Notes (Octobre 2007): Philtra Temporis devrait compter, quand je l'aurai terminée, quelque chose comme cinquante chapitres. Le héros est Severus Rogue, personnage commun à la plupart des chapitres, et même si FFnet ne me laisse pas le préciser dans la liste des personnages, Hermione n'est pas le seul autre personnage principal. Quant à savoir qui sont les autres... Je vais me taire, sous peine de révéler le scénario. Enfin, la fic fonctionne sur le principe "un nouveau personnage par chapitre", donc beaucoup de monde est impliqué dans l'histoire.
Je tiens à remercier encore toutes les personnes qui ont laissé une review jusqu'ici (les remerciements chapitre par chapitre ont disparu dans un réupload un peu brutal du texte), et celles qui auront la gentillesse de le faire :)
... Et si vous avez toujours l'intention de lire... Bon courage.
Philtra temporis
1. Le maître
- "Mon temps est trop précieux pour que je le gaspille à des tâches aussi futiles que la formation d'apprentis."
Severus Rogue retint un soupir exaspéré lorsque, malgré le conditionnement de sept ans qu'il lui avait infligé, Hermione Granger ne baissa pas les yeux, ne bafouilla pas un "désolée, professeur", et ne s'enfuit pas en courant, mortifiée par sa propre stupidité et le regard assassin qu'il posait sur elle. Elle restait calme, composée, cherchant manifestement dans la liste d'arguments qu'elle avait mentalement préparée avant de venir - voire même quelques semaines plus tôt - la raison qui le pousserait à accepter sa demande insensée.
Il ne se débarrasserait pas d'elle si facilement. Elle n'était plus son élève - il se demanda brièvement s'il pouvait déduire des points à Gryffondor pour avoir laissé survivre la plus exaspérante des je-sais-tout que Poudlard ait connu. L'idée était tentante, mais une partie de lui lui soufflait que Minerva ne manquerait pas de protester. Ce qui ferait non plus une persécutrice, mais deux.
Il soupira.
Hermione se mordit la lèvre inférieure, inspira, et ouvrit la bouche pour parler, avec cette expression dont il se rappelait encore: celle qu'elle avait en levant la main en classe, la satisfaction d'être la seule à connaître la réponse à une question complexe.
- "Ne gaspillez pas votre salive, Miss Granger. Je n'ai pas l'intention de changer d'avis."
Elle avait déjà perdu assez de paroles et de temps. Et pourtant, elle ne semblait pas se décider à renoncer. Tellement "Gryffondor" de sa part. Et, bien entendu, l'assurance qu'elle avait gagnée en vainquant seule Lucius Malfoy lors de la bataille finale contre Voldemort (à moins que ce ne soit en pulvérisant tous les records des dix dernières années en passant ses Aspics) nourrissait son obstination.
- "Accepteriez-vous d'au moins de jeter un coup d'oeil à mes projets, avant de refuser définitivement?"
Severus sentait une migraine poindre. Il allait devoir songer à installer des barrières magiques pour empêcher les Gryffondors suicidaires de pénétrer dans les donjons pendant les vacances d'été. Voire en permanence, tant qu'à faire.
- "Non."
Elle eut le bon sens de baisser les yeux, cette fois. Mais elle ne recula pas pour autant. Hermione Granger. Un exemple type de cette catégorie de personnes qui semblaient penser que le reste du monde n'existait que pour assouvir leur soif de connaissance, et que tout autre être pensant se devait de bondir de joie à l'idée de leur enseigner.
Rogue rassembla toute la hargne dont il était capable, et s'apprêta à asséner une réplique venimeuse destinée à réveiller l'instinct de survie de son interlocutrice. Il renonça. Après tout, il fallait bien lui accorder un certain crédit: sur plus de quinze ans d'enseignement, elle avait sans doute été sa meilleure élève. Exaspérante je-sais-tout, peut-être... Mais la seule étudiante de sa classe à être assez perfectionniste et attentive pour réussir chaque potion au programme. Et, contrairement à la plupart des élèves, qui ne suivaient son cours après la cinquième que parce que c'était malheureusement nécessaire pour leur choix de carrière, Granger avait entamé des études en potions.
... Quoique ce choix d'études était justement ce qui l'amenait à la porte de son laboratoire en plein mois d'août. Elle devait passer une année en tant qu'apprentie d'un maître en potions. C'était plutôt à compter en la défaveur de la jeune femme.
