Sous protection policière


Disclamer : Cette histoire est très inspirée du manga Cat's Eyes de Tsukasa Hojo popularisé en France par le dessin animé Signé Cat's Eyes. J'en ai repris la situation initiale et les principaux personnages.

L'image de couverture est un montage à partir d'images récupérées sur le site universcatseye (permission accordée par Sutefanii)

Remerciements : Merci à Owlie Wood qui m'a soutenue quand je me demandais si cela valait le coup que j'écrive ça et qui s'est retrouvée alpha lectrice malgré elle. Comme toujours, Fenice a été là avec ses remarques pertinente et sa relecture attentive. Quant aux dernières fautes, elles ont été impitoyablement traquées par l'indispensable Monsieur Alixe.


Le rating : cette fois-ci, j'écris en M (+16 ans), parce que c'est une histoire d'adultes et avec quelques répliques un peu vulgaires. Je pense cependant qu'on peut lire mon histoire à partir de 15 ans (le T n'était donc pas adapté).

Précision: vous pouvez lire cette histoire sans connaître le fandom. Tous les éléments à connaître seront repris dans les divers chapitres.

Si vous voulez en savoir plus sur l'histoire avant de la commencer (et vous placer dans l'optique classique de la fanfiction), vous pouvez aller voir en bas, sous le chapitre. Si vous désirez tout découvrir au fur et à mesure de la lecture (j'ai mis tout ce qu'i savoir dans le texte), vous pouvez éviter le spoiler.

Pour ceux qui connaissent le manga et / ou l'animé, vous verrez des différences avec le canon. Elles sont intentionnelles, je les expose en bas de page, si ça vous intéresse.

La construction de l'histoire : dès le début, je vais faire allusion à des évènements passés, pas toujours canon. Des chapitres flash-back vous donneront tous les éléments indispensables à la compréhension.


I : Police judiciaire


Bordeaux
Octobre 2004

Devant le commissariat – 7h35.

Cinq personnes attendaient, le regard fixé sur la porte d'une maison de ville à un étage surmontée de combles. Parfois, leur attention s'égarait vers le café qui occupait une partie du rez-de-chaussée. On y voyait des clients prendre leur boisson matinale. La plupart étaient au comptoir, seuls quelques-uns s'étaient installés à une table avec leur journal. La patronne, une femme gironde dont les boucles brunes cascadaient sur ses épaules, rinçait les tasses en plaisantant avec ses habitués.

Dix minutes plus tard, la porte sur laquelle se concentrait la surveillance s'ouvrit à la volée. Une adolescente aux cheveux courts sortit en courant tout en criant : "Je suis en retard !". Une voix répondit, mais on n'en perçut pas le sens. Sans doute, une injonction de faire attention en traversant la rue. Les observateurs attendirent que la jeune fille ait disparu, puis le plus âgé d'entre eux mit fin à l'attente :

— On y va.

Ils traversèrent la rue, laissant derrière eux le bâtiment massif du commissariat de police.

Celui qui avait donné le signal du départ prit la tête du groupe. Il était suivi de près par un homme qui ne devait avoir la trentaine, vêtu d'un pantalon noir, d'une chemise blanche et d'une veste bleu clair. A ses côtés se pressait une femme en tailleur, au visage étouffé par des lunettes à branches épaisses. Les deux autres membres de la petite compagnie se tenaient quelques pas derrière eux.

Quand ils parvinrent à destination, le meneur s'adressa à l'homme à la veste bleue :

— C'est à toi de le faire, Chapuis.

Le dénommé Chapuis hocha la tête et frappa fermement à la porte. On sentait une forte tension alors que les secondes d'attente s'écoulaient. Enfin, le battant s'écarta sur une femme d'une vingtaine d'années. Ses yeux bruns rencontrèrent ceux de l'inspecteur. Lentement toute couleur quitta son visage alors que le regard dur de son visiteur la fixait sans aménité.

— Police judiciaire, prononça-t-il finalement. Pouvons-nous entrer ?

Il fallut encore quelques instants pour qu'elle ne s'écarte. Son visage reflétait maintenant le désespoir. L'inspecteur Chapuis parcourut la pièce des yeux et se dirigea rapidement vers la porte qui communiquait avec le café, suivi de son supérieur, le commissaire Bruno.

