Vingt-cinq jours d'humanité
Evidemment,
tout ça n'existerait pas sans l'oeuvre de Mme Rowlings
Mais
ça n'existerait pas sans doute non plus sans la lecture d'un
certain nombre de fanfictions...
Alors je tire mon chapeau ici
tout spécialement à l'oeuvre de Mme Guézanne et
à celle de Mme Alphie,
toutes deux bien connues de
RemusLupinophiles...
Les mêmes questions, d'autres réponses.
Je veux aussi saluer la Dora, de Remus
et Dora par La Paumée...
parce qu'elle sait ce
qu'elle veut et qu'elle m'inspire beaucoup...
Enfin,
il y avait pas mal de monde pour me tenir la main pendant que
j'écrivais cette fic.
Spéciale dédicace à
M. Fénice, Fénicino et Fénicina
pour leur
patience quand je passe la soirée sur l'ordi.
Merci
à Alixe qui supporte mes idées sombres et
tordues,
Merci à Fée Fléau et Vert qui
réclament de les lire,
Merci à La Paumée qui
semble y croire...
000
« Au
commencement était la fin »
Cages, David
McKean
1. La question
Ne
vous y trompez pas, je connais la question.
Oui, je connais la
question que vous vous retenez de poser - ou celle que, dans le pire
des cas, vous ne pensez même pas à poser.
Parfois, elle me fait de la peine : comme si les circonstances changeaient quoi que ce soit de fondamental à ma condition, comme si vous ne pouviez pas, simplement, me prendre comme je suis.
Parfois, j'arrive à me convaincre qu'en la posant, vous essayez vainement de limiter l'horreur que vous ressentez. En singularisant ma situation, vous voulez sans doute me différencier et me racheter. A moins, et c'est alors indubitablement plus triste, que vous tentiez ainsi de vous racheter à vos propres yeux – de justifier par des circonstances exceptionnelles votre amitié pour un monstre tel que moi.
Je ne sais pas laquelle de ces versions, je préfère – toutes vous donnent tellement de pouvoir sur moi, sur ce que je suis, sur ce que je peux faire…
De toutes les façons, vous osez rarement poser la question. La plupart d'entre vous ont fui – sachez-le !- en découvrant ce que j'étais. Et les autres sont généralement trop inquiets d'apprendre qu'une telle catastrophe puisse arriver si près d'eux pour désirer en connaître les détails.
Quand
j'y pense – et j'y pense moins que vous ne le pensez, je dois
reconnaître que seuls mes amis ont posé la question - à
une ou deux exceptions près, peut-être. Car, aussi
étonnant que ça puisse paraître, aussi profond
soit votre mépris, aussi violente soit votre peur, j'ai eu
des amis.
J'en ai même encore.
Eux ont posé la question – violemment parfois, timidement d'autres, selon les époques et les personnes. Mais tous l'ont posée un jour ou l'autre, et sans détour.
James et Sirius m'avaient coincé le lendemain d'une de mes transformations, alors que Peter était sous la douche, et que je finissais de m'habiller.
« Ça t'est arrivé comment ? » avait demandé le premier.
Comme
j'avais joué les abrutis, Sirius avait tout aussi
directement levé tous les doutes :
« Tu
t'es fait mordre comment ? Y'a longtemps ? »
Quel meilleur moyen de me faire savoir qu'ils avaient découverts que j'étais un lycanthrope ?
Rétrospectivement, je trouve révélateur que Peter n'ait pas eu à demander, qu'il n'ait pas eu à s'engager sans fard dans ce terrain de vérité. Mais nous avons tous beaucoup trop protégé Peter, sans doute.
Plus j'ai grandi, et plus les gens qui se sont inquiétés des raisons de mon état se sont faits rares, autant le dire. Non, les employeurs qui me refusaient ou me renvoyaient ne voulaient pas savoir que je n'avais pas choisi ma condition, qu'elle aurait très bien pu s'abattre telle une mauvaise grippe sur leurs fils adorés. Non, eux préféraient voir l'animal dangereux tapi au fond de moi et oublier l'humain si semblable à eux.