- "Pourquoi moi?", grinça-t-il.
- "Parce que vous êtes le meilleur."
Severus resta muet, surpris. Une partie de son cerveau se mit à lui crier que rester silencieux devant une Hermione Granger débutant une explication était purement suicidaire.
- "Vous êtes un des rares sorciers capables de préparer la potion Tue-loup, et vous avez au cours des années apporté des améliorations notables à de nombreuses potions thérapeutiques - poussos - ou anesthésiantes - comme la potion de sommeil. Vous êtes également polyvalent, avec une excellente maîtrise de la défense contre les..."
- "Je connais mon curriculum, Miss Granger."
Elle baissa les yeux.
- "Désolée, professeur."
Severus faillit soupirer de satisfaction. Elle n'était peut-être pas si assurée, après tout.
- "Je crois savoir que Draco Malfoy suit exactement les mêmes études que vous, ce qui implique qu'il est lui aussi à la recherche d'un maître. Hors, il n'est pas venu toquer à ma porte en espérant que je le prenne comme apprenti. Vraisemblablement parce qu'il a assez de matière grise pour se rendre compte que devoir rajouter la formation d'un débutant à mon horaire déjà chargé n'est pas - et ne sera jamais - dans mes intentions."
- "Je... Bien, veuillez m'excusez de vous avoir dérangé. Bonne journée, professeur."
Il ne répondit pas, et sourit froidement en la voyant fuir vers le bout du couloir.
- "Vraiment dommage, Severus."
Albus Dumbledore. Rogue grinça des dents. Le vieux fou était en passe de devenir sa némésis personnelle. Certes, c'était le plus grand sorcier à l'heure actuelle. Certes, il était un symbole vivant de la victoire contre les forces du mal - même si Harry Potter était en passe de reprendre ce titre. Certes, il avait sauvé la vie de Rogue lors de son procès, et à de multiples autres reprises.
Mais lorsque le centenaire se mettait en tête d'intervenir dans ses affaires, Severus était partagé entre l'envie irrésistible de l'envoyer dans un asile d'aliénés, un hospice pour vieillards séniles, ou peut-être les deux (en pièces détachées). La dernière solution semblait la plus agréable.
- "Qu'est-ce qui est dommage, Albus?"
Severus n'avait même pas pris la peine de dissimuler l'exaspération dans sa voix, d'autant plus qu'il connaissait la réponse à la question. Mais Dumbledore aurait tourné autour du sujet pendant des heures s'il n'était pas entré dans son jeu. Ne pouvait-il pas pour une fois le laisser dîner en paix?
- "Pour Miss Granger... Elle serait une excellente apprentie... Une remarquable élève, ta meilleure, je pense..."
Le vieux sorcier avait une lueur amusée dans les yeux.
- "Je n'ai pas de temps à accorder à une adolescente. Je suis assez pris par mes propres travaux, merci."
- "Elle a plus de vingt ans, Severus. Et elle pourrait se révéler être plus une assistance qu'un encombrement. Elle est très douée."
Rogue se concentra sur l'image mentale d'Albus en pièces détachées, expédié par hiboux à Sainte-Mangouste et aux divers hôpitaux pour aliénés d'Angleterre. Une nouvelle idée afflua immédiatement: est-ce que cette barbe ferait un bon bâillon?
- "Et je préfère travailler seul, Albus. Inutile d'insister."
- "Peut-être que tu pourrais lui conseiller un autre maître? Elle reste à Poudlard jusqu'à la fin des vacances, pour se documenter à la bibliothèque. Tu trouveras bien quelques minutes pour jeter un regard à ses travaux et voir avec elle qui serait le plus apte à l'aider à progresser."
Il souriait. Severus déglutit péniblement, on ne peut plus conscient que Dumbledore avait décidé "que", et que, le vieux fou étant plus borné qu'une mule, le sujet Hermione Granger serait abordé matin, midi et soir jusqu'à ce que Rogue accepte de la prendre comme apprentie. Suite à quoi Albus trouverait une nouvelle lubie pour rendre la vie impossible à un membre aléatoire du personnel de l'école.
Aléatoire dans la mesure où la roue de la fortune poudlarienne était bloquée sur "Severus Rogue" depuis une bonne quinzaine d'années.
Pouvait-on étrangler les gens avec leur propre barbe?
- "Je verrai si je peux me libérer, Albus", souffla le professeur de potions en reposant ses couverts sur son assiette à peine entamée.
