Les chaussettes de Dumbledore
Prologue
Dans un petit village paisible à la limite de l'Écosse et de l'Angleterre, qui répondait au doux nom de Snape, vivait autrefois un petit garçon bien étrange. Il habitait avec son frère et sa grand'mère une petite maison biscornue dans le parc d'un somptueux manoir. Tout le monde dans les environs le connaissait et l'aimait beaucoup, même s'il était parfois vraiment étrange.
La grand'mère, Maggie, s'était mariée très jeune avec le beau John, le fils du savetier de Snape. Pendant longtemps, ils n'avaient pas réussi à avoir d'enfants. Et puis, alors qu'ils avaient perdu tout espoir après plus de quinze ans de mariage, leur était né un magnifique petit garçon nommé Brian. Malheureusement, John était mort quand son fils n'avait que sept ans.
Alors, Maggie était entrée au service de la famille Rogue, pour s'occuper du linge. Les Rogue occupaient une gentilhommière un peu à l'écart du village. Ils étaient arrogants et désagréables, mais la jeune femme savait qu'ils lui offraient l'emploi qui lui convenait le mieux, puisque Brian pouvait rester avec elle, tant qu'il ne faisait pas de dégâts. Elle s'était installée avec le petit garçon dans une maisonnette curieuse construite par un propriétaire excentrique au siècle précédent dans le parc.
Maggie et Brian travaillaient dur à longueur de journée, mais soudés par leur amour et leur confiance en la vie, ils n'étaient pas malheureux. À vrai dire, en voyant les cœurs secs et tristes des divers membres de la famille Rogue, ils se sentaient même privilégiés.
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Brian grandit et devint un homme. Sa mère l'adorait et espérait voir bientôt de nombreux petits-enfants courir dans sa maison.
Un beau jour, au début de l'été, Brian, qui servait désormais de cocher aux Rogue et faisait de nombreuses courses pour eux, rentra avec dans les bras, une jeune fille fort mal en point. Elle avait apparemment passé plusieurs nuits dans la forêt où elle avait pris froid et n'avait pas mangé suffisamment.
Maggie, bonne âme comme elle l'était, soigna la malheureuse avec un grand dévouement. Quand elle eut repris conscience, celle-ci déclara s'appeler Gwendolyn Bérénice Fausta Tallulah Weasley, ce qui laissa pantois la brave lingère et son fils. Ils n'avaient pas imaginé qu'une seule personne pût avoir autant de noms ! La jeune fille éclata de rire à les voir si surpris, et leur demanda de l'appeler simplement Gwen.
Gwen était ravissante. Sa longue chevelure rousse, ses grands yeux noisette, son allure qui avait quelque chose de noble et de mystérieux, tout cela ne tarda pas à tourner la tête à plusieurs garçons du village. C'était une jeune fille à l'intelligence vive et à l'esprit prompt. Elle avait un tempérament bien à elle, une personnalité très affirmée. Elle tenait tête aux hommes avec une rare audace pour une jeune fille de dix-huit ans. Elle prétendait en public avoir tout oublié de son passé.
Par jalousie, on fit bientôt circuler des rumeurs sur son compte : on disait que c'était une sorcière, un démon envoyé par le diable pour perdre les hommes de Snape. Brian la défendait avec fougue, et Gwen admirait le feu qui brûlait alors dans ses yeux bleus, habituellement habités par une lueur de malice.
Elle avait raconté la triste histoire de sa vie aux seules personnes à qui elle faisait pleine confiance, Maggie et Brian. Elle ne leur avait pas caché qu'elle était en fuite et qu'on voulait sa mort. Ses deux hôtes, loin de vouloir la chasser, n'en étaient que plus résolus à la protéger.
Maggie avait été un peu réticente dans les premiers temps. Mais elle s'était vite rendue compte que Gwen n'avait rien d'une créature diabolique. La brave femme se fiait à son instinct et à son bon sens : la jeune fille qu'elle avait soignée et accueillie était vraiment quelqu'un de bien dans son opinion, et sa condition particulière n'avait rien à voir là-dedans.
