Notes : Eh oui, déjà plus d'un an que cette fic n'a pas été updatée, et pour cause ! Je pense que ceux qui n'étaient pas encore au courant l'auront compris par l'annonce claironnante postée dans le résumé : "Changer le passé" est bel et bien abandonnée. Pourquoi poster ce chapitre, alors ? D'abord pour m'assurer que tout le monde sera une bonne fois pour toutes au courant, et ensuite pour mettre un point final à ce qui était resté en suspens si longtemps. Le document publié ci-après n'est nul autre que le début du chapitre 18, commencé il y a de cela belle lurette et jamais fini, puisque c'est entre deux paragraphes que j'ai fini par jeter l'éponge. Il ne sert pas à grand-chose, à force de rester tout seul dans mon disque dur à prendre la poussière, alors autant vous le soumettre. ;)

Qui plus est, je profite de cette dernière mise à jour pour vous annoncer que je viens de terminer un résumé de ce qui aurait dû être la fin de cette histoire. Le résumé en question est sans doute terriblement bâclé, je ne doute pas d'avoir oublié une douzaine de petits détails et je n'en suis pas très fière, mais si vraiment vous sentez que vous ne pouvez pas en rester là (ce qui serait compréhensible étant donné la fin en queue de poisson de ce dernier "chapitre", vraiment désolée T.T), l'adresse se trouve en bas de page.

EDIT : Ayant fermé la ML sur laquelle le résumé était hébergé, j'ai tout compte fait dû rajouter celui-ci à la suite du chapitre 18. La séparation étant clairement marquée, si le résumé ne vous intéresse pas, inutile de lire plus loin qu'à peu près la moitié de la page. ;)


Harry étouffa un bâillement en refermant la porte de ses appartements et passa une main encore endormie sur ses paupières.

Il était 7 heures du matin, et tout son organisme réclamait avec moult larmoiements sa dose journalière de caféine. De temps en temps, lorsque la journée était déjà bien avancée et que ses neurones acceptaient sans rechigner de coopérer, il lui arrivait de se demander distraitement si ce genre d'accoutumance pouvait un jour s'avérer handicapante. Mais pas avant sa première tasse de café. Définitivement pas.

Il dépassa les portes des chambres de Thomson et O'Brien sans y prêter attention et prit la direction de la Grande Salle en mode automatique, tout en rassemblant machinalement ses cheveux pour les attacher dans son dos. Les quelques rares élèves qu'il croisa se contentèrent de lui adresser un sourire poli et légèrement amusé, connaissant à présent les habitudes matinales du troisième de leurs professeurs de Défense Contre les Forces du Mal. Mais bien sûr, il y en aurait toujours pour se moquer d'un pauvre hère en manque de café, n'est-ce pas ?

« Saluuut, professeur Daviiies !! »

Harry jeta un coup d'œil par-dessus la balustrade de l'escalier qu'il descendait et adressa un regard noir manquant singulièrement d'intensité à Sirius. L'impudent lui faisait de grands signes de la main depuis l'étage inférieur, un large sourire insolent aux lèvres. Derrière lui, James fixait également l'Auror d'un œil un peu trop narquois à son goût.

Depuis qu'il avait réussi l'exploit exceptionnel de toucher Harry de plein fouet lors de la Grande Bataille de Neige — notez les majuscules, s'il vous plaît — de la rentrée, une semaine auparavant, James se montrait d'une effronterie insultante. Seuls deux autres élèves étaient parvenus à l'égaler, un Serdaigle qui avait su se montrer exceptionnellement intuitif et un Serpentard dont la ruse faisait honneur à sa maison. Les autres projectiles, et Merlin savait qu'il y en avait eu, n'avaient fait que le frôler pour les plus efficaces, ou s'écraser contre un arbre ou un buisson pour ceux qui n'avaient pas prévu sa capacité d'esquive.

Il pouvait comprendre que le jeune homme soit fier de lui — à vrai dire, il l'était aussi — mais bon… Voilà, quoi !

« Bonjour » grogna-t-il en réponse avec une mauvaise foi évidente.

Le sourire de James s'agrandit et Harry fronça faiblement des sourcils dans sa direction, avant d'agiter une main qui se voulait impérieuse avec une moue presque boudeuse. Remus obéit et s'avança pour prendre ses deux comparses par les épaules afin de les entraîner vers la Grande Salle, non sans adresser à leur professeur un sourire se voulant poli, mais camouflant difficilement son propre amusement. Harry tourna un regard morose vers le dernier membre du groupe infernal qui cherchait vainement à contenir son rire. Peter saisit son coup d'œil, poussa pour faire bonne mesure une légère exclamation plus hilare qu'effrayée, et tourna précipitamment les talons pour rejoindre ses amis qui s'éloignaient.

Avec un soupir à fendre l'âme, Harry reprit sa descente d'une démarche mécanique.

Quelques minutes plus tard, il atteignit la Grande Salle et se dirigea vers son siège d'un air digne, snobant au passage magnifiquement Minerva, comme tous les matins depuis une semaine. Et comme tous les matins depuis une semaine, le professeur de Métamorphose lui adressa un regard plus amusé qu'offusqué et retourna à son assiette de pancakes. Harry ne songea cependant pas longtemps à s'en vexer puisqu'il avait déjà fondu sur la cafetière et engloutissait avec enthousiasme le précieux liquide. Comme tous les matins depuis une semaine.

Lorsqu'Albus les gratifia à son tour de sa présence au petit déjeuner, dix minutes plus tard, le cerveau de Harry avait eu droit à sa dose minimum et coopérait déjà avec beaucoup plus d'enthousiasme, aussi répondit-il avec bonne humeur au salut joyeux du directeur de Poudlard.

Peu de temps après, le courrier se décida à arriver et déversa sur les élèves son lot de hiboux, à mesure qu'ils passaient les fenêtres placées en hauteur dans la Grande Salle. Harry accueillit le volatile lui tendant la Gazette et le remercia de quelques bouts de bacon assez bien reçus. Tandis qu'il nourrissait avec détachement le rapace, cependant, une vague de murmures étonnés emplit brièvement la salle.

Surpris, Harry releva la tête et jeta un coup d'œil curieux aux élèves, avant de décocher un regard en coin à Albus. Il aurait juré que le vieil homme lui avait adressé un bref coup d'œil, mais il ne montrait à présent plus aucun signe d'intérêt envers lui tandis qu'il repliait soigneusement son propre exemplaire de la Gazette. Harry laissa le hibou chiper un dernier morceau de bacon dans son assiette avant de s'envoler, et ouvrit enfin le journal qu'il venait de recevoir.

La première page ne titrait rien de spécial, en dehors d'un énième conflit entre les gouvernements magiques britanniques et turcs à propos des tapis volants importés plus ou moins légalement en Grande-Bretagne. Harry finit par trouver ce qu'il cherchait en page 4, noyé sous un monceau d'informations allant de la tenue du prochain Congrès des Chaudrons à la mise en vente d'un nouveau type de Biéraubeurre non alcoolisée. Le choc fut inattendu et Harry dut se retenir consciemment de laisser quoique ce soit s'afficher sur son visage.

Il entreprit de lire l'article en maintenant une expression aussi poliment intéressée que possible.

« Un laboratoire de recherche magique mis à sac !

« Le laboratoire d'Anne Potter, chercheuse en matière de progrès magique, a récemment été investi par plusieurs sorciers inconnus ! C'est ce qui a été révélé il y a peu par l'Auror Jonathan Whitney, chargé de l'enquête, qui a ensuite tenu à s'abstenir de toute déclaration. Rien ne semble avoir été volé et Mme Potter a confirmé au Ministère de la Magie qu'aucun de ses actuels projets n'était manquant, et que ses notes ne semblaient pas avoir été dérangées. Les protections magiques très poussées dont bénéficiaient le labo ont cependant été franchies avec beaucoup d'efficacité, et l'on peut avancer l'hypothèse qu'un groupe de sorciers peu scrupuleux auraient pu chercher à s'approprier un ou plusieurs des projets pour les revendre au plus offrant sur le marché noir, mais auraient été interrompus avant de pouvoir mettre leur plan à exécution.

« En attendant les résultats de l'enquête, le laboratoire de Mme Potter sera soumis à une protection renforcée du Ministère de la Magie afin de prévenir toute nouvelle tentative de vol. »

Harry replia posément la Gazette et la reposa près de son assiette.

'Des voleurs… Histoire bancale, aucune date précise fournie' récapitula-t-il brièvement. 'Il y a l'ombre du Ministère derrière tout ça ou je ne m'y connais pas.'

En temps normal, une histoire pareille aurait été diffusée dès qu'elle serait parvenue aux oreilles des médias. Le fait qu'aucune date n'ait été donnée dans l'article voulait probablement dire que quelqu'un cherchait à couvrir le retard avec lequel l'affaire avait été diffusée à la presse.

Harry jeta un coup d'œil détaché à la table des Gryffondors et nota l'air sombre de James, apparemment très occupé à fusiller sa Gazette du regard. Bon nombre d'élèves à travers la salle lui jetaient des coups d'œil curieux, avant de se détourner précipitamment en apercevant le regard noir que Sirius leur envoyait en réponse, pendant que Peter essayait manifestement de persuader James que faire cramer le journal ne lui apporterait pas grand-chose de productif.

De toute évidence, Anne n'avait pas jugé nécessaire de prévenir son fils de l'incident, ce qui voulait probablement dire qu'elle n'avait eu aucune intention de laisser filtrer l'information et que la fuite s'était faite à son insu. Harry ne doutait pas que James se levait justement de table pour se précipiter à la volière et demander des explications.

Albus se leva à son tour de la table des professeurs pour regagner son bureau, et Harry s'attacha à ne pas paraître lui accorder d'importance. Quelques secondes plus tard, il ramassa son journal et sortit de la Grande Salle d'un pas désinvolte.

Il semblait qu'Anne se soit décidée à agir juste à temps.


James jeta la lettre sur la table en un mouvement de mauvaise humeur flagrante. Le hibou de l'école réagit par quelques battements d'ailes affolés et lui jeta un regard de reproche, avant de reporter son attention sur les quelques biscuits de Miamhibou que le jeune homme avait laissé à son intention. James ignora totalement le volatile et se renversa en arrière pour s'affaler dans son fauteuil, le visage sombre.

'"Je ne voulais pas t'inquiéter", mon œil !'

Le laboratoire de sa propre mère se faisait cambrioler, et il était le dernier à être au courant ! Si Jonathan, l'ami de son père qui avait tenté de se charger de l'enquête en toute discrétion, n'avait pas laissé échapper par mégarde ce fragment d'information à un journaliste, il ne l'aurait probablement même jamais appris. Et maintenant, Jonathan risquait sa place parmi les Aurors pour s'être emparé de l'affaire sans la permission de ses supérieurs, et James était furieux.

Les activités exactes de sa mère lui avaient toujours semblé nébuleuses, étant donné la discrétion qu'elle s'attachait à accorder à ses recherches, mais de plus en plus ces derniers mois, il avait l'impression que ses parents lui cachaient quelque chose. D'abord, la mort de Tom, l'assistant d'Anne qu'il avait rencontré à une ou deux reprises, puis la nécessité soudaine d'avoir un Auror à la maison pour les protéger pendant les vacances, et à présent, un cambriolage ! James soupçonnait de plus en plus que quelque chose de très important se tramait, et que tout cela n'était peut-être pas aussi innocent qu'il l'avait d'abord pensé.

Se sentant de plus en plus agité, James laissa échapper un grognement de frustration et se leva d'un bond. Le hibou lui jeta un coup d'œil désintéressé et retourna à son dernier biscuit. Dans la cheminée de la Salle Commune, déserte en cette heure déjà bien avancée de la nuit, une bûche s'affaissa en provoquant une brève pluie d'étincelles. James s'empara vivement de sa cape pour la nouer autour de son cou et se dirigea d'un pas rapide vers la porte, attrapant au passage la lettre qu'il fourra dans sa poche. Le portrait de la Grosse Dame se referma derrière lui.

Le hibou absorba les dernières miettes de son en-cas, s'assura qu'il n'avait rien laissé de comestible, puis se tourna gauchement vers la fenêtre et s'élança de la table avec un léger bruissement d'ailes, franchissant la vitre ouverte pour glisser sans bruit dans l'air frais de la nuit.


Lily se baissa pour écarter la neige de ses doigts gantés et examina la silhouette décharnée de quelques touffes d'herbe, qui tentaient bravement de survivre à l'hiver sous l'abri relatif que leur offrait un bouleau dénudé.

'Toujours pas de perce-neige' remarqua-t-elle, un peu dépitée.

A quoi s'attendait-elle ? L'hiver venait à peine de commencer et ce n'était pas au début du mois de janvier que l'on verrait poindre le printemps. Mais Lily n'avait jamais vraiment aimé l'hiver, et il lui tardait de pouvoir à nouveau sortir sans s'emmitoufler d'épaisseurs de vêtements encombrantes. Même les couloirs de Poudlard, entre leurs épais murs de pierre, nécessitaient au moins une cape avant de pouvoir s'y risquer.

