface de la planète et vous tenir à mes côtés ? Il y aura une brève cérémonie.
Kirk ne voudrait pas commettre un impair diplomatique en plus de son acte de désobéissance.
─ Est-ce permis ?
─ C'est mon droit. Explique Spock avec solennité. La tradition veut que l'homme soit accompagné de ses amis les plus proches.
Kirk prend la mesure de l'honneur qui lui est fait
─ Merci, Monsieur Spock.
Spock tourne son regard vers le médecin:
─ Je demande également à McCoy de m'accompagner.
McCoy masque son étonnement, ému par cette invitation, il répond avec une emphase involontaire, alors que Kirk ne peut contenir un sourire complice
─ J'en serai honoré, monsieur.
La porte s'ouvre sur la passerelle
─ Capitaine. Dit aussitôt Uhura. Nous sommes en attente sur les fréquences d'appel Vulcain, monsieur.
─ Ouvrez le canal, Lieutenante.
Il se tourne vers l'écran principal et se tient bien droit. McCoy est à sa droite, et Spock entre eux-deux.
─ Ici l'USS Enterprise demandant la permission d'entrer en orbite standard.
Une voix neutre leur répond.
─ USS Enterprise, du Centre Spatial Vulcain. Permission accordée. Et de la part de tout Vulcain, bienvenue. Le commandant Spock est-il avec vous ?
Kirk comprend qu'ils étaient attendus. Il laisse la parole à son officier en second
─ Ici Spock.
─ Préparez-vous à activer votre écran central, s'il vous plaît.
L'infirmière Chapel arrive à son tour par le turbolift, pour apporter à McCoy le pad qu'il lui avait réclamé.
─ Docteur, que se passe-t-il ?
─ Shhh... Se contente-t-il de répondre
L'écran s'allume sur l'image d'une très belle Vulcaine. Son visage est d'un ovale parfait aux pommettes harmonieuses. Ses yeux bruns, en amande, sont ombragés par de longs cils et maquillés d'un fard azuré qui donne à son regard plus de profondeur. Sous un petit nez droit, ses lèvres délicates sont relevées d'un gloss léger. Ses cheveux d'encre noire sont coiffés avec raffinement en une couronne agrémentée de barrettes de perle et en une lourde natte qui coule derrière son cou. Le port de sa tête est altier, son attitude distante.
Elle prend la parole d'une voix cérémonieuse :
─ Spohkh, Nam-tor ish-veh nash-veh [Spock, c'est moi.]
Il lui répond avec la même solennité :
─ T'Pring, k'wuhli kwi'tnash-veh he ri-k'wuhli, worla heh kwon-sum esthulan heh sa-esthulik… [T'Pring, séparée de moi et jamais séparée, jamais et toujours touchée et touchante...] Fa-snagel etek na' latva shi [Nous nous retrouverons à l'endroit prévu.]
─ Spohkh, k'wuhli kwi'tnash-veh he ri- k'wuhli, worla heh kwon-sum esthulan heh ko-esthulik . Vohtau nash-veh t'du [Je t'attends.]
L'écran s'éteint, Uhura demande avec émotion
─ Elle est ravissante, Monsieur Spock. Qui est-elle ?
─ C'est T'Pring… Ma femme.
La stupéfaction est générale. McCoy fronce les sourcils, Jim les hausse imperceptiblement, quant à Miss Chapel, elle tourne un regard étonné vers Spock. Elle comprend mieux à présent sa réserve vis à vis d'elle. Elle ne peut qu'approuver son honnêteté et sa loyauté envers cette femme.
Sans un mot de plus, Spock retourne dans le turbolift, accompagné par le Capitaine et le médecin. Ils ne font même pas un détour pour revêtir une tenue de cérémonie. Il n'y a pas une seconde à perdre : Spock atteint peu à peu ses limites.
À suivre...
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phrases en Vulcain, alors qu'elles sont en Anglais dans l'épisode
Il m'a semblé pertinent de faire parler Spock en Vulcain lorsqu'il est seul dans l'intimité de sa cabine, et encore plus alors que ses processus mentaux sont altérés par les fièvres du Pon Farr.
De même, il est plus logique que sa fiancée et lui usent de cette langue pour cet échange hautement rituel
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