Gwen, quant à elle, avait pleinement conscience de la chance qu'elle avait eue d'atterrir chez des gens si charmants et si accueillants. En d'autres circonstances, qui savait ce qui aurait pu lui arriver ?
L'été suivant, Brian et Gwen se marièrent dans la petite église de Snape.
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Une autre année pleine d'un bonheur tranquille passa. Pour la plus grande joie de tout le monde, la famille s'agrandit avec la naissance de jumeaux. Gwen insista pour choisir les noms qu'elle voulait leur donner : Albus Percival Wulfric Brian et Abelforth Candidus Gawain John furent donc inscrits sur les registres de la paroisse. Nés un peu d'avance, les deux petits garçons demandaient beaucoup d'attention. Maggie et Gwen étaient ravies d'avoir une excuse pour ne jamais les quitter. Et Brian se réjouissait qu'il y eût deux enfants, car ainsi, ni sa mère ni sa femme n'était jamais exclue des soins à leur porter.
Gwen s'absentait parfois quelques heures durant. Elle ramenait alors des livres que ni Brian ni Maggie ne pouvaient identifier. Il faut dire qu'ils ne savaient lire ni l'un ni l'autre. Il lui arrivait aussi de préparer d'étranges décoctions dans des marmites spéciales. Son mari et sa belle-mère lui faisaient entièrement confiance et acceptaient tout ce qu'elle leur préparait. La jeune femme leur en était infiniment reconaissante. Toutes les possessions de Gwen étaient dissimulées soigneusement dans la huche à pain de leur petite maison, car aucun d'eux ne pensait que les autres seraient aussi ouverts que Jonh et Maggie.
Ils étaient heureux et ne demandaient qu'à continuer de l'être.
Mais un beau matin, trois ans après l'arrivée de Gwen, alors que les jumeaux n'avaient qu'un an, le malheur les avait rattrapés.
Gwen avait brutalement surgi dans la cuisine, l'air absolument terrorisé et déterminé à la fois, tenant une fine baguette à la main. Elle avait ordonné à sa belle-mère d'emmener les enfants au plus vite et elle avait fait disparaître tout ce qui prouvait leur existence. Maggie n'avait pas discuté, elle avait emporté les petits au manoir en sortant par la porte de derrière.
Brian n'avait pas voulu abandonner sa femme.
Depuis ce triste jour, Maggie élevait seule Albus et Abelforth.
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Les deux enfants partageaient une ressemblance physique extraordinaire, mais leurs caractères étaient on ne pouvait plus différents. Ils avaient tous les deux la belle chevelure de leur mère, avec une nuance un peu plus sombre cependant. Et Maggie avait un pincement au cœur quand elle plongeait son regard dans leurs magnifiques yeux bleus, si semblables à ceux de leur père. Cependant, la lueur de malice qui caractérisait Brian ne se retrouvait que chez Albus.
Albus était toujours prêt à rire, et à se moquer gentiment. Plein de vie, il était très difficile à surveiller, et il épuisait sa pauvre « Granny ». Maggie avait trouvé la solution quand il avait eu quatre ans : le bon pasteur du village, qui avait marié Brian et Gwen et baptisé les enfants, apprit à lire aux deux petits garçons qu'il aimait beaucoup, comme tout le monde. De ce jour, il devint presque impossible d'arracher Albus aux livres de sa mère — les seuls disponibles à la maison. Pour mener le bambin à sa guise, la grand'mère avait fini par découvrir l'autre solution miracle : Albus adorait les caramels que confectionnait la vieille dame, et il se tenait à carreau dès que l'on menaçait de l'en priver.