Les rares qui s'en sont encore enquis étaient plus discrets que mes vieux potes de collège. Arthur Weasley, par exemple, a attendu des années – même si, bien des fois auparavant, je l'ai senti sur le point de le faire.
Il a fallu cette occasion, ce malheureux séjour à Sainte-Mangouste, et sa rencontre avec cet homme qui venait d'être mordu par un des fanatiques de Greyback – ou peut-être pas Greyback lui-même, qui sait ! J'y ai pensé plus tard; sur le moment l'implication d'Harry dans cette histoire me paraissait bien plus importante : cet homme désespéré et moi, nous étions peut-être plus que frères en lycanthropie. L'idée, comme toutes les idées douloureuses, m'a amusé un temps, puis je m'en suis désintéressée. Eh alors ? Ça faisait bien longtemps que j'avais arrêté d'attendre trop de toute fraternité !
Tonks aussi a voulu savoir – assez tôt en fait. Et comme elle n'est pas aussi idiote qu'elle s'applique à en avoir l'air, elle a noté mon agacement à chaque fois que Greyback apparaissait dans les conversations de l'Ordre – les conversations de couloir, parce qu'en réunion plénière, je crois avoir toujours su me tenir.
Elle me l'a demandé la veille du jour où nous sommes allés chercher Harry. Cette vieille ordure de Fletcher avait une fois de plus, Dumbledore étant parti, questionné ma loyauté à l'Ordre, vu la nature de mon père en lycanthropie – il a dit « ton papa loup » mais c'était l'idée. Je ne sais pas comment lui savait – mais nous sous-estimons beaucoup trop Fletcher, j'en suis persuadé. Bref, je l'ai prié de se mêler de ses propres affaires. Sirius a failli l'assommer. Tonks a compris.
« Vraiment Lupin, c'est Greyback lui-même qui t'as mordu ? Mais tu es un loup-garou de haute lignée ! »
Je pense que personne d'autres n'aurait pu me dire ça et me faire rire. Mais là, dans le salon de musique suranné et pompeux des Black, entourés des deux descendants qui les détestaient le plus, j'ai ri.
Evidemment, tout le monde connaît Greyback aujourd'hui – ce n'était pas le cas quand il m'a mordu. Mes parents auraient sans doute été moins enclins à minorer ses menaces. Encore que, je ne suis pas sûr que nous aurions réussi à lui échapper très longtemps. Ni mon père, ni ma mère n'étaient des gens capables de se battre – sans doute est-ce une des raisons qui m'a poussé à étudier les arts de défense magique. Mais à quoi bon toujours chercher des raisons à notre vie. N'est-ce pas assez de la vivre ?
Tout le monde pense généralement que je déteste Greyback, et je les laisse le croire parce que j'ai l'impression que le contraire serait trop compliqué à expliquer.
Mais que doit-on haïr, le criminel ou le crime ?
Est-ce que la haine effacerait le préjudice ?
Est-ce que le haïr me permettrait de reprendre le moindre contrôle sur le regard des autres ?
A toutes ces questions, j'ai déjà, et sans aucune hésitation, répondu non.
Ne vous méprenez pas, je ne lui ai pas pardonné. Mais le haïr me prendrait trop du peu d'énergie qu'il me reste. Ne vais-je pas en dépenser assez à essayer de le retrouver ?
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Quand Albus m'a posé la question, je n'ai rien répondu. Pourtant, il a continué, comme si de rien n'était, comme s'il ne savait pas ce que signifiait mon silence. Albus est comme cela, je ne sais même pas pourquoi j'ai essayé de lui résister, comme un gamin qui croit encore que les humains sont réformables sans doute.
« Il s'agit d'une mission que vous seul pouvez remplir », a-t-il donc inutilement ajouté pour ne pas laisser mon silence mettre un terme à la conversation.
