Juste la fin du monde
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Note de l'auteur : Wotcher ! Alors, comment allez-vous, depuis la dernière fois ? Un grand merci à la personne qui m'a laissé une review pour mon précédent chapitre, ça m'a vraiment encouragé à continuer. Encore une fois, navrée pour le délai, vous êtes bien braves de ne pas décrocher parce que, let's face it, je suis loin des records de vitesse de postage. Allez, chalut !
Ah, encore un truc, j'ai choisi de faire une légère ellipse, ne soyez pas trop perturbés, hein ? On est à présent au milieu du mois d'Octobre.
17 Octobre 1981
Je suis dans un long couloir qui semble s'étendre à l'infini devant moi. Je n'en sortirai probablement jamais. Il n'y a aucune source de lumière et pourtant la blancheur des murs et du plafond est aveuglante. Je n'ai pas d'autre choix que de marcher en espérant que je déboucherai quelque part avant d'étouffer. Les murs commencent à se refermer sur moi. La largeur du couloir diminue. J'accélère tout en m'efforçant de ne pas céder à la panique. Je cours. Je cours. Et d'un coup, le couloir disparaît. Je suis dans une grande salle vide. Il fait froid. Je fais quelques pas en avant et mon pied droit s'enfonce légèrement dans une flaque d'eau. J'hésite. Je regarde autour de moi. Au loin, de l'autre côté de la flaque, j'aperçois Dorcas. Elle est habillée comme elle l'était le jour où elle a été tuée et elle me regarde avec des yeux écarquillés. J'ai peur. Elle n'a pas l'air d'être vivante. Elle me fait signe de m'approcher. J'avance un peu dans la flaque, mais elle est plus profonde que je le croyais et je bascule en avant dans l'eau. Je me suis trompé. Ce n'est pas une flaque, c'est une piscine. Je voudrais nager vers la surface pour reprendre de l'air, mais il n'y a plus de surface. Où que je regarde, il n'y a que de l'eau sombre à perte de vue. Je porte les mains à ma gorge. Je ne peux pas respirer. Je vais mourir.
Non. Je ne suis pas dans l'eau. Je ne suis même pas mouillé. Je suis allongé sur mon canapé. Chez moi. Je me réveille, non pas comme dans les films où les personnages se redressent brusquement après un cauchemar, mais lentement, péniblement. Je m'accroche de toutes mes forces à la réalité pour ne pas replonger dans la piscine. Mes yeux luttent pour s'ouvrir et rester ouverts. Ce n'est qu'après avoir pris plusieurs grandes inspirations pour m'assurer que mes poumons fonctionnent encore que je peux finalement tendre le bras et attraper ma montre. Dix heures et demie. Je soupire, puis je me lève. Immédiatement, je dois m'arrêter et m'appuyer sur un meuble. Je me suis levé trop vite, la pièce tangue autour de moi.
Pré-au-Lard
Je me sens bizarre, un peu perdu. Ces temps-ci, je fonctionne beaucoup en mode automatique. Je ne sais pas exactement comment je suis arrivé là, ni en quoi consiste le travail pour lequel je postule ce matin. L'homme qui est assis devant moi doit avoir environ la quarantaine. C'est un sorcier bien propre sur lui, les cheveux plaqués en arrière et l'uniforme impeccable. Particulièrement antipathique. Pourquoi est-ce que je me fatigue ? Il n'y a absolument aucune chance qu'un type comme lui accepte de travailler avec un type comme moi. Mes cernes et mon teint pâle ont déjà l'air de le rebuter. Je sors machinalement une pièce d'identité et la lui tends. Ses doigts moites effleurent les miens, je réprime un frisson. Il regarde, puis il se lève. Et là, il dit la chose la plus directe qu'on m'ait jamais dite.
- Dégage de mon bureau, sale monstre !
A présent, je suis complètement réveillé. Comme je me lève, je sens une vague de colère monter en moi. Mes poings se serrent convulsivement. Habituellement, je m'en irais sans faire d'histoire, mais aujourd'hui, il semblerait que j'aie tout le mal du monde à garder mon sang froid. Il me jette un regard menaçant et je le fixe en retour. Je me prends à vouloir le mordre, juste pour qu'il sache ce que c'est.
- Dehors !
Il tire sa baguette. C'était l'excuse qu'il me fallait. Une fraction de seconde plus tard, il heurte assez durement le mur derrière lui et glisse jusqu'au sol. Au dessus, une étagère remplie de livres épais se décroche et lui tombe sur la tête. Il ne bouge plus. Je reste figé au milieu de la pièce, baguette à la main. Au niveau de son crâne, une quantité impressionnante de sang se répand par terre. Soudain, il me parait beaucoup moins désagréable. Je me précipite vers lui et le dégage des livres éparpillés. Il ne respire pas mais son cœur bat encore. En l'espace d'une seconde, j'ai oublié tous les sorts de soin que je connais. Je lui prends les bras aussi fermement que je peux et je m'efforce de me concentrer. Mes mains tremblent. Je transplane avec lui.
