Disclaimer : Il est probable que Diane se rende dans des lieux créés par J.K. Rowling et qu'elle croise des personnages tous droits réservés... Toute ressemblance n'est donc pas fortuite.

Dimanche 15 juillet

Je m'appelle Diane, j'ai 35 ans, et pour la première fois j'entame ce qu'on appelle un journal. Je n'ai pas d'autre solution, je ne peux pas me confier, expliquer ce qui m'arrive : on me prendrait pour une aliénée. Et je sais de quoi je parle. Je suis psychologue.

C'est à ce moment normalement qu'une tension s'installe entre mon interlocuteur et moi. Le meilleur moyen pour plomber l'ambiance d'une soirée. « Et toi qu'est-ce que tu fais ? _ Je suis psychologue ». Petit rire faux et regard fuyant de celui qui me fait face. Comme si je lisais dans les pensées, comme si je passais ma vie à décortiquer minutieusement les faits et gestes de ceux que je croise. C'est lassant et excitant à la fois. Quel pouvoir suis-je supposée détenir pour provoquer cette lueur d'inquiétude dans le regard de mes semblables ? Je sais, les anges finissent toujours par passer. De suspecte je deviens bizarre et originale. Faut bien dédramatiser. Alors je joue mon rôle à fond et je parle de ce qu'on veut entendre : les psys ne pensent qu'au sexe (surtout s'il s'agit de coucher avec ses parents, ou un autre membre de la famille mais là c'est moins drôle) et sont aussi fous, si ce n'est plus, que leurs patients. Alors je fais moins peur : vous êtes tous désespérément fades dans votre normalité sécurisante. Vous ne m'intéressez pas.

Je m'égare... Ça commence bien. Mais si on peut pas s'égarer dans son propre journal où pourrait-on se laisser aller ?

Tout ça pour dire que je suis psychologue et que je passe effectivement ma vie à écouter des choses abracadabrantesques. Je peux tout entendre, plus rien ne m'étonne. J'ai été le témoin des délires les plus ahurissants, les plus incohérents, irréalistes.

On m'a tout fait, tout dit. C'est ce que je pensais jusqu'à ce matin.

Une évidence. Ne pas croire que ce qu'on vous dit est vrai. C'est tout à fait réel pour celui qui l'énonce, ce n'est pas pour autant une vérité universelle. Si j'avais adhéré à tous les discours tenus dans mon cabinet, notre planète aurait déjà subi plusieurs vagues successives d'invasions martiennes et connu plusieurs apocalypses. Entre autres.

Je suis une cartésienne. J'entends la souffrance et la douleur de mes patients. Il n'y a qu'elles qui existent pour moi. Le reste n'est qu'un habillage délirant. Mais jusqu'à quel point ?

Il y a quelques mois, j'ai reçu un homme visiblement paranoïaque. Il se disait persécuté, lui et sa famille, par ses voisins. Des preuves ? Il en avait à foison : ses clés, qu'il rangeait toujours au même endroit, disparaissaient systématiquement quand il les cherchait et il finissait par les retrouver, à leur place, quand il abandonnait ses fouilles il avait vu plusieurs fois ses nains de jardin prendre vie à la nuit tombée, et rejoindre le bois voisin en chantant des airs grivois son reflet avait disparu des miroirs pendant un week-end après qu'il ait sermonné les gamins des voisins qui l'épiaient maladroitement de derrière la haie... etc, etc, les derniers mois de sa vie n'étaient qu'une succession d'événements loufoques. J'aurais souvent ri aux éclats de ses mésaventures plus drôles que dangereuses, s'il n'avait pas les entrailles vrillées par l'angoisse. Cet homme était littéralement terrorisé, persuadé qu'il était l'objet d'un complot aux origines surnaturelles ourdi par ses étranges voisins. Après quelques mois sans évolution notable (je peux même dire que son état empirait), je finis par me sentir impuissante.

Mais la dernière fois que je le reçus, il arborait un visage rayonnant et conquérant : « Je sais qui ils sont !», me lança-t-il en entrant. « Je sais qui sont ces monstres, ces erreurs de la nature ! Et ils ne pourront plus se cacher, je vais tout dévoiler ! Et dire que je me suis crus fou pendant des mois ! ». Et il partit d'un éclat de rire que je trouvais assez terrifiant... Je tentais de savoir ce qu'il avait découvert, espérant sans doute une réponse logique et réaliste expliquant ces longs mois d'errance et ce revirement de situation. Je ne fus pas déçue. « Ce sont des sorciers, des magiciens... Ils vivent parmi nous dans des univers parallèles et invisibles à nos yeux ! Mais ils sont là, avec leurs pouvoirs diaboliques, ils nous envahissent, veulent notre perte... Je ne suis pas fou ! Je ne suis pas fou ! ». Dubitative, je restai sans réaction, prise d'une grande lassitude, et il partit surexcité, prévenir la presse et les médias de sa fabuleuse trouvaille. Je n'eus plus aucune nouvelle, ni de mon patient, ni des envahisseurs, et je tâchai d'oublier ce cuisant échec. J'y parvins jusqu'à ce que je rencontre mon patient par hasard, il y a quelques jours.

J'ai besoin d'une pause café, je reviens...