C'était de la basse flatterie – ce n'est pas parce que c'est vrai que ce n'est pas de la basse flatterie. Mais, comme il l'espérait sans doute, le bon élève en moi n'a pas voulu faire attendre son professeur :
« Vous voulez en savoir plus sur les projets de Greyback », ai-je donc affirmé.
Etonnamment, il m'a semblé que le nom le gênait. C'est comme ça avec les loups-garous, ils gênent quand on les voit, ai-je failli commenter. Je sais qu'il n'était pas en position de mal prendre ma mauvaise humeur, mais pourtant j'ai gardé cette remarque amère pour moi. Ce n'est pas lui que j'ai voulu protéger, mais moi. Je n'ai pas besoin d'amertume supplémentaire.
« J'ai bien peur que nous ne puissions plus l'ignorer », a finalement acquiescé Dumbledore en ayant l'air, pour une fois, d'avoir son âge. « Ce n'est plus le paria désespéré que vous avez rencontré enfant, Remus, c'est le chef d'une véritable organisation… »
« C'est ce qu'il prétend !»
« C'est ce que je veux savoir »
Dans un bref éclair, j'ai imaginé une meute de loups-garous, insultes à la nature humaine comme à la nature animale, déferlant sur l'Angleterre. Dans ma vision, ils avaient tous le visage de Greyback, et j'avais de nouveau cinq ans.
« Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir », ai-je alors avancé, ma voix soudain bien plus provocante. Albus m'a examiné longtemps derrière ses légendaires petites lunettes avant de répondre :
« Il y a plusieurs moyens, Remus, mais il y en a un qui est indubitablement plus… efficace. »
J'ai hoché la tête, fier à mon insu de ma singularité.
« C'est aussi le plus dangereux », a-t-il finalement conclu.
Dois-je avouer que j'ai été surpris ?
« Je suis déjà un loup-garou !»
Le regard d'Albus m'a semblé encore plus inquisiteur, et j'ai senti ma morgue mollir sous ce glaive bleu.
« Peut-être allez-vous rencontrer, Remus, de nouvelles définitions de la lycanthropie et elles pourraient vous… troubler. »
« Vous croyez que je vais rejoindre Greyback ? »
Je ne sais pas si j'avais déjà osé autant élever la voix contre lui.
« Si je croyais cela possible, je ne vous demanderais jamais d'aller l'espionner », m'a-t-il calmement objecté et, évidemment, je me suis senti aussi pisseux que la dernière fois qu'il avait pris la peine de nous passer un savon en sixième année. « Mais je crois mesurer ce que cette infiltration aura de difficile moralement pour vous… Il n'est jamais simple de jouer les agents doubles. »
Il faisait référence à Severus ; il n'était nul besoin de poser la question. Ça a fini de me doucher. J'ai ravalé mon orgueil bafoué et ma mauvaise humeur pour constater, chirurgical :
« Il me faudra du temps. »
Son regard était plus doux quand il a acquiescé :
« Je sais, Remus. »
Nous n'avions plus rien à nous dire. Je suis sorti sans bruit de la cuisine du 12, Place Grimmault. Ma mission commençait.
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« Tu crois, Tonks, qu'il suffit de poser la question ? »
« Je te demande si tu sais comment tu vas t'y prendre… Comme tu me réponds : ' je sais pas', je… »
Embarrassée, elle avait l'air encore plus jeune. Je me suis fait l'effet d'un vieux croque-mitaine. J'ai levé la main pour l'interrompre.
« Je compte aller traîner dans certains lieux… et voir ce qui se passe», ai-je brièvement explicité. En fait, je n'avais aucune envie de parler de ça. Mais l'ennuyeux avec la jeunesse, c'est que ça veut apprendre !