Hôpital Sainte-Mangouste
Nous arrivons au beau milieu du hall. Les gens qui se trouvent là lèvent la tête. Certains crient. La sorcière de l'accueil arrive en courant et s'accroupit devant nous.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Dans la panique, je mens.
- On parlait, et je… une étagère. Il… une étagère lui est tombée dessus.
- Il a perdu connaissance tout de suite ?
- Oui.
- Vous le connaissez ?
- Non.
Deux médicomages emmènent le corps toujours inerte. Je ne bouge pas. Mes yeux sont baissés sur la tache rouge au milieu de ma chemise blanche que je regarde sans voir. Si cet homme meurt, ce sera entièrement par ma faute. Je me demande s'il a une famille, des amis, des enfants, qui pensent qu'il est en sécurité à son travail, en ce moment.
- Monsieur ?
La sorcière de l'accueil est toujours là. Elle me prend par le bras et m'aide à me relever.
- Monsieur ? Est-ce que ça va ?
- Oui, oui.
- Vous avez fait ce qu'il fallait en l'amenant ici. Où est-ce que vous étiez quand c'est arrivé ?
- Pré-au-Lard. Il me faisait passer un entretien d'embauche.
- Et vous vous appelez ?
- Lupin. Remus Lupin.
Elle note mon adresse, me remercie encore et me conseille de rentrer me reposer. Je voudrais rester pour m'assurer qu'il va bien, mais elle insiste. Ils me contacteront par hibou s'ils ont besoin de renseignements supplémentaires. Alors je retourne chez moi. Je m'assieds, la tête entre les mains, et j'attends. Je ne sais pas quoi. J'attends en général. J'attends que le temps passe. Un long moment s'écoule. Probablement une heure ou deux. Je ne saurais pas dire avec certitude si je suis éveillé ou endormi. On frappe à la porte. On m'appelle.
- Lunard ?
Presque immédiatement après, la poignée tourne et Sirius entre, suivi de Peter. J'étais supposé les retrouver au Chaudron Baveur après mon entretien, ce que j'avais évidemment complètement oublié. En me voyant, Peter soupire ostensiblement. Sirius semble presque surpris de me voir toujours en vie.
- Merlin, tu nous as fait peur !
- Tu vas bien ?
L'inquiétude perce dans leurs voix. C'est la première fois qu'ils ont l'air aussi sincère depuis longtemps. Pendant un instant, on se croirait presque de retour à Poudlard, après une pleine lune éprouvante. Je devrais faire ça plus souvent, si ça peut nous rapprocher. Ils viennent s'asseoir à côté de moi et, bien sûr, ils remarquent la tache de sang sur ma chemise.
- T'es blessé ?
- Je vais bien, ce n'est pas le mien.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- J'ai attaqué quelqu'un.
- Quoi ? s'exclame Peter.
- Un Mangemort ?
- Non.
Les yeux de Peter sont ronds comme des billes.
- Qu'est-ce qui t'a pris ?
Sirius l'arrête d'un geste de la main.
- Je suis sûr qu'il y avait une bonne raison. Qu'est-ce qu'il avait fait ?
- Rien.
- Rien ? Attends, je te connais, tu n'attaques pas les gens pour rien. Qu'est-ce qu'il avait fait ?
Je prends une longue et lente inspiration. J'ai honte.
- Il a dit « Dégage de mon bureau, sale monstre ».
- Pauvre con.
Dans des circonstances différentes, je m'inquiéterais probablement d'entendre ces mots-là sortir de la bouche de Peter. Sirius ne semble même pas le remarquer. Il insiste.
- Et ?
- Il a tiré sa baguette de sa poche.
Sirius tape sur sa cuisse, l'air satisfait.
- Eh ben voilà ! Il t'a menacé, tu t'es défendu. Je ne vois pas le problème.
- Sirius, il n'aurait rien fait. Il n'aurait rien fait et je le savais parfaitement.
Sirius baisse la tête un instant, mais ne se laisse pas démonter pour autant.
- La pleine lune…
- Passée depuis un moment.
- Mais…
- Arrête ! Je ne peux pas accuser la pleine lune à chaque fois que je fais une connerie ! C'est ma faute, ce type est à l'hôpital à cause de moi, d'accord ?
Je lui ai pratiquement hurlé dessus. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Visiblement, il est vexé.