Lily se releva avec une moue un peu boudeuse et resserra contre elle le manteau moldu qu'elle avait passé par-dessus son pull de laine et ses deux T-shirts.

Bien évidemment, elle aurait tout aussi bien pu ne pas sortir la nuit, ce qui lui aurait évité d'avoir à traîner dehors par –3 degrés, dans la neige et le vent peu hospitalier. Mais Lily se sentait agitée, ce soir-là, sans vraiment savoir pourquoi, et elle n'avait pas trouvé d'autre solution que d'aller se dégourdir les jambes. Le parc autour d'elle était immobile et silencieux, baigné par la lueur blanchâtre que la lune gibbeuse répandait sur le paysage enneigé. Sans un mot, Lily se laissa absorber par l'atmosphère étrangement paisible que la nuit donnait au lieu.

Potter avait l'air sombre, depuis quelques jours, pensa-t-elle distraitement. Comme beaucoup de monde, elle avait lu l'article qui parlait du cambriolage qu'avait subi le laboratoire de Mme Potter. Ces informations l'avaient laissée vaguement inquiète, et elle aurait voulu demander à James des nouvelles de sa mère, ne serait-ce que dans un souci de politesse bien naturelle, mais le jeune homme avait semblé tellement contrarié par toute cette affaire qu'en définitive, elle n'en avait jamais trouvé le courage.

Réalisant soudain dans quelle direction l'emmenait le cours de ses pensées, Lily écarquilla les yeux et secoua violemment la tête, agacée. Elle était là pour profiter un peu du calme et de la beauté de la nuit, et voilà qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à cet abruti ! D'accord, James avait l'air contrarié, et alors ? Même s'il se montrait définitivement plus tolérable cette année que précédemment, ce n'était pas une raison pour le laisser envahir ses pensées comme une collégienne enamourée ! Elle ne lui ferait certainement pas ce plaisir, ce serait admettre sa défaite, et…

Lily s'interrompit à nouveau en pleine réflexion et plongea son visage dans ses mains en signe de désespoir silencieux, sentant un faible rougissement prendre naissance sur ses joues déjà colorées par la vivacité du froid. Est-ce que penser à James et à l'adjectif "énamourée" dans la même phrase n'était pas déjà une preuve de défaite ?

Fort heureusement pour elle et pour sa fierté féminine, un faible bruit la sortit de ses pensées et lui fit relever la tête. Curieuse, Lily jeta un coup d'œil autour d'elle et nota une silhouette sombre se détachant sur la neige, en direction du château. Qui que ce fut, cette personne se dirigeait droit vers la lisière de la Forêt Interdite, près de laquelle Lily se trouvait justement. La jeune Gryffondor fit discrètement quelques pas sur le côté et se cacha derrière le tronc du bouleau dont elle examinait la base quelque temps auparavant.

Légèrement penchée sur le côté, elle observa attentivement l'avancée de la silhouette, prête à reprendre son rôle de préfète. Bon, oui, effectivement, elle était elle-même dehors après le couvre-feu, et alors ? Un préfet était tout à fait en droit de faire une tournée d'inspection à deux heures du matin, non ?… Voilà, c'est ça, une tournée d'inspection. Parfaitement…

Sous le coup de la surprise, Lily interrompit sa séance d'auto-persuasion lorsqu'elle put enfin reconnaître son condisciple imprudent. Hum, d'accord, ce n'était pas vraiment une surprise de voir Potter dehors à deux heures du matin, se dirigeant droit vers la Forêt Interdite. Ok, elle s'y était même franchement attendu, mais on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir tenté de rester objective…

En attendant, Potter avait l'air bien décidé à ne pas la remarquer et continuait d'un pas vif vers la lisière, à quelques mètres de là. Lily fit de son mieux pour rester discrète tandis qu'elle passait d'un arbre à l'autre pour se rapprocher de lui, encore indécise quant à la conduite à tenir. Devait-elle l'arrêter et lui ordonner de retourner au dortoir, même si cela risquait fort de donner lieu à une dispute et qu'elle ne se sentait vraiment pas d'humeur à entrer dans les jeux de James ? Ou bien devait-elle le laisser poursuivre et extérioriser un peu de cette frustration qu'elle avait perçu en lui ces derniers jours ?

Elle avait à peine formulé cette pensée qu'elle se fustigea mentalement. Qu'importait si Potter se sentait d'humeur à faire des caprices ! La Forêt Interdite restait dangereuse, et aucun élève ne devait y entrer sans la permission d'un professeur !

Oublions ici le fait que, par pure curiosité, elle y était elle-même entrée en compagnie d'Anna deux ans auparavant, et qu'elles en étaient ressorties avec la plus grosse frayeur de leurs vies…

James choisit ce moment pour finalement atteindre la lisière, mais à l'instant où Lily allait se décider à intervenir, il s'arrêta net au bout de seulement quelques mètres et jeta un coup d'œil rapide autour de lui. Craignant soudain d'avoir été découverte — elle tenait tout de même à son effet de surprise, c'était toujours bon à prendre (et surtout amusant à observer) — Lily s'aplatit par réflexe derrière l'arbre qui l'abritait. Potter parut satisfait par son bref examen, puisqu'il s'immobilisa à nouveau et parut se concentrer.

Lily n'eut pas le temps de considérer une nouvelle fois une possible intervention, puisqu'une seconde plus tard, sa mâchoire choisit de faire bande à part et se mit à pendre inutilement. Abasourdie, elle ne put que se demander comment, pendant le court délai qu'un clignement d'yeux lui avait pris, Potter avait soudain été remplacé par un jeune cerf.

Le fier animal s'ébroua brièvement, comme heureux de retrouver l'air frais de la nuit.

« P… Potter ? » ne put s'empêcher de souffler Lily, éberluée.

Le cerf se retourna brusquement, trébuchant presque sur ses longues jambes gracieuses, et posa ses grands yeux bruns écarquillés par la surprise sur elle. Pendant un instant, ils restèrent ainsi figés, s'observant en chiens de faïence, tous deux trop étonnés pour réagir. Puis l'image du cerf sembla se déformer, et une fraction de seconde plus tard, James se trouvait à nouveau devant elle.

« Evans ? » s'exclama-t-il en amorçant un mouvement de recul. « Mais qu'est-ce que tu… »

Son pied glissa sur une flaque gelée alors qu'il faisait un pas en arrière, et il se retrouva très vite étalé sur les fesses, les quatre fers en l'air.

« … fais là ?… » finit-il dans un marmonnement agacé, les lunettes soudain de travers.

Lily ne put retenir un gloussement involontaire devant le spectacle qu'il offrait. Elle ne mit cependant pas longtemps à se ressaisir et fronça les sourcils.

« Potter, tu es un Animagus ? » s'écria-t-elle, incrédule et furieuse, en fondant sur lui.

James déglutit difficilement, une seconde avant qu'elle ne se jette sur lui et qu'elle ne l'empoigne par le col de sa cape.

« Et, bien entendu, un Animagus non déclaré, n'est-ce pas !? Parce que ça ne viendrait certainement pas à l'esprit de Môssieur Potter de respecter une règle pour une fois dans sa vie, pas vrai ? Mais cette fois, ce n'est pas juste une règle de l'école, espèce d'abruti ! C'est une loi du Ministère. Tu risques un procès, Potter ! Ca te dit quelque chose !? Je n'arrive pas à croire que tu puisses être aussi… »

« Hum… Evans ? » finit-il par l'interrompre.

Elle se tut et lui adressa un regard furieux qui signifiait qu'il avait tout intérêt à avoir une bonne explication. James se contenta de lui jeter un coup d'œil terne, avant de baisser les yeux sur ses propres jambes. Lily suivit son regard et, après quelques secondes de perplexité, finit par réaliser qu'elle se trouvait à genoux entre les deux jambes de James, dans une position d'un intérêt douteux. Elle vira instantanément rouge pivoine et relâcha précipitamment son col pour se redresser à la hâte.

James la regarda faire avec un petit sourire narquois et se releva à son tour, bien qu'un peu plus lentement. Il prit le temps de rétablir ses lunettes sur l'arête de son nez, puis se détourna avec désinvolture, affichant clairement son intention de totalement ignorer Lily pour se diriger à nouveau vers le cœur de la forêt.

Lily resta quelques instants muette d'incrédulité devant un tel affront. Elle finit cependant par se ressaisir et s'élança à la poursuite du jeune homme à grandes enjambées furieuses.

« Potter ! » vociféra-t-elle entre ses dents serrées, maintenant parfaitement décidée à le ramener à la Salle Commune, par la peau du cou s'il le fallait.

A sa grande surprise, James se retourna dès son premier appel. Elle aurait probablement dû en profiter pour le rejoindre, sortir sa baguette et l'en menacer, ou quelque chose du même acabit. Mais le regard que le jeune Animagus lui lança la cloua sur place.

Ce n'était pas de l'agacement, ni même de l'exaspération, que contenaient ces yeux. Ce n'était même pas ce défi narquois qu'il lui aurait probablement présenté si elle avait tenté de le menacer. C'était de la colère. Mais instinctivement, Lily sut que cette colère n'était pas dirigée contre elle. James était las, James en avait assez, et James voulait juste être seul, dehors dans le froid, au milieu de la nuit.

« Lâche-moi un peu, Evans. »

Et alors qu'il tournait une fois de plus les talons, Lily se rendit compte que quelque part, elle se sentait blessée. Blessée que ce soir, elle ne soit que "Evans" et pas "Lily", blessée qu'elle ne soit qu'un obstacle dans sa recherche de tranquillité. Eh bien, puisque Potter désirait tant sa solitude, elle pouvait bien la lui accorder, quitte à ce qu'il revienne en pleurant après être tombé sur l'une des bestioles plus ou moins amicales qui habitaient la forêt, n'est-ce pas ? C'est ce qu'elle essayait de se dire, pour oublier son ton froid et indifférent, la manière désinvolte dont il l'avait repoussée.

Se détournant finalement du jeune homme qui s'éloignait, elle haussa les épaules avec une expression qui se voulait dédaigneuse et fit quelques pas en direction du château qu'on apercevait au-delà des arbres. Et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver cette pointe de contrariété boudeuse, presque enfantine, à l'idée que ce soir, Potter ne voulait pas de sa présence.

'Bah, grand bien lui fasse, à cet idiot ! Qu'il aille donc se faire mutiler par une Chimère…'

Elle se surprit à jeter un nouveau coup d'œil par-dessus son épaule et à s'arrêter, indécise. Et s'il finissait vraiment par se faire mutiler ? Voire tuer ? C'était la Forêt Interdite, tout de même ! Bon, soit, Potter était un Animagus, mais et alors ? Ca restait Potter ! Et ça en disait long…

Avant qu'elle ne se rende compte de ce qu'elle faisait, elle avait déjà rattrapé James et s'arrêtait près de lui, légèrement essoufflée. Il s'était tourné vers elle en l'entendant approcher et lui avait jeté un coup d'œil surpris, promptement remplacé par un froncement de sourcils. Lily ne lui laissa pas le temps d'ouvrir la bouche et prit immédiatement la parole.

« Hors de question que je te laisse t'engager tout seul là-dedans, Potter » déclara-t-elle d'un ton péremptoire en désignant la forêt d'un bref geste du bras. « Libre à toi d'être d'humeur suicidaire, mais je suis préfète. J'ai des responsabilités, je ne peux pas laisser n'importe quel élève de Gryffondor se plonger jusqu'au cou dans les ennuis sans rien faire ! »

Ah ! Prends ça, Potter ! Comme si elle allait avouer qu'elle était inquiète et n'avait aucune envie de le laisser aller se faire arracher un quelconque morceau de sa précieuse anatomie. Comme si elle allait ne serait-ce que penser une chose pareille ! Rêve toujours, Potter !

James la fixa quelque instants du regard, puis il se contenta de hausser les épaules et de se détourner sans un mot. Lorsqu'il se remit en marche, Lily le suivit de près, ressentant une brève bouffée de triomphe à l'idée qu'il ne l'avait pas repoussée et n'était donc pas tout à fait opposé à sa présence avec lui — et qu'importe s'il n'avait pas accepté explicitement qu'elle l'accompagne ? Elle ne lui laissait pas le choix, de toute façon.

Et tout, sauf penser qu'elle n'aurait pas été capable de dormir en sachant qu'elle avait laissé Potter aller se faire arracher un quelconque morceau de sa précieuse anatomie.

Tout, sauf penser qu'elle s'inquiétait pour lui.