L'inspectrice Asaya prit la femme par l'épaule et l'entraîna à l'écart pour entreprendre une palpation de sécurité.

Pendant ce temps, Chapuis et Bruno arrivaient derrière le bar.

— Vous n'avez rien à faire là ! s'insurgea la patronne quand elle les découvrit dans son dos.

— Tu nous suis sans faire d'histoires ou je te colle direct les menottes, répliqua froidement Chapuis.

Elle jeta un regard autour d'elle. Elle vit qu'un policier, qui était venu jouer les clients, s'était placé au bout du comptoir de manière à lui interdire toute fuite. Un autre semblait prêt à la saisir au dessus du bar.

— Ne me touche pas, siffla-elle à l'inspecteur Chapuis.

La tête haute, elle passa devant lui et le commissaire Bruno pour revenir du côté habitation. Les deux inspecteurs qui étaient dans le café lui emboîtèrent le pas. Le commissaire ordonna à l'un des clients qui suivait l'arrestation avec incrédulité – lui aussi inspecteur de police – d'organiser l'évacuation de l'établissement et d'en fermer les portes.

Lorsqu'elle pénétra dans la pièce à côté, la patronne du café eut un mouvement d'arrêt en voyant sa sœur Tam se faire fouiller. L'inspecteur Chapuis, qui était juste derrière elle, lui prit le bras pour la faire avancer. Elle se dégagea avec violence.

— Toi, je te préviens… commença-t-elle comme une furie.

— Sylia ! l'interrompit Tam d'une voix suppliante. Tu as promis !

— Taisez-vous ! coupa le commissaire Bruno. Vous n'avez pas le droit de communiquer entre vous. Je vous informe que vous êtes toutes les deux placées en garde à vue. Qu'on leur passe les bracelets.

Asaya entrava Tam pendant que Chapuis sortait ses menottes et les passait à Sylia tout en échangeant avec elle un regard haineux. L'inspectrice s'interposa ensuite entre les deux protagonistes pour vérifier que l'aînée des sœurs n'avait sur elle aucun objet dangereux ou compromettant. Les policiers éloignèrent ensuite les deux suspectes l'une de l'autre et leurs indiquèrent leur droits. Elles déclinèrent toutes les deux la possibilité de voir un médecin, de bénéficier des conseils d'un avocat et de prévenir un membre de leur famille. Tam ne fit aucun problème pour signer la feuille de notification de droits, contrairement à Sylia qui refusa totalement de coopérer.

— Lejeune, Gaudin et Asaya, allez à l'étage avec Mademoiselle Tam Chamade, ordonna le commissaire Bruno. Andrieu, Delage, Chapuis, vous vous occupez du rez-de-chaussée.

Posément, Asaya alla prendre le sac de Tam qu'elle avait repéré quelques instants auparavant et le mit sur son épaule. Ensuite, elle entraîna cette dernière vers l'escalier qui montait aux chambres derrière les deux autres inspecteurs.

A l'étage, ils firent rapidement le tour des pièces, pour se repérer.

— Je commence par là, fit Asaya quand elle pensa avoir identifié la chambre de Tam. Commencez les autres pièces sans nous.

Asaya installa la jeune femme sur une chaise et entreprit de passer ses affaires en revue.

Il lui fallut à peine dix minutes pour trouver ce qu'elle cherchait : deux lettres dont elle reconnut l'écriture, quelques prospectus de restaurants et de musées italiens, une photo où souriaient deux amoureux devant la tour de Pise. Le tout était dissimulé dans une boite à chaussures, rangée dans un placard. Sans état d'âme, elle en fourra le contenu dans son sac à main qu'elle avait pris soin de prendre le plus grand possible. En se relevant, elle se tourna vers sa prisonnière qui n'avait manqué aucun de ses gestes. Elles échangèrent un regard entendu, puis Tam hocha imperceptiblement la tête en remerciement, avant de tourner les yeux vers son propre sac que l'inspectrice avait posé sur le bureau.

Comme si elle n'avait rien remarqué, Asaya termina d'inspecter le placard, puis vérifia le contenu d'une commode. Ensuite seulement, elle commença à faire l'inventaire du sac à main de Tam. Un trousseau de clés, un téléphone, un portefeuille, quelques papiers. Enfin, elle se saisit du téléphone.