Bien. Cette réponse lui avait permis de gagner de précieuses heures, pendant lesquelles il aurait le loisir de s'enfermer dans les donjons et de bloquer toutes les entrées.
Il ne laissa pas le temps d'insister à son interlocuteur, et, au grand regret de son estomac, abandonna son repas pour mieux se replier dans ses quartiers. Mieux valait mourir d'inanition que de supporter Dumbledore.
Trois jours avaient passé, et son opération de repli dans ses appartements avait fonctionné à merveille. Il avait eu droit à une paix presque totale, dans son laboratoire, pendant les journées - même si Peeves avait trouvé hautement amusant de démonter toutes les armures du couloir le plus proche, et de jouer au bowling avec leurs pièces, ce n'était rien qui sortait de l'ordinaire.
Severus n'avait pas mis un pied dans la grande salle, même pour les repas, et avait évité tout contact social inutile. Les seuls êtres vivants qu'il avait rencontrés depuis sa discussion avec Dumbledore étaient les elfes des cuisines, où il allait piller les réserves de nourriture, au beau milieu de la nuit.
Tout était parfait.
Evidemment, ça ne pouvait pas durer.
Le mercredi matin, alors qu'il ajoutait la dix-septième pincée de poudre de croc de dragon - sur vingt-quatre précisément, à ajouter toutes les minutes sans cesser de mélanger la potion dans le sens des aiguilles d'une montre, sans erreur sous peine de phénomène Longbottom, pardon: explosion - dans le chaudron de la potion sur laquelle il travaillait depuis quinze heures, on toqua à la porte du laboratoire.
Severus faillit manquer la minute suivante, mais parvint à jeter de justesse une dix-huitième pincée de poudre dans la potion.
On toqua à nouveau. Rogue retint un soupir agacé, et décida d'ignorer l'intrusion.
Dix-neuf.
Le visiteur toqua plus fort.
Vingt.
L'instant d'après, il tambourinait à la porte. Severus lâcha accidentellement dans sa potion le peu de poudre qu'il avait déjà préparée. Trente secondes trop tôt.
Si Peeves s'était trouvé dans la pièce, son vocabulaire se serait accru de quelques très explicites jurons.
Avant qu'elle n'explose, Rogue fit disparaître la mixture, qui virait a un vert peu engageant, et s'apprêta à décharger ses foudres sur l'inconnu qui avait osé le déranger.
Il ouvrit la porte d'un geste rageur, s'apprêta à déverser un flot de venin verbal, mais se força à se taire en croisant le regard gris et polaire de Draco Malfoy.
Merlin, les choses allaient de mal en pis.
Draco, tout comme Hermione, préparait une maîtrise en potions et alchimie. Il était dans la même classe qu'elle et, en conséquence, devait également devenir apprenti pour un an.
La différence entre les deux tenait au fait que, si Miss Granger n'avait aucun moyen d'obliger Rogue à accepter de la former, Malfoy ne manquait pas de ficelles à tirer pour parvenir à ses fins. Après la mort de Lucius, qui avait été publiquement reconnu comme un mangemort, Draco avait très vite rétabli la réputation des Malfoy dans le monde magique. Avoir reçu l'Ordre de Merlin l'y avait plus que notablement aidé, bien entendu. Personne n'oubliait le "courage" de Draco Malfoy, qui avait assisté Harry Potter lors de son affrontement contre Voldemort. Comme si arriver à la dernière minute sur le lieu du combat et jeter un simple sortilège de combustion sur le seigneur des ténèbres, juste avant que le Survivant ne lance l'Avada Kedavra final, était une preuve d'héroïsme. Ridicule. Toutefois, son intervention lui avait permis de profiter d'une partie de la gloire de Potter, et de laver le nom des Malfoy.
Draco avait bien entendu une forte influence sur le ministère de la magie - au grand dam d'Arthur Weasley, nouveau ministre - et il allait sans dire que s'il pouvait faire pression sur Albus pour voir Severus forcé de le prendre en apprentissage, il n'aurait pas la moindre hésitation. Les Malfoy avaient cette exaspérante manie d'agir comme si le monde leur appartenait.
Severus devait absolument trouver une excuse incontournable pour refuser d'enseigner au jeune crétin.
- "Ca ne va pas être possible, monsieur Malfoy", affirma le maître en potion. "J'ai déjà une apprentie."