Au bout de ce qui ressemblait fort à une éternité de marche silencieuse, Lily n'était vraiment plus si sûre d'avoir pris la bonne décision. Potter continuait d'avancer droit devant lui, sans jamais la regarder ou donner un signe de ce qu'il s'apprêtait à lui adresser la parole, que ce soit pour s'énerver pour de bon et lui intimer de retourner à l'école, ou la remercier d'être venue avec lui. Non pas qu'elle s'attendait à une telle marque de politesse de sa part, ç'aurait été un comble, Potter admettant qu'il lui était reconnaissant qu'elle soit là, mais tout de même… Aurait-ce été trop demander qu'il ait la décence de ne serait-ce que se souvenir de sa présence ?

Malgré tout, Lily s'obstinait à le suivre, devant parfois brièvement courir pour rester près de lui et ne pas se laisser distancer par ses larges enjambées. Elle ne savait pas s'il avait ne serait-ce qu'une quelconque idée de l'endroit vers lequel il se dirigeait ou s'il se contentait d'avancer à l'aveuglette, mais la forêt autour d'eux devenait de plus en plus sombre, et bien que Lily soit beaucoup trop fière pour l'admettre tout haut, elle se sentait de moins en moins rassurée.

Un craquement sinistre retentit, la tirant brutalement de sa bouderie silencieuse. Elle eut à peine le temps de jeter un coup d'œil alarmé à la racine sur laquelle elle venait de poser le pied avant que la souche ne cède sous elle, la propulsant avec un cri étouffé jusqu'au bas de la pente qu'elle s'apprêtait à descendre. James s'était retourné à son exclamation et ne dut qu'à ses réflexes aiguisés le vif bond de côté qui lui permit d'éviter la collision.

« Eh… Ca va, Evans ? » lança-t-il d'un ton incertain, ayant retrouvé tant bien que mal son équilibre grâce à l'aide généreuse d'un hêtre, avec lequel son dos avait expérimenté une rencontre remarquablement percutante.

Deux minutes plus tôt, Lily se serait glorifiée à l'idée que son camarade ait finalement daigné lui accorder quelques mots. En l'occurrence, elle avait bien autre chose à penser, comme le prouvait sa grimace alors qu'elle se redressait laborieusement, une main posée au bas de sa colonne vertébrale malmenée.

« Ouillouillouillouillouille… »

Un froufroutement presque moqueur retentit dans son dos, lui mettant les nerfs à vif, et elle dut résister à la tentation de se retourner pour jeter un regard noir au végétal responsable de ses malheurs. La main qui se posa sur son bras la fit sursauter et elle adressa un coup d'œil surpris à Potter, mais le laissa l'aider à s'asseoir sans protester, jusqu'à ce qu'elle se fige brutalement sous la douleur qui irradia sa jambe lorsqu'elle fit mine de se lever.

« Evans ? » s'exclama James, alarmé. « Ca ne va pas ? Tu as quelque chose de cassé ? »

« Je crois que je me suis foulée la cheville » répondit-elle d'une voix légèrement rauque, le visage déformé par une grimace de souffrance.

Cette fois, elle aurait pu le jurer, l'arbre sur lequel elle avait trébuché venait d'émettre un ricanement narquois. Elle lui jeta un regard furieux par-dessus son épaule et réprima avec moult difficultés l'impulsion soudaine qui la poussait à sortir sa baguette pour transformer cette vieille souche décrépie en tas de cendres fumantes. Quand bien même le végétal serait effectivement doué de conscience, et à ce stade elle n'en doutait absolument plus étant donné le lieu où ils se trouvaient, cela n'aiderait certainement pas à la situation actuelle si elle s'attirait l'animosité de la Forêt Interdite toute entière pour une basse vengeance.

Près d'elle, Potter la fit presque à nouveau sursauter en poussant finalement un soupir après ce qui semblait avoir été de longues secondes de débat intérieur.

« Allez, viens » dit-il un bras autour de sa taille pour l'aider à se relever.

« Euh… » balbutia Lily, prise de court, en s'appuyant sur lui avec hésitation. « Tu es sûr que… Aïe ! »

Après maints vacillements et exclamations de douleur étouffées, Lily se laissa enfin mener clopin-clopant jusqu'à l'arbre le plus proche contre lequel elle s'appuya lourdement, non sans un regard suspicieux au tronc d'apparence innocente. Alors qu'elle reportait son attention sur James, plutôt perplexe quant à ses intentions — 'Il a intérêt à ne pas me laisser là, ce… !' — elle eut la surprise de se retrouver nez à naseaux avec deux grands yeux bruns. James-le-cerf cligna lentement et moqueusement des paupières à sa vive réaction de recul.

« Ne fais pas ça, imbécile ! » siffla-t-elle vigoureusement, une main plaquée contre sa poitrine où son pauvre petit cœur s'efforçait de reprendre un rythme normal.

L'Animagus laissa échapper un souffle narquois. Sans attendre sa réponse, il se déplaça jusqu'à lui présenter son flanc et la fixa avec insistance, attendant manifestement qu'elle bouge. Sans voix, Lily ne put guère que lui adresser un regard bovin, sans oser conclure à ce qui ne pouvait être qu'une divagation de son esprit. Le cerf laissa échapper un souffle d'impatience avant de baisser la tête pour lui donner un petit coup à l'épaule. Lily sursauta vivement. Déglutissant, elle leva finalement une main incertaine vers les bois qui commençaient à se développer sur le crâne de l'Animagus.

Ne recevant en guise de réaction qu'un autre coup d'œil de ce qui devait être de l'impatience, elle referma le poing sur la base des andouillers, s'éloigna légèrement de l'arbre contre lequel elle s'appuyait pour poser l'autre main sur le dos du cerf, et se hissa tant bien que mal à califourchon sur l'Animagus.

Lily se mit aussitôt à rougir avec vigueur.

'Surtout, ne pas penser que je suis assise sur le dos de Potter, ne pas y penser, ne pas y penser, ne pas…'

« Hééé ! » laissa-t-elle échapper en manquant perdre l'équilibre lorsque le cerf se mit en marche.

Précipitamment, elle rétablit sa position sur le dos musculeux de l'animal, tentant dans un même temps de ne pas trop brusquer sa cheville. Sans trop sembler s'en soucier, l'Animagus reprenait déjà le sentier à peine défini qu'ils avaient suivi jusqu'à maintenant, et Lily nota avec une certaine mesure de soulagement qu'il repartait en sens inverse. Les longues pattes fines prirent soin d'enjamber avec application la racine qui avait causé la chute de la jeune fille, et elle ne put s'empêcher de tirer silencieusement la langue à l'arbre vicieux lorsqu'il lui sembla percevoir un certain soupir de déception.


James marqua un temps d'arrêt.

Lily lui jeta un coup d'œil inquiet avant de reporter son attention sur les alentours. Depuis quelques temps déjà, elle ne pouvait s'empêcher de se demander si l'Animagus se dirigeait vraiment dans la bonne direction pour sortir de la forêt. Tandis qu'à l'aller, elle avait eu l'impression distincte qu'ils s'enfonçaient progressivement dans les régions les plus sombres du bois, elle était à peu près sûre à présent que le chemin devant eux était tout aussi obscur que celui qu'ils avaient déjà parcouru. Où était l'éclaircie de la végétation qui présageait de leur retour au parc de l'école ?

De plus, il était impossible de mesurer l'avancée de la nuit, le ciel étant caché à leur vue par les épaisses frondaisons des arbres, et Lily avait négligé de prendre sa montre pour ce qu'elle avait estimé être une courte sortie avant d'aller se coucher. Mais ses yeux la piquaient et elle ressentait de plus en plus fortement la fatigue, et elle commençait à redouter qu'ils ne puissent pas rentrer à Poudlard avant que l'école ne s'anime des premiers lève-tôt.

James se remit en route et elle se souvint distraitement de lever légèrement les pieds lorsqu'il enjamba une pierre saillante. Le mouvement était douloureux pour elle, mais le cerf n'était pas aussi grand qu'un cheval et si elle n'y prenait pas garde, elle risquait de cogner sa cheville contre un obstacle. Elle avait réussi à utiliser un sort pour pouvoir maintenir sa cheville en place jusqu'à ce qu'ils arrivent à Poudlard, ce qui la soulageait beaucoup, mais sans connaissances médicales poussées elle n'osait pas se risquer à quoique ce soit d'autre.

Soupirant, elle se pencha finalement sur l'échine de l'Animagus.

« Sincèrement, Potter » appela-t-elle d'un ton résigné, prenant la parole pour la première fois depuis qu'ils avaient fait demi-tour. « Est-ce que tu sais où on est ? »

Les oreilles du cervidé effectuèrent un petit mouvement rapide de ce qui aurait pu être de l'agacement et James tourna la tête pour lui adresser un regard de reproche. Elle ne put cependant s'empêcher de remarquer comme une once de culpabilité dans ses grands yeux brun noisette.

Elle fronça les sourcils et s'apprêtait à ajouter quelque chose lorsque l'Animagus se figea soudain sous elle, tendu à l'extrême, la tête dressée en l'attente du moindre son. Il fallut à Lily plusieurs secondes avant qu'elle ne se rende compte que tout était devenu silencieux autour d'eux.


Ici se termine le chapitre 18, et ci-dessous suit le résumé promis. S'il vous plaît, rappelez-vous qu'il a majoritairement été écrit à la va-vite, et le style littéraire laisse sans doute grandement à désirer (personnellement, je n'ose pas le relire de peur de piquer une déprime XD). Certaines parties ont été très résumées, tandis que d'autres, apparemment plus claires dans mon esprit, ont refusées de prendre moins de plusieurs pages à décrire. La maison décline toute responsabilité quant aux sentiments de déstabilisation et/ou déception pouvant suivre, et ne rembourse pas l'achat d'anti-dépresseurs. Personnellement, je préfèrerais que les lecteurs imaginent par eux-mêmes la suite, mais je trouve ça légitime de vous en donner ma version, alors... Lisez à vos risques et périls. ;)


Cette nuit-là, Lily et James ne tardèrent pas à comprendre qu'ils étaient parvenus d'une manière ou d'une autre à entrer sur le territoire de ces charmantes bestioles que l'on nomme "Acromantulas". Bien qu'ils tentèrent de fuir, ils ne firent que s'enfoncer dans la toile des araignées géantes, et il ne fallut pas longtemps avant qu'ils ne soient totalement encerclés. Leurs tentatives pour se défendre et sauver leurs peaux ne firent qu'attiser la colère et la faim des créatures, et il semblait que tout était perdu pour eux lorsqu'apparurent des secours inespérés : les elfes. Depuis l'arrivée d'Aragog et la prolifération de ses enfants, le peuple des bois avait toujours considéré les Acromantulas avec méfiance, les voyant comme une anomalie dans leur précieuse forêt. Un groupe d'éclaireurs s'était aperçu du danger que couraient Lily et James et, décidant pour la première fois de leur vie de venir en aide à des humains, ils avaient accouru pour les prévenir, arrivant malheureusement trop tard pour ressortir de l'accrochage sans bataille.

Pendant ce temps, Poudlard s'éveillait lentement aux premières lueurs du jour et Harry Davies tendait la main vers sa première tasse de café. Son geste fut interrompu par un vacarme soudain dans le Grand Hall où plusieurs élèves poussaient de hauts cris, l'air soudain beaucoup plus éveillé qu'ils n'auraient dû l'être. Avant que quiconque à la table des professeurs n'ait pu faire un geste, la raison de ce brouhaha apparut à la porte de la Grande Salle sous la forme d'un elfe à bout de souffle qui cria quelque chose à Harry. Abandonnant instantanément son précieux breuvage, l'Auror pâlit et apprit à Dumbledore le danger que couraient deux de ses élèves, avant de se précipiter à la suite de l'éclaireur. Dumbledore, MacGonagall, Thomson et O'Brien sur ses talons, il eut tôt fait de rejoindre la Forêt Interdite, mais les propos de l'elfe lui firent comprendre qu'ils ne pourraient pas repousser les Acromantulas de cette manière, du moins pas sans pertes.

Sans réfléchir, il fit alors appel aux premiers alliés sur lesquels il put mettre la main : les serpents. Les Acromantulas, terrorisées par les Basilics, avaient conçu une certaine crainte pour les cousins reptiliens de leurs pires ennemis et avaient donc chassé tous les serpents de leur territoire. Beaucoup d'entre eux nourrissaient encore de la rancœur face à cette traque et acceptèrent de le suivre sans hésitation. Harry mena donc son armée à l'assaut des créatures et les força à reculer au plus profond de leur tanière. Malheureusement, si James et Lily étaient sauvés et furent ramenés au château sans dommages, bien que très secoués, les elfes ne s'en tiraient pas à si bon compte. Deux des leurs étaient morts et un troisième, qui s'avéra être Devon, l'ami de Harry, si mortellement touché que ses chances de survie étaient quasiment nulles.

Harry revint donc à Poudlard d'une humeur terriblement sombre, et les évènements des jours suivants ne firent rien pour le réconforter. La rumeur de son statut de Fourchelangue fit le tour de l'école en un rien de temps. Incrédules, les élèves tout autant que les professeurs le considéraient à présent avec une crainte superstitieuse, à commencer par les Maraudeurs eux-mêmes. Il ne faisait aucun doute pour les quatre garçons que la langue des serpents était un attribut purement maléfique, et bien qu'ils tentèrent à plusieurs reprises, Sirius le premier, de trouver des excuses à leur professeur fétiche, il était évident que leur confiance en lui était sérieusement ébranlée.