« Tu veux dire… à la pleine lune ? »
Elle avait murmuré les derniers mots. Pourtant dans ce pub moldu, à deux pas du 12, place Grimmault, la musique était bien trop forte pour que quiconque nous entende. Encore aurait-il fallu qu'il s'intéresse à la conversation d'un vieil homme mal habillé et d'une jeune femme en mini-jupe rose !
J'avais l'intime conviction qu'aucun consommateur égaré à cette heure tardive n'avait la moindre illusion sur la teneur de notre relation – tout au pire, devait-il s'interroger sur les raisons qui nous faisaient demeurer si longtemps dans un lieu aussi public. Encore une fois, il pouvait postuler sur ma déficience monétaire et spéculer du manque de professionnalisme de ma jeune compagne.
« Non », ai-je répondu, volontairement désagréable, car je ne chéris pas l'idée de passer pour un satyre.
Tonks s'est mordue les lèvres de dépit, comme une bonne élève qui se trompe, et celles-ci m'ont paru encore plus rouges et brillantes qu'auparavant. Une partie de moi, plus vieille que le monde lui-même, a observé avec intérêt l'effet de cette couleur vive sur mon corps. Heureusement pour nous tous, Tonks a poursuivi son interrogatoire comme une jeune Auror méritante :
« Pourquoi ? »
« Je ne pensais pas que tu avais oublié tes cours de troisième année »
Elle a levé les yeux au ciel et asséné :
« T'es affreusement chiant, Lupin, quand tu fais ça ! »
« Quoi donc ? »
« Quand tu fais ton vieux prof ! »
Il faut dire que je ne l'ai pas été autant que je l'aurais voulu, ai-je pensé – heureux de retrouver des terrains de réflexion moins mouvants que la couleur des lèvres d'une trop jeune femme.
On s'est occupé de nos bières pendant quelques secondes. Elle en a commandé d'autres et, moi, je me suis stupidement senti coupable – triplement coupable même.
Coupable d'être là à boire des bières moldues avec la cousine de Sirius alors que ce dernier ce morfondait à quelques dizaines de mètres de là – et je savais bien que c'était l'atmosphère irrespirable de Place Grimmault depuis que les gamins étaient retournés à Poudlard qui m'avait fait accepté l'invitation de Tonks !
Coupable aussi de me faire inviter, puisque je n'avais pas assez d'argent pour le faire.
Et puis coupable d'être chiant...
Tonks m'a regardé d'un air critique et m'a relancé :
« OK, prof, pourquoi c'est pas une bonne période ? »
Pourquoi, la reine des questions…. J'ai abdiqué et commencé à expliquer :
« A la lune montante… »
« …il faut planter ses salades », est intervenu le barman qui apportait les pressions. Il ajouta un clin d'œil pour Tonks qui parut étonnamment scandalisée – on en entend de pires dans la salle de garde des Aurors, non ?
« A propos de légumes, occupez-vous donc de vos oignons ! » - a-t-elle vivement rétorqué en lui tendant un billet de cinq livres pour payer nos consommations.
« Je remarque d'ailleurs que c'est vous qu'avez l'oseille ! » a-t-il répondu du tac au tac.
Tonks s'est empourprée en comprenant l'allusion – et j'ai craint que, comme souvent sous le coup d'une émotion violente, elle ne change de couleur de cheveux. Heureusement, le barman était déjà reparti chercher la monnaie.
« Tu… tu l'as entendu ?»
« Oui, il semble exclure la possibilité que nous soyons ici pour une discussion scientifique », ai-je constaté avec une pointe de sarcasme. Je ne sais pas où elle espérait que nous mène une telle conversation !
« Mais… il croit que je suis une pute ! »
« Ou une gérontophile », ai-je complété.
Elle s'est retournée vers moi et m'a regardé longuement et durement.
« Et toi, tu crois quoi ? »
« Qu'on ferait mieux de continuer cette conversation ailleurs », ai-je répondu comme si de rien n'était. En fait, seul, je serais déjà sorti ! Elle a continué de sonder mon regard d'un air sceptique et puis elle a haussé les épaules.