— Votre code ? demanda-t-elle d'une voix calme.

— 3141, répondit Tam.

Après avoir vérifié que ses collègues était bien occupés ailleurs, l'inspectrice Asaya commença à faire défiler les contacts. Le nom 'Épicerie' correspondait au numéro de téléphone portable de son partenaire, l'inspecteur Quentin Chapuis.

ooOoo

La veille – Bistrot du Grand Louis – 14h15.

Ne di ri1
44 st medard
ASAP QT1

Ne dis rien, 44 avenue de St Médard. Le plus vite possible. Quentin.

L'inspectrice Odile Asaya fronça les sourcils en recevant ce sms sibyllin, juste après l'heure du déjeuner. Mais elle était habituée au caractère fantasque de son partenaire et s'absenta du commissariat pour se rendre au lieu indiqué. C'était l'adresse d'un café. Elle y retrouva l'inspecteur Chapuis attablé dans un coin isolé, profondément plongé dans ses réflexions. Elle se glissa sur le siège qui lui faisait face.

— J'ai compris qui est Cat's Eye, annonça-t-il tout de go d'une voix morne qui contrastait avec le caractère formidable de la nouvelle.

Cat's Eye était le surnom donné à un gang de cambrioleuses qui avait la particularité de signer leurs larcins en laissant une carte de visite représentant un chat qui clignait de l'œil. Durant les mois précédents, l'inspecteur Chapuis s'était donné pour défi de les arrêter et il avait dépensé beaucoup d'énergie pour tenter de comprendre leurs motivations, se donner les moyens d'anticiper leurs mouvements et rechercher des indices qui révéleraient leur identité.

Asaya n'était donc pas foncièrement étonnée par la nouvelle : entre l'intuition brouillonne de Chapuis et son propre esprit d'analyse, ils s'étaient peu à peu approchés des voleuses, et elle savait qu'un jour ils finiraient par avoir suffisamment d'avance pour les coincer pour de bon. Ce jour-là semblait être arrivé mais la victoire et la fierté qui auraient dû accompagner ce moment ne transparaissaient pas dans le ton de l'inspecteur.

— C'est quelqu'un de la maison ? demanda l'inspectrice.

Vu la manière dont leur adversaire était renseigné sur eux, elle soupçonnait un ou une policière d'être complice, voire l'exécutante du gang.

— Pas tout à fait, répondit énigmatiquement Chapuis.

Il lui tendit un livret cartonné dont le titre était 'Heintz intime'. Heintz était au cœur du mystère Cat's Eye. Les policiers avaient déterminé que les voleuses s'appliquaient à reconstituer la collection que le peintre avait possédée et à récupérer toutes les œuvres dont il était le créateur.

— Un de mes contacts a trouvé ça et me l'a envoyé, pensant que ça m'intéresserait, expliqua Chapuis d'un ton fatigué. C'est une sélection de tous les tableaux où Heintz a représenté sa famille.

— Sa famille ? Nous savons qu'il n'est pas marié et qu'il est de l'assistance publique, rappela-t-elle.

— Regarde.

Elle feuilleta l'opuscule. Elle connaissait pratiquement toutes les peintures qui y étaient représentées. C'était toujours la même femme qu'on y retrouvait, l'un des modèles récurrents du peintre. Elle tourna encore les pages et arriva à une autre sélection, des portraits d'enfants.

— Ce sont les siens ?

— D'après l'auteur.

— Des filles ?

— Oui.

Ça aussi c'était une des hypothèses de travail : que le peintre ait des enfants non déclarés, et que ce soient des filles… celles qui tentaient de réunir la collection, précisément.

— Bon sang, ce livre c'est de la dynamite, s'exclama-t-elle.

La dernière peinture lui arracha un hoquet.

— C'est de Heintz ? douta-t-elle.

Les œuvres de l'artiste représentaient généralement des silhouettes dont les traits étaient flous et des paysages qui semblaient toujours fondus dans le brouillard. Le génie du peintre était dans l'harmonie des couleurs et des formes. Or la représentation qu'elle avait sous les yeux était un crayonné où la physionomie des personnages était parfaitement nette.