Une vague de réalisation traversa Rogue, qui sentit son sang se glacer. Il n'avait pas dit ça?
- "Pardon?", s'étonna Draco en haussant un sourcil.
Severus retint une grimace. Il l'avait dit. Après des années passées à espionner et mystifier Voldemort, legilimens confirmé et véritable paranoïaque au sujet de la fidélité de ses serviteurs, il n'était pas capable d'inventer un mensonge un tant soit peu crédible? Merlin, que lui prenne une apprentie était aussi vraisemblable que de voir Neville Longbottom réussir une potion.
Et Malfoy n'était manifestement pas assez crédule pour avaler une telle ineptie.
- "J'ai déjà une apprentie. Hermione Granger est venue me trouver il y a deux jours, et m'a adressé la même requête que vous. J'ai malheureusement accepté, et les papiers officiels confirmant qu'elle est à présent mon élève ont déjà été renvoyés à votre directeur. J'en suis navré. Je ne m'attendais pas à votre visite, sinon j'aurais refusé sa proposition, cela va de soi."
Le jeune blond semblait atterré. Severus, quant à lui, tentait de son mieux de ne pas avoir l'air trop effaré par ses propres paroles.
L'idée de se jeter de la tour d'astronomie lui semblait soudain alléchante.
- "Hermione GRANGER?", s'écria Draco.
Severus acquiesça.
- "HERMIONE GRANGER?", répéta son vis-à-vis.
- "Je travaille sur divers projets extrêmement prenants, et j'avais besoin de quelqu'un qui puisse s'occuper des diverses tâches ingrates liées à ces travaux. Donc, j'ai accepté sa demande d'apprentissage."
- "Vous avez accepté..."
Rogue hocha la tête.
- "Vous avez accepté, juste pour lui faire nettoyer vos chaudrons sales?"
- "Et se charger de besognes aussi fascinantes que le hachage de cerveaux de crapaud, ou encore la dissection de rats morts. Navré, monsieur Malfoy."
Ce dernier s'était décomposé, à la pénible réalisation qu'il allait devoir réellement chercher un maître acceptant de le prendre comme apprenti. Cette fois, la solution de facilité semblait être tombée à l'eau.
- "... Et il n'est pas possible d'annuler votre engagement?"
- "Non, malheureusement. Vous savez comment fonctionnent les contrats magiques..."
"Malheureusement". Merlin, qu'il était pratique de savoir simuler la contrariété.
- "... Je vois."
- "Encore navré. Je peux par contre vous écrire quelques lettres de recommandation, et parler de vous à quelques uns de mes amis."
- "Je vous en serais reconnaissant, professeur..."
Un Malfoy qui le remerciait. Draco devait être totalement désespéré.
- "Je vous les ferai parvenir dès ce soir. J'ai bien peur d'avoir assez bien de travail cet après-midi, je suis sûr que vous comprendrez que je doive vous demander d'écourter votre visite...", affirma Severus en désignant un chaudron encore fumant au bout de la pièce.
- "Bien entendu, professeur. A une prochaine fois..."
Le blond sortit, dépité, et s'éloigna en fulminant. Severus eut un soupir de contentement à l'idée d'en être débarrassé. L'instant d'après, il se rappela de l'absolue idiotie qu'il avait inventée. Hermione Granger était supposée être son apprentie. Et, si elle venait à devenir l'élève de quelqu'un d'autre en septembre, Draco "Fléau du monde magique" Malfoy se rendrait obligatoirement compte que Severus lui avait menti. Ce qui ne laissait qu'une seule solution au maître en potions.
- "MERLIN, et MERDE!", s'écria-t-il avec un manque de politesse fort peu caractéristique de son vocabulaire habituel.
Jamais, pendant toutes ses années d'enseignement à Poudlard, Severus n'avait parcouru aussi vite le trajet entre les donjons et la bibliothèque. Il fallait préciser, évidemment, qu'il voyait rarement l'utilité de traverser les bâtiments au pas de course, et que, d'habitude, une foule d'étudiants indisciplinés se mettaient sur son chemin. Les vacances d'été avaient temporairement résolu ce dernier problème.
Quoique Rogue aurait apprécié de pouvoir décharger sa tension sur l'un où l'autre petit imbécile. Si le moindre adolescent s'était trouvé sur son chemin ce jour là, des points auraient disparu plus vite que l'on ne peut prononcer "injustice".