« Ouais, laissons donc sa monnaie à ce connard ! » a-t-elle finalement décidé.
Elle s'est levée brusquement en enfilant un court blouson de cuir vert pomme, et j'ai suivi le mouvement dans mes vieux vêtements incolores et informes. Elle débordait incroyablement de vie, et je me suis senti vieux et impuissant. Mes mains tremblaient quand je lui ai ouvert la porte, et c'est moi qui ai trébuché sur la première aspérité du trottoir. Heureusement, toute à sa colère, elle marchait devant et elle n'a rien remarqué.
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« Mais ce n'est pas la question, Patmol », ai-je essayé, sans vraiment croire que cette simple formule suffirait à endiguer durablement la colère de mon ami. Ce ne serait ni la première, ni la dernière fois qu'on discuterait de son impuissance forcée.
« Ah non ? »
Il est plus furieux encore que je l'avais imaginé, sinon il serait plus loquace.
« Ce n'est pas parce que tu ne peux pas m'accompagner que tu es inutile ! »
Je me doute bien que ce n'est pas spécifiquement le monde merveilleux des loups-garous qui l'attire. Je crois qu'il serait capable d'aller infiltrer une usine de perceuses moldues, du moment que ça impliquerait qu'il sorte de cette bicoque. D'ailleurs, il ne me fait même par l'honneur de me répondre.
« Tu ne crois pas que Harry a besoin de toi ? »
J'insiste avec un peu de mauvaise conscience, après tout sa colère est compréhensible et invoquer Harry me paraît cousu de fil blanc et un peu déloyal. D'ailleurs, comme à chaque fois que je ne prends pas la peine de croire à mes propres arguments, je fais chou blanc :
« C'est vrai, comme c'est utile un parrain qui ne peut même pas t'accompagner faire des courses ! Un paria, c'est follement utile à un gamin de quinze ans ! Surtout à un gamin de quinze ans que Voldemort veut à tout prix assassiner ! »
Il a accompagné sa sortie d'un geste de mépris de la main qui le ferait peut-être frémir s'il le voyait dans une glace. Il n'a jamais autant ressemblé à son père nous saluant malgré lui sur le quai de la gare de King Cross's. Je décide de repartir au front :
« On ne sait pas exactement ce que veut Voldemort… » - ai-je commencé, en réprimant l'agacement de rejouer en duo le texte de la dernière réunion de l'Ordre.
Mais, comme pendant cette dernière, Sirius n'a aucune envie d'envisager autre chose que le pire :
« Oh je vois, vous avez besoin de moi pour l'oraison funèbre… Je note : Que Harry nous excuse, on n'était pas sûr qu'il voulait sa peau ! »
Je ne sais pas si beaucoup d'autres que moi persisteraient devant tant de mauvaise foi. Albus le ferait sans doute. Je ne lâche pas :
« Justement Sirius, il a quinze ans et il a déjà montré qu'il était plus coriace que bien d'autres, donc il n'a pas besoin qu'on lui tienne la main pour traverser la rue ! Laisse-moi donc finir ! »
« Parce que tu crois que tu vas m'apprendre quoi que ce soit ! »
« Je crois que ça te fait du bien que ça vienne de l'extérieur… »
« C'est vrai, j'adore qu'on me dise ce que je dois faire et ce que je dois penser ! » rétorque-t-il avec tellement de sarcasme que sa voix paraît râpeuse.
Et là, je comprends que ça va vraiment pas être facile ! Qu'avait pu lui dire cette vieille pourriture de Rogue en cinq minutes pour le mettre dans cet état ? Je me promets d'essayer de dire un mot à Tonks – à qui d'autre ? - avant de partir ; si personne n'y prend garde, si on le laisse à lui-même, il va vraiment devenir enragé ! Peut-être est-ce la maison qui veut ça ! Peut-être que la vieille Black l'a ensorcelée pour rendre fou son dernier fils !