Comme il fallait s'y attendre, les journaux sorciers s'arrachèrent l'affaire, et ce d'autant plus que l' "Auror Davies" était déjà une vague célébrité parmi les ménages. Dumbledore et le Ministère furent identiquement pointés du doigt pour avoir laissé un mage noir s'introduire parmi le personnel de Poudlard. Harry fut convoqué au Q.G des Aurors pour un entretien avec ses supérieurs au cours duquel il parvint tout juste à sauvegarder son emploi, jouant la carte de celui qui subissait et cachait ses pouvoirs plutôt qu'il ne s'en vantait — ce qui, en somme, était tout à fait vrai. Dumbledore, quant à lui, parut étrangement peu concerné par l'affaire. Harry n'était pas pour autant dupe des regards perçants auxquels il était régulièrement soumis, et ne s'étonnait pas outre mesure de ne recevoir aucune nouvelle de l'Ordre du Phénix. La réserve bien naturelle qu'il inspirait auparavant au vieux directeur avait probablement été accentuée par une telle révélation, si bien que Dumbledore ne choisirait pas de lui faire à nouveau confiance avant d'en apprendre plus sur lui.

Malgré les pressions du conseil d'administration de l'école, cependant, il ne montra aucun signe de ce qu'il s'apprêtait à le démettre de son poste et Harry put continuer à enseigner. Ce fut un faible réconfort pour lui, car ses élèves le fixaient maintenant avec une appréhension palpable, et ses cours se déroulaient dans une ambiance lourde de non-dits. Même les Serpentards se comportaient différemment avec lui, le considérant avec une méfiance mêlée à une sorte de curiosité presque malsaine. Severus lui-même l'évitait plus que jamais, refusant de rencontrer son regard et semblant le fuir à chaque occasion possible. Harry se doutait que le jeune homme éprouvait envers lui un regain d'hostilité en raison du secret qu'il s'était attaché à ne pas dévoiler, même à lui. Si il pouvait lui cacher cela, raisonnait-il sans doute, combien de choses dissimulait-il encore ? Avec Severus, c'était tout ou rien, et le fait que Harry ne lui ait pas accordé toute sa confiance le rendait apparemment indigne de la sienne…

Lily et ses amies, quant à elles, observaient une stricte politique de statu quo à l'égard de Harry, bien que Anna se révéla bien sûr beaucoup plus méfiante que ses camarades. Le seul événement un tant soit peu positif qui eut lieu durant cette période de l'année s'avéra être le rapprochement de Lily et James. Secoués par leur incursion en forêt, les deux Gryffondors semblaient en effet avoir atteint un terrain d'entente et il ne fallut que peu de temps avant que le jeune Potter, triomphant, ne puisse enfin tenir de la main de sa dulcinée rougissante dans les couloirs de Poudlard, un Sirius hilare sur leurs talons.

Si Harry fut faiblement réconforté par la formation du couple qu'il avait tant attendue, ce n'était pas assez pour alléger son esprit, et le mois de janvier s'écoula dans une ambiance lourde et étouffante pour lui. La perspective de la mort de Devon restait suspendue au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès, lui interdisant de reprendre sa bonne humeur et sa jovialité habituelle. En retour, cet air sombre qu'il arborait à présent ne faisait que renforcer l'isolation dans laquelle il était placé, le rendant menaçant aux yeux des élèves et de ses collègues.

Cela aurait pu durer longtemps, n'eut été pour ce message qu'il reçut un jour de mars et qui lui annonçait la mort de son ami elfe. Dévasté, Harry parvint tout de même à rassembler le courage nécessaire pour se rendre dans la forêt en un dernier hommage à Devon. Il trouva chez les elfes un accueil tout aussi glacial que chez les humains. Laurana, la compagne de Devon, le rendait pleinement responsable de la mort de son aimé, et il n'était pas une seule personne parmi le peuple des bois qui ne le considéra comme l'assassin indirect des trois guerriers qui manquaient à l'appel parmi eux. Considérablement refroidis par cette conséquence de leur alliance pourtant encore très tiède avec les humains, les elfes lui signifièrent qu'ils lui retiraient tout le support qu'ils avaient pu auparavant être tentés de céder. Harry retourna donc à Poudlard, plus pauvre encore de moyens et de moral qu'il n'avait pu l'être jusque-là.

Le lendemain, il choisit finalement de donner le cours qu'il avait promis à ses élèves au tout début de l'année : celui consacré aux Détraqueurs. Grâce à l'Epouvantard qu'il avait capturé plusieurs mois plus tôt durant les détentions de Zabini et Cie, il matérialisa devant sa classe un Détraqueur afin de leur faire comprendre le danger que représentait une telle créature, puis entreprit de leur apprendre le sortilège du Patronus. Etreint par une étrange peur qu'il ne savait nommer, il refusa de démontrer le sort à ses élèves. Et si son découragement actuel l'affectait au point qu'il soit incapable de réussir le sort ? Il ne pouvait pas prendre le risque de perdre l'autorité déjà fragile qu'il maintenait sur ses classes…

Une semaine après son premier cours sur le sujet, les Détraqueurs se révoltèrent contre le Ministère et quittèrent Azkaban, libérant au passage tous les Mangemorts qui y étaient jusqu'à présent emprisonnés. Si Harry savait qu'il ne s'agissait que d'un hasard et se félicitait d'avoir agi pendant qu'il en était encore temps, cette étrange coïncidence ne fit que renforcer la crainte respectueuse avec laquelle on le fixait dans les couloirs de l'école.

Par la suite, deux mois s'écoulèrent au sein du château sans que rien d'exceptionnel ne vienne troubler le rythme de Poudlard. A l'extérieur, le monde magique traversait l'une des périodes les plus sombres de son histoire, les raids de Voldemort ayant redoublé depuis la libération de ses partisans. Le Ministère avait bien du mal à enrayer l'atmosphère de paranoïa et de peur constante qui enveloppait ses ouailles, et il était bien souvent pointé du doigt pour son inefficacité et sa lenteur d'action. Dans ces conditions, Harry savait que le moindre faux pas de sa part lui coûterait son poste d'Auror, car les autorités se feraient un plaisir de faire de lui un exemple à jeter en pâture aux journalistes.

Les sorties à Pré-au-Lard avaient été totalement annulées, les hiboux abattaient chaque matin sur leurs têtes les nouvelles de morts et de massacres, mais les cours se déroulaient pour la plupart normalement et les élèves de septième année en arrivaient apparemment au stade où il devenait vital de stresser pour les ASPICs à venir. Harry avait beaucoup de mal à supporter le climat de peur qui l'entourait plus que jamais et il lui arrivait souvent de rêver pouvoir se trouver sur le terrain, être enfin directement utile à quelque chose, pouvoir se battre contre des adversaires de chair et de sang plutôt que contre ces rumeurs tenaces et ces fantômes qu'il pensait avoir laissés derrière lui. Fidèle à sa parole, il avait transmis à Anne, la mère de James, tous les détails dont il se souvenait à propos de la Tablette de la Seconde Chance, et cela plusieurs mois auparavant. Mais le fiasco des Acromantulas avait suivi, et en définitive, il n'avait jamais reçu de réponse. Une raison de plus pour que la scientifique se méfie de lui, bien entendu…

Cette tension sous-jacente fut brutalement brisée une nuit de mai, alors que la pleine lune luisait sereinement au-dessus de l'école.


Ayant transplané à bonne distance de Pré-au-Lard, les Mangemorts se dirigèrent droit vers la Cabane Hurlante, silencieux comme des ombres. Remus était là, bien entendu, et révisions obligent (parce que Lily pouvait être aussi hargneuse que lui sur ce point, et avait apparemment beaucoup moins de difficultés à convertir à son point de vue James, et incidemment Sirius et Peter — dommages collatéraux, qu'elle disait), il était seul. Le loup-garou sentit la menace bien avant de la voir et ses hurlements s'élevèrent dans la nuit avec une ardeur redoublée, contribuant à cloîtrer chez eux les habitants de Pré-au-Lard qui ne se doutaient de rien.

Tandis qu'une partie des Mangemorts tentaient de maîtriser le loup-garou, les autres contournèrent le combat et parvinrent à emprunter le passage qui menait à Poudlard. Fort heureusement, les barrières magiques qui gardaient l'école avaient également été renforcées de ce côté et leur intrusion déclencha une alarme stridente dans le château. La totalité des locataires de Poudlard se réveilla en sursaut. Les élèves, hébétés et encore ensommeillés, se rassemblèrent dans leurs Salles Communes dans la plus grande confusion, se tournant vers leurs préfets qui n'en savaient pas plus qu'eux. Tout le personnel enseignant de l'école savait pourtant ce que signifiait cet avertissement sinistre, et les professeurs eurent tôt fait de les avertir de l'attaque. Malgré leurs injonctions de rester calmes et de ne pas quitter leurs Salles Communes, de nombreux élèves parmi les plus âgés refusèrent de rester cloîtrés à l'abri et de laisser les adultes se battre. Malgré les remords des Directeurs de Maisons, rien ne pouvait être fait pour empêcher les jeunes gens majeurs de participer à la défense du château, aussi James, Sirius, Peter, Lily et Anna se mêlèrent-ils aux combattants.

Si Lily et Anna ressentaient à peu près autant de peur que de détermination, la situation était bien plus grave pour les trois Maraudeurs : ils ignoraient de quelle direction venait l'attaque, mais ils craignaient instinctivement pour Remus, livré à lui-même à l'écart de l'école, et ils étaient prêts à profiter de la première occasion pour s'éclipser afin d'aller s'assurer qu'il était en sécurité.

Si des appels au secours avaient été lancés au Ministère de la Magie et — dans le plus grand secret — à l'Ordre du Phénix, les renforts mettraient encore un certain temps à arriver, aussi n'étaient-ils qu'une petite trentaine de personnes pour défendre le château, élèves et professeurs compris. Personne ne s'étonna de ne voir aucun Serpentard parmi les rangs des élèves volontaires : il y avait des miracles que même la magie peinait à accomplir.

Harry ne s'était pas vraiment attendu à ce que Severus vienne combattre à leurs côtés, d'autant plus que la situation du jeune homme était très délicate, mais il fut tout de même déçu de ne pas l'apercevoir parmi les combattants qui se rassemblaient dans le Grand Hall. Au milieu d'étrangers qui ne savaient toujours pas quelle était la plus grande menace, de lui ou des Mangemorts, l'Auror se sentait particulièrement démuni… et seul. Aucun secours ne viendrait des elfes, de cela au moins il était sûr. Quant aux êtres de l'eau, ils ne pouvaient rien accomplir en dehors du lac. Les défenses naturelles du château avaient été déclenchées dès que le premier Mangemort avait émergé du Saule Cogneur, mais elles ne suffiraient pas face à ces ennemis déterminés. Hagrid avait lâché sur eux autant de créatures agressives qu'il l'avait pu avant de rejoindre les rangs des professeurs, au moment où ceux-ci franchissaient enfin les doubles portes du château.

La petite milice se répartit autour des marches menant à l'entrée de l'école, Dumbledore à leur tête, tous déterminés à faire en sorte qu'aucun Mangemort ne pénètre Poudlard pour atteindre les élèves plus jeunes. Le visage grave, Harry avait pris place auprès de ses collègues Aurors. Concentré sur la bataille à venir et la troupe d'hommes cagoulés qu'il voyait venir au loin, il mit un certain temps à se rendre compte que le parc était presque aussi bien éclairé qu'en plein jour. Préoccupé par ses propres problèmes, il n'avait pas réalisé que la pleine lune était levée.

Il n'avait pas réalisé que Remus ne se trouvait pas parmi les Maraudeurs.

Harry savait d'où venaient les Mangemorts, par où ils avaient réussi à infiltrer le château. La pointe acérée de la peur se fraya un chemin jusqu'à son cœur et il déglutit péniblement, les pupilles dilatées. Allait-il donc perdre Remus dans ce monde également ? Non, pas si il pouvait y faire quoique ce soit, pas si il avait son mot à dire ! Et pourtant, il avait tant de personnes chères à protéger aujourd'hui, et tant d'ennemis à combattre…

La flamme de la rage de vivre se remit soudain à flamber en lui. De simple luciole palôtte qu'il l'avait laissée devenir, elle redevint brasier et se mit en devoir de consumer tout ce qui se dressait sur son passage.

Un cri terrifiant aux lèvres, les yeux étincelants de colère, Harry fut le premier à se ruer à l'attaque. Et tous suivirent.