Rageusement, il poussa la porte de la bibliothèque, et chercha Hermione des yeux.
Il entraperçut une masse de cheveux bruns décoiffés derrière deux énormes piles de livres, et s'approcha pour trouver la jeune sorcière penchée sur des parchemins, en train de recopier une page d'un grimoire poussiéreux.
- "Miss Granger?"
Hermione sursauta, et releva la tête, l'air interloqué.
- "P... Professeur?"
Il jeta un rapide regard sur l'ouvrage que la jeune femme feuilletait. "Philtres et potions du moyen-âge". Un titre vague pour un livre au contenu tout aussi flou. Il se demanda brièvement quel était le sujet d'étude de son interlocutrice: sa bibliothèque personnelle regorgeait de travaux bien plus précis sur la plupart des potions de l'époque.
Il retint une grimace en réalisant qu'il avait presque envisagé de venir en aide à Hermione Granger, et songé à lui accorder l'accès à sa propre collection de livres. Insensé.
- "Avez-vous contacté d'autres maîtres à propos de votre apprentissage?"
Elle secoua la tête.
- "Pas encore. Comme je vous l'ai dit l'autre jour, vous êtes le meilleur dans le domaine qui m'intéresse. Et comme mes projets de travaux sont liés à la défense contre les forces du mal, j'espère trouver quelqu'un d'autre qui se soit spécialisé dans ce domaine..."
- "Je suppose que vous vous êtes déjà renseignée sur les autres maîtres?"
Elle hocha la tête.
- "Jonathan Lesage, qui enseigne à Beauxbâtons, mais ça m'obligerait à quitter l'Angleterre - en admettant qu'il accepte. Ou peut-être Freyr Harket, qui travaille au ministère. Ou..."
Severus tira une chaise vers lui, et s'installa face à la jeune femme, interrompant sa diatribe d'un geste de la main.
- "Peut-être que, tout compte fait, nous pourrions parvenir à un certain arrangement.", marmonna-t-il.
Elle le dévisagea avec incrédulité. Inventer une raison vraisemblable pour justifier son brusque revirement n'allait pas être une sinécure.
- "Il se trouve que je pourrais avoir besoin d'une assistance pour certains travaux laborieux. S'il est possible d'établir un bon équilibre entre vos projets et les miens, de façon à ce que nous arrivions tous deux à progresser plus vite, nous pourrions considérer votre apprentissage comme un échange de bons procédés..."
La jeune femme semblait dubitative. Severus s'efforça de ne pas avoir l'air désespéré. Mieux: de rester impassible. Même si le moment où la sorcière allait déclarer qu'elle ne comptait pas "travailler avec un vieux maître aigri, hostile, cynique et à l'hygiène corporelle discutable, tout compte fait, merci", semblait imminent.
Elle n'eut pas le temps de répondre, toutefois. Un ouragan blond pénétra dans la salle.
- "Granger, salle petite sang de bourbe, tu as intérêt à annuler ça tout de... Oh, professeur Rogue..."
- "Monsieur Malfoy..."
Draco était visiblement mortifié, mais ses traits reprirent très vite leur habituelle expression hautaine.
- "Je voulais juste avoir une petite... Discussion... Avec Hermione, à propos de..."
- "L'apprentissage?", suggéra la concernée.
Un léger sourire s'était dessiné sur ses lèvres. Severus se tendit. Elle n'avait pas mis longtemps à additionner deux plus deux. Il était donc à la merci d'une Gryffondor adolescente. Ca devait être un cauchemar. Il allait se réveiller très vite, et se rendre compte qu'il s'était endormi dans son fauteuil, pendant la lecture d'un texte obscur sur les propriétés magiques des plumes d'augurey.
- "L'apprentissage.", confirma Malfoy avec une grimace haineuse.
Le sourire d'Hermione s'élargit. Rogue se mordit l'intérieur des joues. Il était à sa merci, elle le savait et s'en amusait. Heureusement, le blond semblait croire que c'était de lui que la jeune femme se moquait.
- "Désolée, Draco... Mais les formulaires pour mon apprentissage ont déjà été renvoyés, et c'est un contrat magique, tu sais comment ils fonctionnent une fois signés, je pense?"