- D'accord. Pigé. Je voulais juste t'aider, mais si tu préfères rester là à t'apitoyer sur ton sort, fais comme tu veux. Tu sais quoi ? Je commence à penser qu'en fait, tu aimes être malheureux.
Il se lève et sort en claquant la porte derrière lui. Peter me regarde, il paraît un peu déçu. Je ne l'ai jamais vu aussi sérieux.
- Il était venu parce qu'il s'inquiétait pour toi. Il t'adore. C'est lui qui avait insisté pour qu'on déjeune ensemble aujourd'hui, tu te souviens ?
Il se lève aussi et s'éloigne. Arrivé à la porte, il se retourne.
- Tu n'es pas coupable de tout le malheur du monde, Remus, crois-moi. Tu es juste un peu névrosé sur les bords. Quoi que tu en penses, tu es un type bien.
- Tu crois ?
Le ton cassant avec lequel je lui réponds m'étonne moi-même. Pourtant, je sais bien que c'est à moi que j'en veux, et pas à lui. Il s'en va. Et avant même que je comprenne ce qui m'arrive, toute l'émotion que je retenais avec plus ou moins de succès m'échappe et je suis pris de sanglots incontrôlables. Le visage enfoui dans mes bras, je pleure comme je ne l'ai plus fait depuis de nombreuses années.
C'est la première fois que nous nous disputons ouvertement. Je tremble violemment, peut-être de colère, peut-être de stress, peut-être les deux. Qu'est-ce que j'ai, aujourd'hui ? Je n'aurais jamais dû réagir comme ça. Pendant un instant, j'envisage de les rattraper pour m'excuser, mais je n'ai pas le courage. De toute façon, ils auront probablement transplané. Tout d'un coup, je me rends compte que je n'arrive plus à voir de bon côté à quoi que ce soit. Je suis absolument persuadé que nous allons perdre la guerre. Il n'y a aucun moyen de vaincre Voldemort : presque la moitié du monde sorcier est déjà de son côté. Il va anéantir tous les moldus, tous les sorciers de sang-mêlé, tous les hybrides et personne ne peut l'en empêcher. Quant à nous, les maraudeurs, c'est bien simple, nous allons mourir. Et nous allons mourir fâchés.
Sirius et Peter ont raison. Je ne sais plus comment être heureux. Je n'arrive même plus à sourire. Ce n'est pas normal, à vingt-et-un ans, d'être désespéré à ce point. En fait, mes amis sont bien plus courageux que moi. Parce qu'ils essayent. Ils essayent de ne pas laisser la guerre atteindre leur moral. Ils essayent de ne pas laisser Voldemort leur voler leur jeunesse. Mais moi, je suis coupable d'avoir laissé tomber. Je suis coupable de ne plus croire en mon avenir et j'ai horreur de ça.
Petit à petit, je parviens à me calmer, et ce sans utiliser la moindre drogue, ce qui est une grande victoire pour moi. Maintenant, il faut que je pense à autre chose. J'essaie de toutes mes forces de me concentrer sur des détails positifs. D'abord, je remarque que je n'ai mal nulle part. La pleine lune est loin et, physiquement, je me sens plutôt bien. C'est un début. Je ferme les yeux. Soudain, une idée me vient. Je récupère ma baguette que j'avais posée à côté de moi et je parcours ma mémoire à la recherche d'un souvenir heureux. Assez vite, je m'arrête sur ma première rencontre avec James et Sirius. C'était en première année, dans la grande salle pendant une heure de déjeuner. Ils avaient dû remarquer que j'étais toujours dans mon coin, ils étaient venus s'asseoir de chaque côté de moi. « Bon ! » s'était exclamé James. « Va falloir que tu nous dises comment tu fais pour te retrouver encore tout seul trois semaines après la rentrée. » Sirius m'avait donné une claque dans le dos. « Ouais, sois pas timide ! Tu es à Poudlard, mon pote, profites-en ! La vie est belle ! ». Il avait dit ça si simplement que je l'avais cru, tout aussi simplement. C'était l'évidence même.
- Spero Patronum !
Rien ne se passe. Je respire aussi tranquillement que je peux et je m'accroche à mon souvenir.
- Spero Patronum !
J'essaye d'oublier tout ce qu'il y a autour de moi.
- Spero Patronum !
J'ouvre les yeux. Ca a marché. Un oiseau immense s'est matérialisé devant moi, ailes déployées, attendant mes ordres. Je me contente de le regarder. La voilà, ma part d'optimisme. Le voilà, mon côté heureux. Il existe encore et il existera probablement toujours. Il a juste besoin que je le rappelle de temps en temps.