Par chance, les Mangemorts n'avaient pas pris le temps de se regrouper au pied du Saule Cogneur, trop pressés d'en découdre, et c'est donc une force dispersée qu'ils durent combattre. Qui plus est, Voldemort ne se trouvait pas parmi eux et la présence de Dumbledore distillait dans leurs rangs une terreur sourde qui n'avait rien d'excessive. Se battant comme un lion enragé, bondissant sans relâche d'un opposant à l'autre, Harry lui-même parvint à déstabiliser ses ennemis. Le professeur Brouet était déjà tombée, frappée par un sortilège de magie noire dont personne ne pouvait la délivrer, et celle de Botanique ne se relèverait plus jamais. Scott se battait à grands coups de sorts désordonnés, beuglant des insanités à ses opposants, mais deux élèves comptaient également au rang des victimes.

James serra les dents lorsque ses yeux tombèrent sur le cadavre d'Agnès, la préfète de Serdaigle, et il dut lutter pour retenir ses larmes. Son instant de distraction faillit lui être fatal, mais il fut violemment propulsé hors de la trajectoire de l'Avada Kedavra qu'on lui destinait. Harry bloqua le sortilège suivant et immobilisa son adversaire d'un Stupefix bien placé. James se redressait déjà, mal à l'aise devant l'aura de puissance et d'agressivité que dégageait son aîné, mais néanmoins prêt à le remercier et à reprendre le combat, lorsqu'il s'aperçut que l'Auror s'était figé, les yeux fixés dans la direction du Saule Cogneur. Suivant son regard, le jeune homme laissa échapper un hoquet de stupeur.

Emergeant du passage secret comme une armée de fantômes corrompus, les Détraqueurs se dirigeaient vers eux. Les Mangemorts refluaient progressivement, leur laissant la place afin de ne pas avoir à les côtoyer de trop près, préférant continuer le combat de loin.

Les élèves eurent un moment de flottement, frémissant instinctivement devant le froid glacial qui émanait de ces créatures. Mais un éclair argenté fendit la nuit et le Patronus d'Albus Dumbledore s'élança, repoussant de ses ailes de phénix les êtres d'obscurité. Aussitôt, trois autres sorts lui firent écho dans les bouches de McGonagall, Thomson et O'Brien. Les autres professeurs étaient démunis, mais n'en cessèrent pas pour autant de combattre leurs ennemis de chair. Quant aux élèves, reprenant espoir devant la puissance de leur directeur, ils tentèrent de mettre en application ce qu'Harry leur avait appris, avec plus ou moins de succès. Mais James ne comprenait pas pourquoi Davies, le visage sombre, se contentait de laisser d'autres faire…

C'est finalement ce moment que choisirent les Aurors et les membres de l'Ordre du Phénix pour accourir depuis les grilles du parc où ils avaient transplané, apportant un soutien inestimable à la bataille en cours. Soulagé de voir le combat tourner en leur faveur, James tentait de rejoindre Sirius et Peter afin de partir à la recherche de Remus, lorsqu'un cri perçant parvint à ses oreilles.

Frappée par un sortilège en pleine poitrine, Anna venait de s'écrouler. Lily avait également entendu le hurlement de son amie et elle vit parfaitement le groupe de Détraqueurs qui se dirigeaient droit sur elle, avides de proies faciles. Sans réfléchir, elle se précipita en criant le sortilège du Patronus. La forme argentée qui se matérialisa devant elle était faible et vague et elle ralentit à peine les créatures, mais Lily s'obstina. Debout au-dessus du corps inconscient d'Anna, elle répéta et répéta le sortilège, refusant de reculer devant les créatures qui s'approchaient lentement. La peur au ventre, James s'élança à son tour, son Patronus à peine plus effectif que celui de sa petite amie. Sirius tenta de le stopper en chemin, lui criant à l'oreille qu'il y en avait beaucoup trop. James lui retourna un regard flamboyant. Il ne dit pas grand-chose.

Juste : « J'affronterais Voldemort pour elle. »

A seulement quelques pas de là, Harry s'immobilisa brutalement, comme frappé au cœur. Ces paroles évoquèrent en lui des souvenirs trop profondément ancrés en son âme pour qu'il puisse jamais les oublier : la voix de son père qui tentait désespérément de sauver sa famille, celle de sa mère qui priait pour sa vie, la lumière verte d'un Avada Kedavra… Il s'aperçut à peine que Sirius avait lâché son ami, que James courait à nouveau vers Lily. A la place du jeune garçon portant l'uniforme de Poudlard, il voyait l'homme qu'il deviendrait. Et il avait honte de lui-même.

Le Patronus que le cri de James évoqua en cet instant était un lion aux crocs découverts, et si sa crinière était encore un peu floue, sa lueur argentée était suffisante pour faire hésiter les Détraqueurs. James avait réussi, il avait maîtrisé le sort. Pourtant, la fierté qui tentait de grandir dans la poitrine du Gryffondor fut bien vite étouffée. Il y en avait trop, beaucoup trop, et déjà leur cercle se refermait autour des deux jeunes filles, déjà le lion faiblissait.

James ouvrit la bouche pour crier, mais aucun son ne quitta sa gorge. Une lueur vive naquit derrière lui, presque insupportablement forte. En quelques secondes elle le dépassa, se dirigeant à une vitesse incroyable vers l'anneau de Détraqueurs. Le cerf chargea, abaissant sa magnifique ramure contre les créatures sombres qui ne purent que fuir précipitamment, en pleine débandade. Bouche bée, James osa jeter un coup d'œil par-dessus son épaule. Harry ne bougeait pas, sa baguette tendue vers la créature qu'il avait invoquée, la nourrissant de l'espoir insensé qui grandissait dans ses yeux.

Le Survivant commençait à réaliser que si lui n'avait plus la foi, d'autres en avaient à revendre.


Lily et Anna furent sauvés, et devant la quantité de Patronus invoqués, les Détraqueurs n'eurent d'autres choix que de fuir. Les combattants ne prirent cependant pas le temps de s'en réjouir, bataillant encore contre les Mangemorts. L'issue du combat ne faisait pourtant plus aucun doute, et les trois Maraudeurs finirent par se réunir pour aller porter secours à Remus. Ils étaient à mi-chemin du Saule Cogneur, s'assurant qu'aucun professeur ne les avait remarqués, lorsque Harry apparut devant eux sans crier garde.

Malgré tous leurs efforts, leurs cris et leurs suppliques, l'Auror demeura inflexible et les obligea à faire demi-tour, les escortant vers le château. A la stupéfaction de chacun d'entre eux, alors que ses deux amis se morfondaient, morts d'inquiétude, ce fut Peter qui refusa de se plier aux règles. Profitant du fait que Harry lui prêtait moins d'attention qu'aux deux autres, il parvint à le prendre par surprise à l'aide d'un simple Expelliarmus. Harry ne s'était pas attendu à une telle attaque et fut propulsé en arrière, sa baguette lui échappant des mains. Bien que stupéfaits, James et Sirius virent là l'occasion de s'échapper et tentèrent d'immobiliser l'Auror.

A la surprise sans cesse renouvellée de leur aîné, ils parvinrent presque à leurs fins, et il ne dut son salut qu'à ses extraordinaires réflexes et au sort de magie naine qu'il lança par désespoir, soulevant le sol sous leurs pieds et les projetant à terre. Profitant de ce temps mort, l'Auror se précipita sur sa baguette et désarma les trois jeunes hommes. Du sang coulait d'un coupure à son front, lui obscurcissant la vue, et une douleur lancinante émanait de ses côtes lorsqu'il tentait de reprendre sa respiration. Et malgré tout, alors qu'il gardait les yeux fixés sur le trio aux visages graves et amers face à lui, il ne put s'empêcher de sourire, et ses yeux n'exprimaient que fierté et joie.

Il les enjoignit une nouvelle fois à rejoindre la bataille près de l'école puis, faisant fi de leurs expressions butées, leur rendit leurs baguettes. Tout ce qu'il ajouta fut :

« Je vous le ramènerai. »

Et avant qu'ils n'aient eu le temps de comprendre exactement ce qu'il impliquait, l'Auror atteignit la lisière de la Forêt Interdite en trois enjambées. Seulement, au moment précis où il disparaissait dans la pénombre, les trois garçons eurent l'impression très nette qu'il rapetissait, et que c'était sur une queue touffue que le sous-bois se refermait…

Les laissant derrière lui sans aucune crainte, Harry se précipita vers le Saule Cogneur, veillant à rester à l'abri de la lisière. Ses quatre pattes martelaient le sol à un rythme soutenu, le propulsant à travers la végétation de la forêt, puis les longues herbes du Parc de Poudlard. Il gagna le Saule et se faufila sous ses branches sans marquer de temps d'arrêt, faisant fi du cinglant coup de fouet que son impudence lui valut. Quelques gouttes de sang perlèrent sur sa fourrure sombre, mais déjà il dévalait le passage qui le mènerait à Pré-au-Lard. Les bruits de combat résonnèrent bien avant qu'il n'atteigne la Cabane Hurlante, et Harry ne fut qu'à moitié surpris de voir le loup-garou débouler dans le passage juste devant lui.

La créature canine fuyait à l'évidence les Mangemorts qui venaient derrière elle, à l'aboi et prête à tout pour s'échapper, mais elle s'immobilisa brusquement en l'apercevant. Sa fourrure était hérissée, ses babines retroussées en un rictus meurtrier, et ses yeux jaunes lançaient des éclairs de rage et de haine. Pourtant, alors même que le loup-garou fixait ce nouvel opposant, son maintien se fit moins menaçant et un éclair de respect traversa son regard.

Le loup qui se tenait face à lui, avec sa fourrure d'un brun si sombre qu'il en était presque noir et ses yeux au vert intense, dégageait une aura de puissance et de férocité que la bête interpréta instinctivement comme appartenant à un mâle alpha.

Mais les bruits des hommes se rapprochaient et le loup-garou s'agita, hésitant à reprendre sa course. Le loup noir résolut le problème en se jetant sur lui, le mordant cruellement à l'épaule pour l'enjoindre à fuir. Avec un hurlement de douleur, la bête s'élança sans demander son reste, filant ventre à terre vers l'autre extrémité du passage. Derrière lui, les humains poussaient maintenant des cris de surprise et de terreur, et il sut que l'autre protégeait ses arrières. Il déboula sur la pelouse du Parc à toute allure, à moitié fou de terreur et de douleur, et pivota un instant sur lui-même sans savoir quoi faire. Il y avait des odeurs d'humains, ici aussi, et des cris et des éclairs de lumière. Le loup-garou retroussa les babines, son regard animal fixé sur les silhouettes au loin, prêt à défendre chèrement sa peau.

Un corps massif entra en collision avec son épaule blessée et il laissa échapper un nouveau grognement de douleur. L'autre mâle ignora son grondement de défi et le poussa une nouvelle fois, l'enjoignant à le suivre. La bête s'exécuta avec mauvaise grâce, incapable d'échapper à l'influence que le Noir possédait instinctivement sur lui. Les deux loups eurent tôt fait de traverser le terrain découvert du Parc et de rejoindre l'ombre rassurante de la Forêt Interdite. Ils s'enfoncèrent quelque temps entre les arbres, jusqu'à ce que le loup noir donne finalement le signal de l'arrêt.

Le loup-garou se laissa glisser sur le sol couvert de mousse, épuisé. Le Noir resta quelques instants immobile, sa tête intelligente se tournant d'un côté à l'autre tandis qu'il vérifiait qu'ils n'étaient plus en danger. Puis il le rejoignit lentement et se coucha près de lui, lui offrant tacitement sa protection. Le jeune loup le gratifia d'un grondement vaguement menaçant, mais ne fit aucun mouvement pour s'éloigner.

Quelques instants plus tard, il avait plongé dans un profond sommeil, et la marque blanche zébrant le front du Noir hanta ses rêves de sa forme d'éclair.


Le lendemain matin, Remus reprit conscience dans l'un des lits de l'infirmerie, ses amis rassemblés autour de lui. Comme toujours après une pleine lune, il ne disposait que de souvenirs confus et fractionnés de ce qui s'était passé cette nuit-là et fut incapable de leur expliquer comment il avait échappé aux Mangemorts. Les trois autres Maraudeurs avaient cependant leur petite idée sur la question. D'un accord tacite, ils n'en parlèrent pas et gardèrent le silence, mais leur attitude envers Harry se fit à partir de cet instant moins rigide.

Poudlard était en deuil, ayant perdu son professeur de Botanique et quatre de ses élèves dans la bataille. Les élèves de sixième et de septième année étaient tout particulièrement affectés, puisque c'était parmi eux qu'on dénombrait les pertes. Le professeur de Potions avait quant à elle été transférée d'urgence à Ste Mangouste, et les professeurs restants faisaient de leur mieux pour couvrir les postes vides en attendant la fin de l'année.