La peau déjà claire de Malfoy avait viré au livide, et ses traits s'étaient contractés sous l'effet de la colère. Et, que cela tienne à son expression, à sa carrure qui s'était élargie avec les années, ou encore à ses longs cheveux blond pâle; à cet instant précis, il ne se contentait pas de ressembler à Lucius: il était son image vivante. Dans son adolescence, il tenait plus de Narcissa, mais c'était un physique promis à disparaître avec l'âge. Les Malfoy, de père en fils, avaient toujours été de véritables copies au polynectar l'un de l'autre.
- "Bien sûr que je sais", grinça le jeune homme.
- "Je suis navrée... J'ai été surprise que le professeur Rogue ne me dise pas que tu l'avais déjà contacté, lorsque je suis allée le trouver. Comme ça fait des mois que tu as annoncé à la classe que tu avais déjà un maître... Alors forcément, j'ai présumé que tu avais été pris par quelqu'un d'autre..."
Si les regards pouvaient tuer, la brune aurait été un cadavre putride à ce moment. Draco paraissait au bord de l'homicide. Severus réprima un sourire moqueur. L'enfant gâté avait largement mérité les moqueries sous-entendues dans le ton savamment affligé de la sorcière.
- "Je... Tu me paieras ça, Granger..."
Et, à ces paroles, Draco quitta la pièce. Rogue fixa la porte quelques instants, on ne peut plus satisfait d'avoir vu l'insupportable héritier des Malfoy se faire remettre à sa place.
Puis, il se souvint de la situation dans laquelle il s'était mis.
Hermione.
Apprentie.
La jeune femme le fixait, une main sur la bouche, tentant de masquer son sourire. Sa tentative était inutile, malheureusement. Ses yeux étaient brillants d'amusement, et le reste de ses traits trahissaient son hilarité.
- "Je ne veux aucun commentaire, Miss Granger.", grinça Severus.
Elle resta muette, mais se détourna, les épaules secouées par des éclats de rire silencieux. Rogue chercha vainement une remarque meurtrière à lui adresser, mais ne parvint qu'à renifler d'agacement. C'était la chose à ne pas faire. Hermione se mordit désespérément la lèvre pendant quelques secondes, puis éclata de rire.
- "Miss Granger...", marmonna Severus, sur un ton qui se voulait menaçant, mais ressortit simplement las.
Le sorcier avait horreur qu'on rie à ses dépends, mais il devait admettre que cette fois, il l'avait mérité.
- "D... Désolée... Professeur...", bégaya Hermione entre deux éclats de rire.
Il leva les yeux au ciel.
- "Oh Merlin, reprenez-vous! Est-ce que vous avez les formulaires et votre convention d'apprentissage ici?"
Elle inspira, et se força à rester sérieuse quelques secondes.
- "Bien sûr, ils sont dans mon sac."
- "Alors dépêchez vous de les sortir! Connaissant Malfoy, il nous reste une dizaine de minutes avant qu'il ne se mettre à abattre tous les hiboux approchant de votre université."
Elle se précipita sur sa sacoche, lèvres pincées.
- "Et arrêtez de rire!"
- "Désolée..."
Severus douta immédiatement de sa sincérité, sans doute parce qu'elle était partie dans un nouveau fou rire.
- "Les élèves de Gryffondor perdront aléatoirement des points pendant au moins deux ans, pour votre impertinence..."
La jeune femme ne répondit pas, mais l'enseignant aurait pu jurer l'avoir entendue murmurer: "comme si ça allait faire une différence".
Circé, l'année allait être longue.
Les paperasses étaient signées, déposées directement sur le bureau du directeur de l'université d'alchimie et potions. Severus était condamné à passer un an de sa vie à supporter Hermione Granger, invivable je-sais-tout Gryffondorienne.
Considérant la situation extrême, il était de bonne humeur. Suicidaire, prêt au meurtre, mais de bonne humeur tout de même. Mieux valait Granger que Malfoy, après tout.
Ce fut donc avec relativement peu de mauvaise volonté qu'il se pencha sur les notes d'Hermione.
- "Sur quoi porte votre projet d'études?"
Elle saisit une pile de feuilles - du papier moldu, blanc, quadrillé et lisse, et pas du parchemin - et la fit glisser sur la table, puis se servit de la pointe d'un stylo-bille pour désigner divers passages du document.
- "Je pensais établir un dossier sur le vampirisme. Comme la lycanthropie, il s'agit d'une affliction incurable après la contamination, malgré les nombreuses expériences entreprises au cours des siècles pour guérir les vampires. Je vais donc commencer par un historique des traitements entrepris et une analyse des diverses potions utilisées."
