Rien à moi, tout à Rowling (comme si on ne le savait pas...)
Une année particulière
Prologue : Reflets et réflexions
Le jeune homme, silencieux, s'observait d'un œil critique.
Il était laid et l'avait toujours été. Son long nez proéminent et crochu, son teint olivâtre, ses cheveux gras, ses dents jaunies et mal rangées, rien de tout cela ne permettait de prétendre qu'il fût un spectacle plaisant. Il n'avait d'ailleurs jamais cherché à être, ni même à paraître plaisant.
Longtemps, il avait simplement voulu passer inaperçu. Puis, il avait désiré inspirer le respect et, n'ayant pas pu l'obtenir, la crainte. Oderint dum metuant, « qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent ! », telle était sa devise. Il avait cru atteindre son objectif en rejoignant Celui qui distillait la terreur dans tous les cœurs.
Il s'était fourvoyé. Quelle importance que des inconnus tremblent devant vous, si vous-même êtes asservi par la peur tout à fait justifiée que vous éprouvez devant votre Maître ? Aurait-il dû chercher à devenir lui-même le maître ? Une expression de dégoût mêlé de mépris profond se fixa sur son visage. Le Maître aussi avait peur, il était même terrifié, et désormais complètement paranoïaque. Trucider des nouveaux-nés parce que l'un d'eux, peut-être, un jour, pourrait représenter un quelconque danger… Et c'était ça qu'on appelait le « Seigneur des Ténèbres » !
Le jeune homme soupira. Il fallait éliminer ce genre d'idées de son esprit. Ce soir, certainement, son Maître voudrait le voir et sonder ses pensées : il était impératif de ne rien laisser paraître s'il voulait voir l'aube du jour suivant.
Il n'avait pas peur de la mort, non. Il l'attendait avec une certaine impatience, même, maintenant que sa vie, de toute façon, était définitivement maudite. Mais, pour des raisons obscures qui lui échappaient, il avait toujours été un homme de devoir, il n'avait qu'une seule parole. Trahi par un Maître fourbe qui l'avait trompé depuis le premier jour, il s'était tourné vers celui qui luttait énergiquement contre ce vil personnage et il avait trouvé non pas un nouveau maître, mais un mentor, un protecteur, qui l'avait accueilli avec confiance. Un fou plutôt, qui refusait de le voir tel qu'il était ! Non ! Un sage, qui le connaissait mieux que lui-même ! Il ne savait pas quelle était l'opinion la plus vraie, et il ne voulait pas le savoir : la vérité, oui, cela lui faisait peur.
Mais grâce à ce fou, seul sage dans un monde englouti dans un tourbillon de délire, il avait pu distinguer enfin ce qui était son devoir : il avait servi les Ténèbres, il se devait de servir la Lumière. Un ricanement sardonique lui échappa. Lui, être un combattant de la Lumière ! Quelle idée saugrenue ! Heureusement le rôle qu'on lui avait trouvé lui convenait mieux : il serait l'espion, l'être sournois, déloyal, faux, perfide, celui à qui personne ne fait confiance, celui qui refuse de choisir, un pied dans les Ténèbres, un autre dans la Lumière. Son Maître était le Mage Noir, son Mentor, le Mage Blanc. Il était lui l'homme gris, fils de la pénombre et du crépuscule.
Il secoua doucement la tête. Même cette image était fausse. S'il était gris et pas tout à fait noir, c'était pourtant un gris bien sombre. Il n'avait aucun courage, aucun noble motif. Il méprisait son Maître depuis longtemps, mais il n'aurait jamais pu se décider à changer de camp pour cette seule raison. Son orgueil le retenait d'avouer les fautes impardonnables qu'un engagement dû à sa stupidité lui avait fait commettre : s'il se dépréciait lui-même profondément, il n'était pas prêt à accepter que d'autres partageassent ce sentiment. Sa lâcheté l'empêchait de trahir ouvertement pour mourir héroïquement comme l'avait fait un de ses anciens camarades. Son instinct de conservation qui le maintenait en vie depuis sa plus tendre enfance malgré tout ce qu'il avait subi lui avait toujours fait rejeter l'idée du suicide.