Contrairement à beaucoup de ses collègues, Harry ne semblait que peu touché par la chape de plomb qui s'était abattue sur le château. De la même manière que Thomson et O'Brien, il adoptait un certain recul face aux pertes qu'avait connues l'école et agissait presque comme si il ne s'était rien passé. Certains élèves lui en voulaient de faire cours comme avant alors que même la stricte McGonagall devait parfois s'interrompre pour cacher une larme en apercevant une chaise vide dans sa classe. Severus aurait peut-être pu comprendre, mais Harry était à présent tout à fait certain que le jeune homme l'évitait. Cela l'attristait énormément et lui faisait même un peu peur, mais il savait avec quelle facilité le Serpentard pouvait se braquer sur ses positions et ne souhaitait pas le forcer à quoique ce soit en essayant, par exemple, de le retenir après ses cours. Il laissait donc couler, espérant que son jeune ami résoudrait de lui-même les problèmes qui semblaient l'accabler.

De plus, il fallait bien avouer qu'il avait d'autres soucis. La fin de l'année scolaire approchait à grands pas, et avec elle arrivait toute une flopée d'incertitudes. Harry était heureux de ce qu'il avait pu accomplir jusqu'à maintenant, même s'il allait sans dire qu'il aurait tout de même aimé pouvoir en faire plus. Mais il était Auror avant d'être professeur, et son rôle à Poudlard prendrait bientôt fin. A dater de juillet, il serait ballotté d'une mission à l'autre au gré des désirs du Ministère, alors même qu'il savait très bien que le Ministère n'était pas forcément la plus fiable des institutions, surtout en ces temps. Etait-ce vraiment ce qu'il voulait ? Pourrait-il vraiment agir pour le mieux dans ces conditions ?

Mais que pouvait-il faire d'autre ? Albus ne lui faisait clairement pas assez confiance pour lui confier de lui-même un poste de professeur pour l'année suivante, et de toute façon, qu'en aurait-il fait ? Lily, James et les autres quittaient Poudlard, eux aussi. Et n'était-ce pas sur eux qu'il s'était promis d'intervenir en priorité ? En avait-il fait assez ? Peut-être avait-il évité la trahison de Peter et la mort prématurée des Potter, mais serait-ce vraiment une bonne chose ? Que deviendrait Voldemort, dans ce cas ?

Harry commençait à comprendre que l'utilisation de la Tablette de la Seconde Chance avait probablement été une erreur. L'existence même de cette Tablette en était une. Le passé aurait dû rester où il se trouvait, les batailles enterrées avec les hommes qui les avaient menées et les héros déposés au pied de leur piédestal. Dans son combat contre le monde entier, Harry n'avait pas su s'arrêter à temps, pas su déposer les armes. Mais il était trop tard, à présent, et cette guerre sur laquelle sa simple présence avait jeté un voile d'incertitude, il devait la mener jusqu'au bout.

Lorsque vint finalement le temps des examens de fin d'année, BUSEs et autres ASPICs, Harry ne savait toujours pas ce qu'il adviendrait de lui, mais il avait la ferme impression qu'il le saurait bientôt.


Le lendemain du dernier examen, une étrange atmosphère semblait avoir envahi le château. Certains élèves répugnaient à quitter le cocon protecteur de l'école pour retourner dans le monde extérieur durant les deux mois qui viendraient, d'autres, échaudés par l'attaque de mai, attendaient avec impatience le moment de partir. Quant aux septième années, ceux-là qui partaient et savaient qu'ils ne reviendraient probablement jamais, on les voyait au détour d'un couloir ou d'une salle de cours, occupés à graver dans leurs mémoires tout ce qu'ils pourraient prendre de souvenirs avant le départ.

Mélancolique, Harry surveillait de loin son petit troupeau qui s'asseyait pour la dernière fois à la table des Gryffondors. Les sourires étaient un peu tremblants, les larmes au bord des lèvres et la gorge un peu nouée, mais aucun d'entre eux ne pleuraient vraiment. Quoiqu'il arrive, ils savaient qu'ils continueraient à se voir. James s'accrochait à Lily avec toute l'ardeur d'un homme tombé fou amoureux, et rien ne séparerait jamais les Maraudeurs. Quant à Anna, elle surveillait sa meilleure amie d'un œil d'aigle, et paraissait tout à fait décidée à s'assurer que James la traite convenablement pour aussi longtemps qu'il le faudrait.

Cette vision mit du baume au cœur de l'Auror, et adoucit un peu le poids qui pesait sur son esprit angoissé. Prenant enfin le temps d'arrêter la roue infernale de ses craintes et de ses doutes, il chercha Severus du regard. Ne le trouvant nulle part, il se rembrunit. Le Serpentard avait apparemment choisi de ne pas assister au banquet de fin d'année, et Harry se rendit compte qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il adviendrait du jeune homme à partir de maintenant. Il aurait dû tenter bien plus tôt de reprendre contact avec lui, quitte à affronter sa colère et son besoin de solitude. Ce long silence et cette étrange défiance ne lui disaient rien qui vaille, et s'il voulait régler ce qui le tracassait, il semblait que c'était là sa dernière chance.

Et c'est pourquoi Harry se mit à arpenter les couloirs de Poudlard le soir même, sa Carte des Maraudeurs à la main, tentant de repérer le petit point étiquetté "Severus Rogue" qui ne se trouvait pas là où il aurait dû l'être — c'est-à-dire dans sa Salle Commune.

Trop préoccupé par sa recherche, il ne se rendit pas compte qu'il n'était pas le seul à rôder dans le château ce soir-là. James, Sirius, Peter et Remus, profitant de leur dernière nuit dans l'école, avaient décidé de remettre la main sur l'un de leurs biens les plus précieux. La carte de Poudlard qu'ils avaient créé deux ans plus tôt leur avait malheureusement été confisquée par Rusard au milieu de l'année, et bien qu'ils n'en aient pas eu l'occasion jusqu'à maintenant, ils avaient bien l'intention de la récupérer — ne serait-ce que pour la passer à la prochaine génération de fouteurs de troubles. Tandis que deux d'entre eux se chargeaient de distraire Rusard à l'aide de quelques Bombabouses et autres joyeusetés, les deux autres parvinrent à s'infiltrer dans le bureau du concierge et à retrouver la carte.

Quelle ne fut pas leur surprise lorsque, en voulant s'assurer qu'elle fonctionnait toujours correctement, ils aperçurent un petit point proclamant fièrement "Harry Potter"…

Le premier moment de choc et d'incrédulité passé, ils n'eurent aucune hésitation et se lancèrent spontanément à la poursuite du mystérieux intrus.

Harry, quant à lui, avait fini par retrouver la trace de Severus… trace qui conduisait tout droit dans un passage secret dont il avait jusqu'à maintenant totalement ignoré l'existence. Cette découverte ne lui disait décidément rien qui vaille, et c'est la gorge serrée et l'angoisse lui battant aux tempes qu'il s'engagea dans l'étroit couloir, regrettant de ne pas avoir pensé à prendre sa Cape d'Invisibilité avec lui. James, Sirius, Remus et Peter surgirent juste à temps pour voir sa silhouette indistincte s'enfoncer dans le passage et ainsi disparaître de la carte. Afin de s'assurer que l'inconnu ne les avait pas repérés, ils furent forcés d'attendre que le passage se referme et perdirent de précieuses minutes à trouver le mécanisme qui déclenchait l'ouverture.

Pendant ce temps, Harry avait l'impression distincte de s'enfoncer sous les fondations de Poudlard. Une sorte de toboggan le conduisit droit dans les rets de ce qui avait dû être l'une des Strangulanes Mauves du professeur Dodendron, mais n'était plus qu'un tas de cendres fumant. Ce spectacle ne le surprit pas autant qu'il ne causa en lui le déclenchement d'un système d'alarme strident, tant il lui paraissait familier. L'urgence lui fit presser le pas, le poussant presque à courir tandis qu'il passait de salle en salle, découvrant épreuve après épreuve. Là, un sortilège d'une rare puissance avait tracé une traînée de destruction à travers les parois d'un labyrinthe, conduisant droit à la sortie. Ici, une Acromantula gisait sur le dos, ses pattes chitineuses contractées au-dessus de son large corps. Ici encore, une porte parmi des dizaines d'autres était ouverte, l'énigme qui la protégeait franchie avec une facilité déconcertante. Et encore, et encore…

Jusqu'à ce qu'il surgisse enfin dans la dernière salle, son cœur battant dans sa gorge comme un oisillon affolé.

Severus tourna à peine la tête vers lui, sa baguette déjà posée sur l'objet qu'il était venu chercher. C'est d'un regard indéchiffrable qu'il détailla l'expression pâle et incrédule de l'Auror. Anéanti, paralysé par le choc et la morsure impitoyable de la trahison, Harry s'était immobilisé, incapable de faire un mouvement de plus. Ce n'est donc pas de lui qui vint le cri de rage qui résonna au moment où Severus enclencha l'objet, cette création dont Anne Potter avait pourtant protégé le secret avec tant d'acharnement. Une étrange onde de choc se propagea, si grave qu'elle en était inaudible, mais si forte qu'elle se répercutait dans les os, la tête et le cœur. James ignora son inconfort et se jeta en avant, le regard plein de haine, prêt à frapper Rogue, à l'étrangler, à le… Mais le Serpentard avait déjà reculé, d'un geste vif et agile, et eut l'audace de lui adresser un rictus de satisfaction malsaine. Le Portoloin qu'il tenait à la main s'enclencha, et il disparut.

Un silence stupéfait s'installa sur la salle. James tremblait de rage, les poings serrés à s'en faire saigner les paumes. Harry fixait toujours l'endroit où s'était tenu Severus, apparemment incapable d'en détacher les yeux. Quant aux trois Maraudeurs, ils tentaient désespérément de comprendre ce qui s'était produit, et ni le visage totalement défait de l'Auror, ni l'amertume cuisante qui se peignait sur celui de leur ami ne pouvait leur laisser croire qu'il s'agissait d'une bonne chose.

Après ce qui s'était passé la dernière fois qu'il s'était enfoncé dans la Forêt Interdite avec Lily, James avait finalement réussi à obtenir la vérité de la bouche de sa mère. Elle lui avait tout avoué à propos de cette mystérieuse invention dont elle craignait tant qu'elle atterrisse entre de mauvaises mains. Créée à partir d'une étrange inconsistence dans le tissu de l'univers qui se serait produite au début de l'année, sans qu'elle puisse expliquer pourquoi, cet objet était chargé d'une énorme quantité de magie nullifiante. Si quelqu'un lui fournissait l'énergie nécessaire pour l'activer, elle se propageait dans un large rayon autour de lui et annulait l'action de tous les catalyseurs de magie — à savoir, les baguettes magiques — se trouvant à sa portée à ce moment précis.

D'après ce qu'elle avait pu déterminer, l'effet était temporaire, mais il durait tout de même plusieurs heures. C'était largement assez pour qu'une armée de Mangemorts investisse Poudlard et élimine tous ses opposants.

Harry ne dit rien lorsque les quatre jeunes hommes se tournèrent vers lui, en attente de sa prochaine action. Il tourna simplement les talons, visage fermé et regard vissé au sol, et s'élança en sens inverse à travers les salles qu'il venait de franchir.


L'attaque fut plus soudaine encore que celle de mai.

Les Mangemorts, plus prêts que jamais, franchirent les murs de l'école à l'instant précis où Severus se matérialisa parmi eux. Ils s'avancèrent silencieusement parmi les herbes hautes du parc, silhouettes cauchemardesques que les gargouilles et autres créatures ne purent qu'à peine ralentir. Les défenses de l'école avaient déjà été sérieusement éprouvées par la bataille précédente, et il ne fallut que peu de temps avant qu'elles ne s'inclinent à nouveau.

A l'intérieur du château, Harry et les Maraudeurs étaient parvenus à sonner l'alarme, mais la plus grande confusion régnait. On découvrait que les baguettes magiques n'étaient plus que des morceaux de bois inutiles, on comprenait soudain que sans elles, il devenait impossible de se défendre. Dumbledore avait tenté de lancer un SOS désespéré au Ministère et à l'Ordre du Phénix, pour découvrir que les Mangemorts étaient parvenus à couper leurs communications par cheminée. Un hibou partit, porteur d'une missive hâtivement rédigée, mais le Directeur ne se faisait aucune illusion. Lorsque le message parviendrait à destination, il serait déjà trop tard.

Il fallait gagner du temps, ou tous les résidents du château étaient perdus.

Alors Dumbledore ordonna aux élèves de se disperser dans l'école et de tout faire pour rester en vie. L'union faisait la force, mais lorsque les moyens de se défendre manquaient et devenaient dérisoires, on ne pouvait que prier pour que les monstres trouvent aussi peu de victimes que possible. Albus lui-même descendit calmement les escaliers de marbre et se rendit dans le Grand Hall. Il refusa que ses collègues restent auprès de lui, les enjoignit à se mêler aux élèves et à prendre soin d'eux, surtout des plus jeunes que la terreur paralysait presque.