Severus parcourut du regard les notes que la jeune femme lui présentait.
- "Je suppose que vous ne comptez pas vous limiter à une simple ligne du temps commentée?"
- "Non, bien entendu. Toutes les recherches entreprises sur les vampires, jusqu'ici, ont porté sur les moyens de les guérir, ou de maîtriser leurs instincts - par un équivalent vampirique de la potion Tue-Loup. Vu l'opinion des précédents gouvernements sur les créatures magiques, personne n'a songé - ou osé - approcher le problème d'une autre façon. J'envisage de baser mes recherches sur un moyen non pas de limiter l'instinct, mais de le contenter, en permettant au vampire de se nourrir sans devoir chasser des animaux, ou se procurer de réserves de sang humain chez les moldus. Il devrait être possible de développer un équivalent suffisamment nutritif, une sorte de sang de synthèse."
Enthousiaste, elle commença une explication plus poussée, et Rogue fut heureux d'avoir quelques rudiments de chimie moldue, sans quoi il aurait été complètement égaré après trois mots. Mais il ne pouvait pas la laisser poursuivre.
Il secoua la tête.
- "Vous allez devoir trouver autre chose."
Elle releva brusquement la tête, l'air dépité.
- "Pardon?"
- "Les laboratoires Ashwinder & Hipworth ont commencé à travailler sur un projet similaire dès le jour où Arthur Weasley a accordé l'ordre de Merlin seconde classe à un loup-garou." - Remus Lupin avait été l'heureux privilégié, pour avoir capturé Peter Pettigrew - "Et ils se sont mis à recruter sérieusement dès le moment où les nouvelles lois sur le statut social des loups-garous ont été acceptées. Ils s'attendent à ce que les vampires soient les prochains à bénéficier des largesses d'Arthur."
Hermione semblait abattue, et un peu incrédule, certainement furieuse contre elle-même de ne pas s'être rendue compte que son sujet d'expérience était déjà à l'étude.
- "Ils développent ce projet en toute confidentialité", ajouta Severus. "Je n'en ai entendu parler que parce qu'ils m'ont contacté pour prendre un poste de chercheur." - A vrai dire, de chef de projet, mais il ne jugea pas nécessaire de préciser. - "Toujours est-il que si vous entrepreniez des recherches sur le sujet, elles seraient obsolètes d'ici la fin de l'année. Sans compter le fait que vous auriez besoin de matériel dont Poudlard ne dispose pas, ainsi que d'un vampire pour d'éventuels tests. Non, contrairement à la croyance populaire, je n'en suis pas un."
- "Je ne pensais pas que vous étiez..." - Elle s'interrompit elle-même d'un geste de la main, et sortit un bloc-notes de son sac. - "Mon deuxième projet concernait l'élaboration d'une potion qui contrerait l'effet des détraqueurs pendant un laps de temps donné."
Rogue haussa un sourcil. Il était prévisible qu'Hermione ait prévu une solution de secours, mais il avait apparemment donné trop de crédit à l'esprit de la jeune femme: il s'attendait à quelque chose de plus original.
- "Brillant, Miss Granger...", souffla-t-il avec le ton caustique et agacé qu'il réservait aux étudiants de première année qui se risquaient à des suggestions stupides.
- "C'était seulement la solution de dernier recours."
- "Vous voulez dire que vous avez un autre projet intéressant et original à l'esprit, et que vous vous permettez de nous faire perdre notre temps en mentionnant une idée aussi banale qu'une potion contre les détraqueurs?"
Merlin. Elle était exaspérante. Toutefois, il se demanda un moment ce qui pouvait la pousser à préférer proposer un projet insignifiant, plutôt que d'évoquer directement ce qu'elle avait envisagé en premier lieu.
Elle plongea dans son sac, et en ressortit grimoire poussiéreux, à la couverture reliée de cuir bruni, et qui dégageait l'odeur de vieux papier si familière à tous les rats de bibliothèque. Un signet dépassait du livre, et elle ouvrit l'ouvrage à la page qu'il désignait. Severus attira le grimoire à lui, parcourant le texte des yeux. C'était du latin, manuscrit, enluminé, et peu lisible: le papier était taché et déchiré par endroits. On pouvait tout de même reconnaître une liste d'ingrédients, et quelques instructions sur la préparation d'une potion.
Severus se figea en déchiffrant le titre. "Imaginis philtrum."