C'était une autre faiblesse qui l'avait obligé à prendre une décision radicale. Il n'en tirait aucune gloire, bien au contraire, mais il se connaissait suffisamment pour savoir qu'il n'aurait jamais rien entrepris contre son Maître si ce n'avait été pour la sauver, Elle. Cela le rendait malade. Sans Elle, il serait resté dans les Ténèbres et y aurait tout perdu, mais il lui était insupportable que des émotions aussi risibles fussent la cause de ses actions. Il n'avait jamais réussi à devenir l'homme qu'il voulait être, à se détacher de toute affection, de toute sentimentalité. Son Mentor prétendait que c'était la voie de son salut. Mais il ne cherchait pas à être sauvé — il ne le méritait pas — et ne voyait là qu'une coupable déficience.
Ce n'était pourtant pas le moment de revenir sur le sens de son existence, songea-t-il. D'ici dix minutes, il faudrait qu'il ait rejoint la Grande Salle, ses estimés collègues (enfin, les collègues qu'il lui fallait prétendre estimer) et ses futurs étudiants. L'angoisse l'étreignit.
Il méprisait ces imbéciles soupçonneux, mais il ne pouvait oublier combien sa jeunesse le rendait vulnérable. Il était le plus jeune professeur depuis un temps immémorial. Il savait que les élèves les plus âgés avaient été autrefois ses jeunes condisciples, même s'il avait l'impression que ses études remontaient à une époque lointaine, complètement différente. Il ne pensait pas pouvoir être reconnu et il espérait désespérément qu'il ne le serait pas. Trois ans à peine avaient passé depuis son départ de l'école, mais il les avait vécus comme autant de siècles.
Le maigre diplômé pâle et chétif, aux épaules voûtées, à l'air perpétuellement inquiet, à l'agressivité quasi maladive, avait laissé place à un homme sans âge, froid, hautain, méprisant, sarcastique. Ses vêtements usés, négligés, miteux avaient été remplacés par des robes noires, sobres, élégantes, pour tout dire, très chic (du moins, c'était son opinion) qui lui donnaient un air quasi ecclésiastique un peu étrange : une sorte de prêtre en soutane vêtu avec l'austérité d'un pasteur presbytérien, arborant l'expression glacée d'un inquisiteur. Il y avait bien peu de rapport entre l'étudiant qu'il avait été et le professeur qu'il s'apprêtait à être. Il craignait pourtant que l'on fît le lien : les septième année avaient été ses camarades pendant trois ans, certains avaient pu assister à le terrible scène survenue à la fin de sa cinquième année… Il ne fallait pas penser à cela maintenant !
Il prit une profonde inspiration et jeta un dernier coup d'œil sur son reflet. Un mauvais sourire apparut sur son visage ingrat. Il fut satisfait de la méchanceté évidente qui émanait de lui, presque surpris de son aspect respectable, et enchanté de se trouver plus impressionnant que tout autre enseignant.
Il était bien incapable de remarquer les quelques avantages que la nature, plus marâtre que mère à son égard, lui avait laissés : ses fines mains blanches aux longs doigts élégants, sa haute taille bien droite qui lui conférait une stature assez remarquable, ses yeux si particuliers à la noirceur fascinante et surtout sa voix douce et soyeuse qui pouvait se révéler plus froide et plus tranchante que le fer.
Le personnage que lui montrait le miroir lui convenait cependant parfaitement : austère, digne, sévère voire cruel, sans rien de sympathique ni d'agréable. Certes, il n'avait rien d'un jeune homme de vingt-et-un ans qu'il était pourtant ! Ce soir-là, pour la première fois, il avait revêtu le costume qui serait le sien pour seize ans : celui du Professeur Rogue, Maître des Potions et Directeur de la maison Serpentard à Poudlard, Collège de Magie et de Sorcellerie.