« Je me demande quelle influence vous espérez que j'aie sur Harry alors que je suis moi-même sans doute plus surveillé et contrôlé que lui ! » reprend-t-il, se mettant à marcher dans la pièce, dessinant des ronds irréguliers sur le tapis persan – nœuds de soie, mains d'enfants, yeux d'enfants, grosses chaussures qui l'écorche…Un bon résumé de ce que la vie fait de nos espoirs et de nos innocences. Il me fait douloureusement penser à Buck.
« Personne te parle d'influence, Sirius, on te parle d'affection, de confiance… »
Je plaide encore – moins parce que je crois à ces bonnes paroles que parce que je pense que le laisser suivre le cours des siennes est suicidaire.
« Je suis pas là pour être son copain mais son parrain, je te le rappelle ! »
« Et quoi, tu crois que ça te donne le droit de vivre à sa place ? »
Evidemment, il s'est figé, fulminant. Je sais que je viens de reprendre à mon compte ce que Molly n'arrête pas de répéter et qu'il ne peut plus entendre. Je bande tranquillement mes muscles, prêt à le voir se jeter sur moi et me casser la gueule. Je sais bien que je n'aurais aucune chance face à lui – j'en ai jamais eu. Ce qui ne m'a pourtant jamais empêché de lui dire ce que je pensais – je ne vais pas commencer maintenant !
« Moi, j'ai plutôt l'impression que vous voulez que je le tienne en cage comme vous me tenez moi ! » - aboie-t-il.
Et je sais immédiatement que le plus dangereux est passé, mais la conversation n'est pas moins verglacée. J'hésite et je prends mon ton professoral pour affirmer :
« On cherche à vous maintenir en vie, l'un et l'autre ! On cherche à avancer et si faut vous cacher un temps, c'est sans doute désagréable, mais c'est nécessaire ! »
Il a levé les yeux au ciel mais il n'a rien dit. Mon pauvre Sirius, je crois que je te préférais moins raisonnable… C'est presque désespérant que tu me donnes raison si facilement… Sommes-nous déjà si vieux ? Je pousse néanmoins mon avantage :
« Sirius, tu sais… »
« …bien que si ça ne tenait qu'à toi, ça se passerait différemment ! »
Baroud d'honneur à la Sirius. Je souris malgré moi.
« On s'était pas juré un jour qu'on se battrait toujours ? »
Mais Sirius n'entend pas ma nostalgie :
« Encore faut-il être reconnu comme un combattant ! »
« Mais Sirius, tu l'es ! Tu leur donnes tort ! »
« Non, je leur donne un bon bouc émissaire, c'est tout à fait différent, Remus, et je m'étonne que quelqu'un d'aussi compulsivement précis que toi ne fasse pas la différence ! »
La voie de sortie me paraît si évidente que j'hésite à m'y engager. J'ai l'impression d'être un chasseur qui a bloqué sa proie et qui, au moment de l'achever, hésite. Mais je me secoue, je n'ai pas toute la journée :
« Ça, c'est ce qu'ils veulent que tu croies, Sirius ! Tu es une bombabouse pour Fudge ! Il ne sait pas quand tu vas exploser mais il sait déjà que tu sentiras mauvais ! »
Sirius me regarde et explose de rire – ce rire profond que je lui ai toujours envié. Etre capable de rire aussi profondément m'a toujours paru enviable ! Et même maintenant, je veux croire que tant que ce rire sera là, il sera le patronus de Sirius contre la folie.
« Sacré Lunard, sacré raisonneur ! Que ferai-je sans toi ? »
Des bêtises sans doute, mais peut-être qu'elles te ressembleraient plus que ce deuxième emprisonnement pour des crimes que tu n'as pas commis.
Evidemment, je garde ça pour moi.
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Bon,
c'est le début...
La suite s'appelle, joyeusement, Ma
place ...