Pas étonnant que la jeune femme ait été peu encline à parler de ce projet. Où avait-elle...
- "Où avez-vous trouvé ce livre?", s'exclama-t-il.
Il ne devait pas exister plus d'une cinquantaine d'ouvrages traitant de ce philtre, et la plupart d'entre eux étaient soit enfermés dans les coffres-forts du ministère, soit dans les bibliothèques d'anciennes familles nobles. Quant aux textes contenant ne serait-ce qu'un fragment de la formule de l'Imaginis, ils devaient se compter sur les doigts d'une main. Severus avait jusque la été persuadé que le seul exemplaire existant était en possession des Malfoy.
Miss Granger ne s'était certainement pas procurée ce grimoire par des moyens légaux.
Elle se racla la gorge.
- "On me l'a offert."
- "Offert?"
- "Offert."
- "Et qui, je vous prie, a été assez généreux pour se séparer d'un livre dont la valeur aurait pu lui permettre de vivre dans le luxe pour plusieurs années?"
A son expression, elle ne soupçonnait pas la rareté de l'objet.
- "Proposez cet ouvrage à une famille telle que les Malfoy, et ils vous offriraient un manoir - mobilier inclus - pour que vous le leur vendiez", expliqua-t-il. "Et si vous acceptiez cette offre, ils estimeraient vous avoir escroquée... Mais je suppose que pour le ministère, ceci n'est rien de plus qu'un torchon à brûler avec les traités sur la magie noire..."
- "Il..." - raclement de gorge - "Il semblerait que ce livre se soit..." - raclement de gorge - "... Egaré lors de la saisie des biens d'Antonin Dolohov par le ministère." - raclement de gorge - "Comme il n'avait pas d'héritiers, tout a été emporté et mis sous clef."
- "Et comment, je vous prie, un livre saisi par les aurors et mystérieusement égaré en cours de transfert a-t-il pu arriver entre vos mains?"
- "Il m'a été offert."
Après une demi-seconde de réflexion, Severus comprit qui exactement avait pu fournir le livre à Hermione.
- "Je reprocherais certainement à Nymphadora Tonks sa façon de se servir dans les biens d'autrui... Si cet ouvrage n'était pas perutilis."
Il ne remarqua même pas avoir glissé un mot de Latin dans sa réponse, occupé qu'il était à tenter de traduire le texte qu'il avait sous les yeux. Certaines personnes avaient la faculté de parler Anglais tout en réfléchissant dans une autre langue. Il n'en faisait pas partie.
Hermione le fixait, attendant patiemment qu'il reporte son attention vers elle. Il releva la tête.
- "Vous êtes décidée à travailler sur cette potion en particulier?"
Elle acquiesça.
- "L'imaginis est une potion...", entama-t-elle.
- "...Qui permet de conférer à un humain les pouvoirs d'un objet plongé dans la potion lors de sa préparation, je sais, Miss Granger. Une formule que Rowena Serdaigle elle-même a étudiée, et aux origines incertaines."
Voldemort, dans sa quête perpétuelle de pouvoir, avait chargé Severus de tenter de découvrir la composition exacte du philtre. Le texte fourni par Lucius Malfoy était abîmé et incomplet, et Rogue avait passé des mois à tester ingrédient sur ingrédient, sans le moindre résultat.
La version de la formule dont disposait Hermione semblait bien plus précise et complète. Il se demanda un instant s'il n'était pas plus prudent de faire disparaître le livre, de lancer un sortilège d'amnésie à la jeune femme. Admettant que l'Imaginis puisse être recréé, dans de mauvaises mains, il pouvait devenir une arme mortelle. Que se produirait-il si quelqu'un utilisait le philtre pour s'approprier l'effet d'une baguette magique, du miroir du Riséd, d'un oeil magique comme celui d'Allastor Maugrey?
Mais, après tout, Hermione Granger avait réussi à combiner l'honnêteté et la bravoure des Gryffondors avec l'intelligence d'une Serdaigle. Elle aurait suffisamment la tête sur les épaules pour mesurer les dangers d'une telle potion.
- "Est-ce que ce projet conviendrait?", questionna-t-elle.
Severus, poussé par un intérêt purement scientifique et par le sentiment d'inachèvement que lui avait laissé l'arrêt forcé de ses recherches sur l'Imaginis, à la première défaite de Voldemort, acquiesça.
Notes:
- Perutilis: Très utile