Abelforth lui semblait toujours plongé dans un rêve merveilleux ou une contemplation profonde. La plupart du temps, on avait l'impression qu'il ne savait ni le lieu ni le moment où il se trouvait. Quand il daignait porter attention au monde qui l'entourait, il posait sur tout un regard étonné et lointain. Il épuisait donc lui aussi sa grand'mère, qui essayait vainement de l'intéresser à une activité quelconque. Même la lecture le laissait parfaitement indifférent et plus d'une fois, Maggie le surprit en train de fixer le vide, un livre ouvert à l'envers sur les genoux. Pourtant, il était loin d'être stupide et quand il prenait la parole, on était toujours surpris par l'acuité de ses remarques.
Au village, on aimait bien les jumeaux. Maggie s'était d'ailleurs rendue compte qu'Albus en profitait pour se faire offrir des confiseries par la vieille Mme Evans, l'épicière au cœur un peu trop tendre. Il faut dire qu'Albus savait si bien jouer de son charme ! Quand il vous regardait, la tête légèrement de côté, le regard implorant, avec une petite moue adorable, on aurait voulu pouvoir lui offrir la plus grande usine de bonbons d'Angleterre.
Quand il avait eu six ans, Albus avait connu un des plus grands drames de sa vie : furieuse de passer des soirées entières à repriser ses chaussettes, Maggie avait décrété que le garnement se contenterait désormais de sabots, comme tout le monde. Pieds nus dans lesdits sabots, Albus se sentait horriblement malheureux, mais rien n'y avait fait, il n'avait jamais pu obtenir le droit de porter à nouveau souliers et chaussettes, comme son frère. Il était fort mécontent de se voir ainsi défavorisé, alors que le seul mérite d'Abelforth dans cette histoire était de bayer aux corneilles à longueur de temps, ce qui évidemment, n'usait guère ses chaussettes...
Les deux garçons avaient pour compagnon de jeux Jeremiah Rogue, le jeune fils de la maison qui avait un an de plus qu'eux. Il se moquait copieusement de la tenue « paysanne » d'Albus. Abelforth, lui, comme d'habitude, s'en fichait complètement. Ces trois-là, c'était quelque chose ! Jeremiah commandait, avec une arrogance à peine supportable. Albus le regardait avec agacement, mais finissait par suivre, pour ne pas avoir à rester seul. Quant à Abelforth, la moitié du temps, il ne semblait pas comprendre du tout de quoi il était question. Cependant, comme ils étaient les seuls enfants habitant le manoir Rogue, ils se sentaient en quelque sorte obligés de s'entendre un minimum.
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Plusieurs incidents curieux émaillèrent la petite enfance des deux frères. Un jour, alors que les jumeaux avaient trois ans, Jeremiah se retrouva sur le toit de la petite maison de Maggie, et personne ne comprit comment il avait réussi un tel exploit. La vieille dame avait cependant beaucoup grondé Albus, et celui-ci n'avait pas protesté.
Une autre fois, le facteur s'étala dans une large flaque de boue, alors qu'il venait de faire une remarque fort déplaisante à Abelforth sur sa soi-disant étrangeté qu'il devait tenir de sa mère. De nouveau, Maggie réprimanda vertement son petit-fils.
Quand ils surent lire, ils comprirent mieux comment il était possible qu'ils fussent responsables de tels événements, grâce aux livres de leur mère. Maggie leur expliqua alors qu'ils ne devaient surtout en parler à personne et que s'ils se servaient de leurs capacités pour faire du mal à quiconque, elle leur ferait regretter d'être venus au monde.
Albus voulait contrôler les pouvoirs extraordinaires qu'il tenait de sa chère maman. Lisant et relisant les livres, se concentrant de toutes ses forces, il parvint plus d'une fois à produire des sortilèges simples mais parfaitement maîtrisés. Il regrettait de ne pas avoir de baguette pour pouvoir obtenir des résultats encore meilleurs. Sa Granny était fière de lui, mais elle exigeait la plus grande prudence. Il ne s'entraînait que lorsque Jeremiah était en cours avec ses précepteurs.