Beaucoup désobéirent. Il le savait, entendait les plus courageux des jeunes gens ou des enseignants qui n'allèrent pas plus loin que le haut des escaliers, se cachant de leur mieux dans les ombres des armures ou derrière la rambarde pour observer la scène, prêts à intervenir à tout moment bien qu'ils savaient qu'ils ne pourraient rien faire. Il ne leur en tint pas rigueur. C'était leur choix.

Parmi ceux-là, il savait que se trouvait le jeune Davies, le visage probablement aussi sombre et indéchiffrable que lorsqu'il lui avait appris la menace qui pesait sur eux à peine quelques minutes plus tôt. Il n'avait jamais réussi à le comprendre, ce jeune homme, jamais réussi à déterminer s'il était ennemi ou allié. Enigme vivante, cela il l'était, mais Albus n'était pas habitué à laisser une énigme irrésolue. Il le faudrait pourtant, et il caressa le plumage soyeux du phénix posé sur son épaule, comme pour lui demander de lui accorder encore un peu de sa force. Fumseck émit une trille rassurante et raffermit sa prise sur la chemise de nuit du vieux sorcier, l'assurant de son soutien en cette heure sombre comme en toutes les autres.

Les grandes portes s'ouvrirent en claquant sur l'obscurité du parc, arrachant un souffle collectif de terreur aux indiscrets postés derrière lui. Albus ne fut pas surpris. Il y avait un temps où Tom avait été un jeune homme poli et courtois, respectant les règles par devant pour mieux se moquer d'elles par derrière. Cette façade de fausse civilité apparaissait encore aujourd'hui, notamment lorsque le Seigneur des Ténèbres était d'humeur joueuse, mais le besoin d'impressionner prévalait : les rires sifflants, les entrées grandiloquentes, les portes qui claquaient, et cette manie agaçante de ne jamais dire bonjour. Mais bien sûr, il était au-dessus de tout ça, et le seul salut qu'il reçut fut la lueur triomphante dans ces yeux qui n'avaient pas toujours été rouges.

Seul face aux portes, le vieil homme aurait pu paraître frêle dans sa chemise de nuit d'un gris passé, mais il exsudait pourtant toujours cette aura de puissance tranquille. La satisfaction de Voldemort se teinta d'agacement.

La discussion fut courte, malgré tous les efforts de Dumbledore. Voldemort tenait à savourer son moment de triomphe, l'instant où il allait enfin terrasser son plus grand ennemi, mais il n'était pas pour autant assez stupide pour risquer de perdre sa chance en s'éternisant en effets de manche et en glorieux discours. Le vieil homme tentait de retarder sa fin, mais le moment était venu.

Au moment où le Seigneur des Ténèbres levait enfin sa baguette, cependant, un cri perçant retentit. Le phénix du vieux fou fondit sur lui depuis les ombres où il s'était dissimulé pour attendre son heure, et Lord Voldemort protégea juste à temps ses yeux des terribles serres qui cherchait à labourer son visage. Poussant un hurlement de rage, il repoussa vivement l'oiseau infernal et leva à nouveau son arme. Avant que l'un de ses mignons n'ait pu esquisser plus de deux pas pour lui venir en aide, un éclair vert fendit l'air et percuta le volatile ; dans un nuage de plumes dorées, Fumseck le poussin retomba à terre avec un 'chirp' de protestation, sa tête déplumée fusillant le mage noir du regard.

Un sort crépita aux pieds d'Albus, mais cela n'empêcha pas le vieillard de continuer à gravir l'escalier quatre à quatre, profitant de la distraction des Mangemorts pour sommer à nouveau ses ouailles de se disperser. Sa voix sonore et impérieuse fut assez pour que beaucoup d'entre eux sortent de leur transe horrifiée et s'exécutent immédiatement, filant trouver un abri précaire dans les couloirs de l'école. James serra la main de Lily et la releva vivement, sachant que les trois Maraudeurs et Anna les suivraient sans hésiter.

Près de l'escalier, Harry se redressa à son tour. Mais il ne fuit pas.

Dumbledore s'était arrêté au milieu des marches, ses oreilles à peine émoussées par les années captant sans mal les premières syllabes de la formule qui mettrait fin à sa vie. Décidé à mourir avec dignité, il se retourna et son regard d'un bleu si pâle croisa les pupilles rouges du Seigneur des Ténèbres. Les lèvres du mage noir bougeaient, mais il n'entendait plus aucun son. Il avait fait ce qu'il avait pu, avait protégé ses élèves, ses enfants, de toutes ses forces considérables. Il ne pouvait plus qu'espérer que cela serait assez, espérer que le message arriverait à temps, que Minerva et les autres survivraient et prendraient soin de l'école comme il en avait pris soin.

« … Kedavra. »

Et puis il y eut une intense lueur verte et Albus fit tout son possible pour ne pas fermer les yeux, décidé à regarder la mort en face.

S'il avait cédé à la tentation, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, s'il avait baissé les paupières, il n'aurait pas compris ce qui se passa ensuite tant ce fut rapide. A peine un mouvement capté du coin de l'œil, une silhouette qui s'interposait soudain entre lui et la mort, et un cri de rage et de désespoir qui se répercuta sous le haut plafond du Grand Hall. A l'instant où la paume de Harry Davies rencontra le marbre des escaliers, la pierre lisse et polie par les âges se contorsionna et se gondola, puis bondit vers le haut et se dressa en un mur de roche sur lequel vint s'écraser le sortilège de Mort.

Un silence abasourdi tomba. Sous l'effet de la surprise, Albus esquissa un pas de recul.

La paroi de marbre retomba aussi vite qu'elle s'était dressée, se fondant dans les escaliers comme si elle ne les avait jamais quittés, et Harry ne détourna pas le regard lorsque Voldemort posa ses yeux brûlants sur lui. Le Seigneur des Ténèbres émit un sifflement corrosif.

« Auror Davies » cracha-t-il finalement, son regard se faisant calculateur. « Ainsi nous nous rencontrons. Mes Mangemorts m'ont beaucoup parlé de vous. »

« En mal, j'espère. »

Voldemort lâcha un rire chuintant. Deux pas derrière lui, Severus frémit lorsque le regard de l'Auror se posa sur lui et y resta ancré malgré le masque qu'il portait. Il n'y avait nulle colère dans ce regard, nulle haine, seulement un regret insondable et la morsure amère de la trahison. Severus en ressentit de la culpabilité et l'utilisa pour nourrir sa propre rancœur. Il ne devait rien à l'Auror, il n'avait aucun compte à lui rendre ! Il l'avait manipulé pour s'assurer son soutien et l'avait promptement oublié dès qu'il avait eu ce qu'il voulait. Que Potter et ses acolytes soient en danger et il apparaissait comme le parfait chien de garde qu'il était, mais Severus ? Severus n'avait été qu'un instrument, et il avait été naïf de croire qu'un homme aussi honorable que Davies ait pu vouloir se salir les mains en devenant son ami.

Lucius lui avait été d'une aide précieuse durant ses quelques mois, et c'est grâce à lui qu'il avait finalement pu rencontrer son Maître. Le Seigneur des Ténèbres lui offrait tout ce dont il avait jamais rêvé, pouvoir et puissance, connaissance et respect, l'opportunité de se venger et d'être enfin utile. Il avait eu tort de douter de lui, de croire aux mensonges de Dumbledore et de son Auror de poche. Le Seigneur des Ténèbres ne l'avait pas forcé à le rejoindre, il lui avait fait une offre que, au bout du compte, il n'avait pas pu refuser. Il lui avait même révélé l'espion que Davies avait si habilement inséré dans sa vie, sous la forme de Satis, le petit serpent qu'il lui avait offert pour Noël. Le corps de la petite bête était depuis longtemps parti en cendres, et la souffrance qu'il en avait ressenti n'avait fait qu'alimenter la haine qu'il portait à présent à l'Auror qui s'était joué de lui.

Davies n'avait aucun droit de le fixer comme il le faisait à présent. Si quelqu'un avait été trahi dans cette histoire, ce n'était certainement pas lui.

Severus ne détourna pas le regard, versant chaque once de sa haine et de ressentiment dans ses yeux froids. L'Auror poursuivait une discussion acerbe avec le Seigneur des Ténèbres, répondant par des piques mordantes à ses questions, mais ses yeux n'avaient pas quitté ceux de son ancien élève.

Lorsqu'il se détourna finalement, il semblait avoir pris dix ans de plus.

De son côté, Voldemort, bien qu'un instant amusé par le culot du jeune homme, commençait très vite à se lasser. Il aurait aimé savoir comment il était entré en possession de ces sorts exécutables sans baguette, mais si l'Auror ne lui fournissait pas ces informations de son plein gré, il n'aurait plus qu'à les soutirer à son corps brisé. Personne ne pouvait résister indéfiniment au Cruciatus et à une cure de Veritaserum, après tout, et une fois qu'il aurait envoyé le jeune Severus poursuivre ses études, il aurait très vite un Maître des Potions à sa disposition, et donc autant de Sérum de Vérité qu'il le voudrait. Une perle, ce garçon. C'était une belle trouvaille que lui avait soumis le jeune Lucius, et il saurait certainement en tirer parti.

Tout de suite, même, car l'échange de regards entre l'Auror et son nouveau Mangemort ne lui avait pas échappé.

Avec un rictus de satisfaction mauvaise, il invita d'un geste le jeune homme à s'avancer. Severus s'exécuta après un infime temps d'hésitation et il posa une main squelettique sur son épaule.

« Je crois par ailleurs que vous connaissez mon nouvel ami ici présent. »

Un murmure hargneux s'éleva du haut de la rampe et Severus reconnut les voix de Potter et Black, sans aucun doute occupés à traîner son nom dans la boue. Si ces deux-là n'avaient pas eu la présence d'esprit d'aller se mettre à l'abri — ce qui n'était d'ailleurs pas très surprenant — leurs acolytes et la Sang-de-Bourbe n'étaient sans doute pas loin. Le Maître jeta un coup d'œil perçant dans leur direction et Severus hésita un instant à prendre la parole pour lui donner l'identité des intrus, mais ce fut cette fois l'intensité d'un regard bleu très pâle qui le cloua sur place, sa langue sèche soudain collé au palais. Ce vieux fou de Dumbledore n'avait pas bougé depuis l'intervention de l'Auror et le fixait à présent avec autant de regret que son sous-fifre.

« Il a été d'une efficacité irréprochable aujourd'hui, et je pressens qu'il me sera d'autant plus utile dans les années à venir, aussi je pense que des remerciements s'imposent… » poursuivit le Seigneur des Ténèbres, et Severus aurait voulu lui hurler de se taire.

Davies retourna brutalement son regard vers le visage de Voldemort, et ses yeux étaient presque insoutenables d'intensité. L'espace d'un instant, le Seigneur des Ténèbres crut même voir une pointe d'émeraude se mêler au brun impitoyable.

« Ne joue pas à ça avec moi, Tom » gronda le jeune homme. « Tu pourrais découvrir que je ne serais pas celui de nous deux qui en souffrirait le plus. »

Voldemort pâlit à l'appel d'un nom qu'il avait rejeté depuis des années et son regard s'étrécit de rage, mais déjà un phénomène inattendu attirait son regard. L'Auror s'était figé, campé sur ses deux jambes au milieu de l'escalier de marbre, poings serrés pendant inutilement de part et d'autre de ses cuisses. Mais alors qu'il observait, une luminescence surnaturelle émergea de la peau de Davies et se propagea autour de lui à la manière d'un halo, auréole de magie pure aux teintes dansantes d'or et de ténèbres, soulevant les mèches brunes éparses pour dévoiler, sur le front du jeune homme, une cicatrice d'un rouge coléreux.

Très intéressé, Voldemort repoussa son Mangemort et s'avança de quelques pas, étudiant l'aura d'un œil critique.

« Impressionnant » dut-il reconnaître. « Je suppose qu'il n'est toujours pas possible de vous convaincre de vous joindre à moi ? »

Harry ne répondit rien durant de longues secondes, se contentant de darder sur le mage noir son regard haineux. La psalmodie qu'il fredonnait en langue elfique entre ses dents, trop bas pour que qui que ce soit d'autre qu'Albus l'entende, mobilisait toute son attention, mais il n'avait d'autre choix que d'utiliser ce dernier coup de poker. Avec un peu de chance, les Aurors étaient peut-être en train de se rassembler en ce moment même, et il devait absolument gagner assez de temps pour qu'ils atteignent l'école. Il n'avait pas l'intention de laisser quiconque mourir aujourd'hui, Albus pas plus que les autres, et c'était la seule solution, aussi improbable soit-elle. Si les elfes refusaient sa requête, comme ils étaient tout à fait en droit de le faire, il n'aurait plus d'autre choix que de s'efforcer de combattre lui-même à l'aide de ses maigres connaissances en magie non-humaine, et il s'épuiserait beaucoup trop vite pour résister très longtemps.

Enfin, après ce qui lui avait semblé être une éternité, il sentit une réponse à sa supplication. Non loin des murs de Poudlard, la Forêt Interdite toute entière se mit à frémir.