À l'âge de huit ans, Albus demanda l'autorisation de sa servir du chaudron de Gwen. Il ne pouvait pas en faire grand'chose d'ailleurs, puisqu'il n'avait pour ainsi dire rien à mettre dedans, mais il fut enchanté de ce qu'il obtint.
Abelforth observait son frère avec désintérêt (comment était-ce possible ? Nul ne le sait, mais pourtant, c'était exactement cela : Abelforth observait tout avec désintérêt). Cependant il le seconda dans la plupart de ces expériences. En effet, il avait une grande affection pour Albus, et il était prêt à céder à tous les caprices de son frère, comme tout le monde.
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Le moment qu'Albus et Abelforth préféraient, c'était le soir, lorsque, au moment de les coucher, leur Granny les prenaient sur ses genoux, puis, quand ils eurent grandi, à ses pieds, pour écouter quelque histoire fantastique. Elle connaissait tous les contes et légendes d'Écosse et d'Angleterre, sans compter la plupart des mythes que l'on racontait en Irlande et au pays de Galles. Elle savait aussi bien des choses tout à fait authentiques que Gwen lui avait autrefois apprises.
Mais l'histoire préférée des deux petits garçons était celle de leurs parents. Leur imagination débordante n'avaient d'égale que celle de leur grand'mère et le récit était vite devenu tout à fait épique. Leur mère leur semblait avoir été une de ces fées légendaires dont les vieilles ballades regorgeaient. Elle vivait dans un magnifique château du nom de Poudlard. Elle en était la princesse (évidemment), mais une profonde tristesse accablait son cœur. Un jour, quelque méchante reine avait essayé de la perdre dans la forêt, mais Papa était venu la sauver juste à temps. Leur père était un preux chevalier prêt à tout pour défendre sa dame.
Hélas, la méchante reine avait réussi à les retrouver, mais ce n'était pas si grave. Leur amour, plus fort que la mort, continuait certainement à fleurir quelque part, au Paradis chez le Bon Dieu ou sur l'île d'Avalon, c'était bien là la seule question.
C'était aussi le moment où ils avaient le droit de suçoter tranquillement un caramel. Albus avait donc deux excellentes raisons d'aimer particulièrement ces instants privilégiés passés auprès de la cheminée...
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Cette vie heureuse et sans histoire dura dix ans. Maggie savait que ses chers petits-fils allaient lui être enlevés quand ils auraient onze ans. Elle savait que c'était pour leur bien, qu'il était nécessaire qu'ils reçoivent une bonne éducation, comme leur mère, mais cela lui brisait le cœur. Alors, elle avait préféré ne rien leur dire, pour ne pas avoir à lire dans leurs yeux (du moins dans ceux d'Albus), l'impatience bien légitime qu'ils éprouveraient à l'idée de découvrir le monde dont venait Gwen.
Ce que Maggie ignorait, c'était qu'Albus était exceptionnellement doué pour son âge, qu'il en savait bien plus que tous ses futurs camarades. À vrai dire, même si elle s'en était rendue compte, elle n'y aurait guère accordé d'intérêt. Toute la science, tout le pouvoir, toute la richesse de la terre ne valaient pas grand'chose à ses yeux. Elle avait appris aux deux petits garçons ce qui était vraiment essentiel à son humble avis : la force que l'amour de vos proches vous donne en toutes circonstances, même au-delà de la mort.
Ainsi, en toute innocence, Maggie, vieille moldue analphabète, domestique de son état, avait doté le plus grand sorcier de l'époque contemporaine du plus grand pouvoir magique existant, lui offrant les clefs d'une victoire à venir bien longtemps après sa mort.
Mais pour le moment, Albus Dumbledore n'était qu'un petit garçon de onze ans, très intrigué par l'étrange spectacle qu'il avait sous les yeux : un hibou volait droit en direction de leur maison, et à le voir, on aurait pu croire qu'il portait quelque chose sur la patte.