Harry reprit contact avec la réalité juste à temps pour esquiver le Cruciatus qui s'écrasa contre la rampe de l'escalier juste à côté de son coude. Voldemort leva à nouveau sa baguette, son regard rouge furieux dardé sur lui, ayant apparemment compris qu'il préparait quelque chose qu'il n'avait aucun intérêt à le laisser mener à bien. Harry évita un nouveau sort et hurla à Albus de reculer.

« Mon garçon… »

« Pour l'amour de Merlin, Albus, reculez ! »

Il se retourna et planta brièvement son regard dans celui du vieux sorcier.

« Pour une fois, juste pour cette fois, je vous en supplie, faites-moi confiance. »

Le directeur hésita encore un instant, puis il hocha gravement la tête et gravit l'escalier avec la vélocité d'un homme de la moitié de son âge.

Harry esquiva et annula de son mieux les sorts qui pleuvaient à présent contre lui, les Mangemorts avançant comme un seul homme pour l'immobiliser et l'offrir à leur Maître. Harry s'épuisait extrêmement vite, forcé à parer avec des sorts nains ou elfiques qui le drainaient tous impitoyablement, mais paradoxalement l'énergie ne cessait d'affluer en lui. La vie même de la Forêt Interdite lui était insufflée, relayée par les elfes qui lui offraient une dernière chance de s'excuser de la mort des leurs, et la magie s'amassait en quantité phénoménale dans son corps. Il n'était qu'un humain, et bien qu'il ait toujours disposé d'un énorme potentiel magique, ce n'était rien face à ce qui lui était offert.

La magie sauvage battait contre ses tempes et emplissait ses entrailles, bataillant contre son enveloppe de chair et de sang, avide d'être libéré de cette prison exigüe. Harry refusa de céder, tenant aussi longtemps qu'il le pouvait, la forçant à se contracter sur elle-même jusqu'à ce que son corps lui semble prêt à exploser et un peu plus longtemps encore.

Et lorsqu'enfin il dut s'arrêter pour cracher du sang, alors il releva les yeux et les planta dans ceux de Voldemort. Rassemblant les dernières forces que lui offrait son corps mortel, il bondit et fit appel au sort de vol elfique.

Pour la première fois de sa vie, il sentit qu'il l'avait parfaitement réussi. Il aurait pu s'envoler ici et maintenant, passer comme l'éclair au-dessus des têtes de Mangemorts et franchir les grandes portes, s'échapper dans le parc et quitter l'école à tout jamais. Il aurait pu disparaître, laisser le présent se construire seul, les laisser tous gérer la douleur et la guerre et les trahisons. Ce n'était pas son monde, ce ne l'avait jamais été. Mais c'était lui qui l'avait créé, lui et ses interventions maladroites, lui et sa persuasion mal placée qu'il pourrait toujours tout arranger. Alors une dernière fois, juste encore cette fois, il s'autoriserait à croire que tout était possible pour le Survivant, qu'il pouvait tout changer.

Une dernière fois, il changerait le passé, puis le laisserait se reconstruire seul.

Il relâcha le morceau de magie elfique au moment où tous s'y attendaient le moins et retomba comme une pierre, atterrissant droit devant le Seigneur des Ténèbres. Voldemort arrondit les yeux et tenta de lever sa baguette pour se défendre, mais il fut le premier à savoir, avec une certitude glacée et mortelle, qu'il était déjà trop tard.

Harry l'empoigna par les avant-bras avant qu'il n'ait pu articuler le sort de mort, et plongea son regard dans ses yeux rouges. Et sourit.

« Toi et moi, Tom » murmura-t-il. « Il n'y aura pas d'autre mort aujourd'hui. »

Et l'Auror, un filet de sang coulant le long de son menton, tourna une dernière fois les yeux vers Severus. Leurs yeux se croisèrent.

Harry lâcha prise.

Une énorme vague d'énergie explosa dans le Grand Hall, balayant tous ceux qui se trouvaient à proximité et les propulsant à terre. La voix du Seigneur des Ténèbres poussa un dernier hurlement inhumain alors qu'une lumière blanche insoutenable emplissait tout. En haut de l'escalier de marbre, plaqué contre le mur par le souffle de l'explosion, Albus refusait de détourner le regard malgré la douleur qui lui poignardait les yeux. A ses pieds, James avait plaqué Lily au sol et fermé hermétiquement les yeux. Son autre main était broyée dans celles de ses trois amis, et aucun des Maraudeurs n'aurait rêvé de lâcher prise.

Lorsque la magie se dispersa enfin et que la lumière se fit graduellement supportable, il ne restait plus au centre du Grand Hall, au cœur de l'anneau de Mangemorts stupéfaits, qu'un unique tas de cendres.

Lorsque les Aurors arrivèrent finalement quelques minutes plus tard, les partisans du Seigneur des Ténèbres avaient tous fui.

Voldemort était mort…

Harry Davies également.


Deux mois plus tard, Lily Evans devint Lily Potter au cours d'une cérémonie inoubliable.

L'été battait son plein, le monde magique célébrait son renouveau et ré-apprenait à vivre. Il y avait eu des feux d'artifice, des bals dansants et des beuveries à n'en plus finir. Il y avait eu d'innombrables articles de journaux, des éloges pleines de chaleur et même un mémorial dressé à la mémoire du vainqueur de Voldemort, cet homme venu de nulle part qui savait parler aux elfes et aux serpents et qui n'était plus rien d'autre qu'un héros. L'Ordre de Merlin, Première Classe, fut attribuée à Harry Davies à titre posthume.

De nombreux Mangemorts couraient toujours, mais sans Maître ils n'étaient rien de plus qu'un monstre sans tête. A Poudlard, une jeune femme du nom de Pomona Chourave s'était proposée pour reprendre le poste du professeur Dodendron, et le professeur Brouet avait repris du service pour encore quelques années, bien qu'elle envisagea de prendre bientôt sa retraite pour se consacrer à ses chaudrons sans risque d'intervention inopportune de mage noir psychopathe.

Albus rangea de côté le courrier du matin, désappointé comme tous les autres jours de ne pas y avoir trouvé de candidature de professeur de Défense Contre les Forces du Mal. Les choses s'annonçaient encore dures cette année. Il releva son regard pétillant vers les jeunes gens rassemblés devant son bureau.

« Je suppose donc que vous avez pris votre décision ? »

« Oui » répondit James. « Si comme vous le pensez, Voldemort est encore là quelque part, il faut qu'on soit prêts pour son retour. »

« Il a assez fait de mal comme ça » renchérit Lily, appuyée contre l'épaule de son mari. « Il faut qu'il soit stoppé définitivement. »

« Et Davies a donné sa vie pour nous débarrasser de cette enflure. Ca me fait enrager de penser qu'il puisse être mort pour rien ! » gronda Sirius.

Remus et Peter se contentèrent de hocher la tête, le visage grave, et Albus sourit.

« Très bien. Je vous contacterai sous peu pour vous donner le lieu et la date de la prochaine réunion de l'Ordre du Phénix. »

Ils se levèrent tous les cinq et lui sourirent en retour.

« Merci de nous faire confiance » dit Remus. « Vous ne le regretterez pas. »

« Oh, j'en suis sûr. »

« Et puis Jamesie et Lily-jolie seront bientôt Aurors » rit Sirius, donnant une bourrade à son meilleur ami. « On a quelqu'un qui suit les traces de notre héros préféré ! »

« Je trouve que Môssieur le Langue-de-Plomb est bien mal placé pour faire ce genre de commentaires. »

« Roooh, vexé, James chéri ? »

« Vous faites vraiment une belle paire de guignols, tous les deux. »

Lily fit fi des protestations de Sirius et poussa les guignols en question vers la cheminée du bureau. La sorcière adressa un dernier signe de tête au directeur et un sourire aux deux autres Maraudeurs, puis poussa son petit monde dans le réseau de Poudre de Cheminette. Les trois jeunes gens disparurent dans une gerbe de flammes vertes.

« Euh, désolé qu'ils se soient éclipsés aussi vite » s'excusa Remus avec un sourire chagriné. « Lily et James ont un rendez-vous à Sainte-Mangouste et Sirius a absolument tenu à les accompagner… »

« Oh ? » fit Albus, élevant un sourcil soucieux. « Rien de grave, j'espère ? »

« Oh, non ! » fit Peter avec un large sourire. « Probablement pas. Mais depuis une semaine, Lily se plaint de nausées matinales… »

Les trois sorciers échangèrent un regard complice, puis Remus se détourna à regret.

« Je ferais bien d'y aller, moi aussi. J'ai obtenu un rendez-vous avec un éditeur… »

« Alors vous avez bel et bien décidé de publier votre livre, Mr Lupin ? »

« Eh oui ! » admit-il, gêné. « Après tout, il faut bien que je gagne ma vie, et un loup-garou ne peut pas juste apparaître à l'auberge du coin et demander du travail… »

« Si ce n'est pas trop indiscret, qu'est-ce qui vous a donné l'idée de vous lancer dans l'écriture ? » demanda Albus, sincèrement curieux.

Remus baissa les yeux et fixa un instant la pointe de ses chaussures, songeur.

« C'est le professeur Davies qui m'y a fait penser. Je n'en ai pas vraiment parlé à qui que ce soit, » avoua-t-il avec un sourire désolé en réponse à l'expression surprise de Peter, « mais peu de temps après l'attaque de mai, on a eu une longue discussion, lui et moi. Je lui ai dit que je n'avais aucune idée de ce que j'allais devenir à Poudlard et, eh bien… Il a fini par me dire que c'était dommage que personne ne comprenne vraiment les loup-garous, et qu'il faudrait quelque chose qui puisse faire comprendre aux gens exactement ce que nous ressentions. »

« Quelque chose comme Mémoires d'un loup-garou » fit le vieil homme en acquiesçant de la tête. « C'était bien pensé. »

Remus eut un sourire de fierté.

« Au revoir, professeur. »

« A bientôt, Mr Lupin, et bonne chance pour votre entretien. »

Remus jeta un coup d'œil interrogateur à Peter, mais le jeune homme lui offrit un sourire d'excuse et ne bougea pas. Haussant les épaules, le loup-garou se dirigea vers la cheminée et disparut à son tour. Albus reporta son regard sur le dernier des Maraudeurs. Il était évident que le jeune Pettigrow tenait à lui parler de quelque chose, mais il semblait trop nerveux pour prendre la parole. Albus lui facilita gentiment la parole.

« Et vous, Mr Pettigrow ? Des projets d'avenir ? »

Le jeune homme releva la tête et finit par croiser son regard. La lueur d'encouragement qu'il y vit fut assez pour qu'il prenne enfin sa décision.

« J'ai l'intention d'attaquer des études supérieures dans la Défense Contre les Forces du Mal » déclara-t-il.

Profitant de la surprise dans les yeux du directeur, il poursuivit.

« J'espérais qu'une fois mon diplôme acquis, je pourrais… enfin… peut-être… si le poste est toujours libre… »

Albus retrouva son sourire et lui adressa un regard pétillant.

« Vous serez bienvenu pour tenter de briser la malédiction, Mr Pettigrow. »

Peter se redressa, brillant de fierté.

« Je ferais de mon mieux ! »

Albus tendit la main, et après un instant d'hésitation, Peter la serra. Avec un dernier sourire, il jeta à son tour une poignée de Poudre de Cheminette dans l'âtre et quitta le château.

Albus regagna son bureau et s'y installa, méditant sur les étrangetés de la vie. Un jeune homme venu de nulle part avait suffi pour bouleverser bien des avenirs qui semblaient figés d'avance, et ce en moins d'une année. Souriant d'un sourire doux-amer, il ouvrit un tiroir lourdement protégé et en tira une lettre qu'il n'avait pu se résoudre à brûler. Pour la énième fois depuis qu'il l'avait reçue, quelques jours après la disparition de Voldemort, il la lissa soigneusement et se replongea dans sa lecture.

« A Albus Dumbledore,

Directeur de l'Ecole de Magie et de Sorcellerie de Poudlard.

Albus,

Cette lettre, remise à un Langue-de-Plomb en qui j'ai toute confiance, ne devait vous être envoyée que si un événement regrettable (essentiellement pour moi) venait à se produire. Je pense donc pouvoir entamer ce pli par la formule consacrée : si vous lisez ces mots, c'est que je suis mort.

N'est-il pas étrange d'écrire cette ligne ? Mais tout d'abord, je suis certain que vous vous demandez qui je suis, ou si ce n'est pas le cas (et vous connaissant, ceci n'aurait rien d'étonnant), pour quelle raison je vous ai adressé cette lettre.

Commençons par le commencement : je m'appelle Harry Potter, et je viens du futur… »


Près du lac, se tenait un grand loup à la fourrure d'un brun si sombre qu'elle en était presque noire et aux yeux d'un vert intense. Une étrange marque blanche en forme d'éclair était visible sur son front. Une dernière fois, l'animal contempla le château de Poudlard.

Enfin il lui tourna le dos et, sans un regard en arrière, disparut.