On y voyait deux fillettes qui regardaient un bébé dormir dans un berceau. Au-dessus, un portrait de femme semblait veiller sur les trois enfants. Asaya y reconnut le même modèle que sur les pages précédentes.

— Les deux aînés, la troisième au berceau, la mère décédée au dessus, commenta Chapuis. J'ai envoyé ça à un copain dont le hobby est de vieillir les portraits. Le croquis est de 1990, je lui ai demandé un vieillissement de 14 ans. Il a travaillé sur la cadette et m'a faxé ça ce midi.

Il lui tendit alors une feuille de papier. La stupéfaction rendit l'inspectrice Asaya muette quelques secondes, avant qu'elle ne s'exclame :

— C'est pas possible !

L'expression de son partenaire attestait du sérieux de la révélation. La jeune femme qui était sur la photo retouchée était le portrait crachée de Tam Chamade, la serveuse du café qui se trouvait juste en face du commissariat.

— Elle n'est pas forcément… commença-t-elle.

Elle s'interrompit. Malgré elle, elle analysait l'hypothèse. Des éléments épars, apparemment sans liens, s'ajustaient désormais parfaitement. Par contre un élément, et non des moindres, ne collait pas du tout : la suspecte avait depuis des mois une discrète relation avec l'inspecteur qui se trouvait devant elle. Il n'avait quand même pas...

— Est-ce que tu lui parlais de… ?

— Non, l'interrompit-il brusquement. Je te l'ai déjà dit : elle devient hystérique quand je lui parle du boulot. De toute manière, je ne lui aurais pas révélé… Enfin, je crois.

— Mais c'est complètement illogique ! s'exclama-t-elle, se sentant dépassée. Pourquoi se serait-elle mise dans cette situation ? Un mot de trop et tu découvrais tout !

— Va savoir, fit Chapuis d'un ton amer. Elle est folle ou perverse. Le plaisir de se faire sauter par le flic qui lui court après, ça doit l'exciter.

Mais Asaya ne se sentit pas convaincue par cette explication. Cela faisait plusieurs mois qu'elle était au courant de l'idylle cachée de son partenaire et elle avait eu le temps d'examiner avec soin les deux protagonistes ; elle était certaine que les sentiments de la jeune femme étaient sincères.

Elle se remémora la fois où elle était allée prévenir Tam que Chapuis avait fait une mauvaise chute lors d'une tentative d'interpellation et se trouvait à l'hôpital. Personne n'aurait pu imiter un tel désarroi. Elle en avait pratiquement fait une crise de nerfs… Mais si elle est Cat's, alors c'est elle qui l'a balancé dans le vide, réalisa soudain Asaya. Si la culpabilité s'ajoutait à l'inquiétude, la réaction de la jeune femme – dont l'intensité avait à l'époque étonnée l'inspectrice – devenait parfaitement compréhensible.

Il y avait aussi cette histoire de parfum…

Vol de nuit, c'est sur Tam que tu l'avais senti ? interrogea-t-elle.

— Oui, et comme je lui ai obligeamment révélé que je savais que c'était celui de Cat's, elle en a changé, forcément. Et moi, j'ai même pas trouvé ça bizarre… je suis vraiment trop con !

Il ponctua sa phrase d'un coup de poing sur la table et des têtes se tournèrent vers eux.

— Tam… répéta Asaya incrédule.

Tam, la jeune femme qui faisait le service au café préféré des flics du commissariat. Toujours calme et efficace, aimable mais sans en faire trop. Des gestes et des expressions très contrôlés, se rappela alors l'inspectrice. Parfaitement compatible avec leur cambrioleuse dont le sang froid et la précision leur arrachait une admiration réticente.

Asaya avait toujours soupçonné la sœur aînée, Sylia, d'avoir un côté calculateur. L'inspectrice s'agaçait parfois de la voir faire tourner autour de son petit doigt les policiers un peu trop aveuglés par sa poitrine généreuse. Mais on aurait eu tort de croire que ses atouts se limitaient à ses appâts avantageux. Sylia avait une parfaite mémoire qui lui permettait de se rappeler des préférences de ses clients, une capacité de chiffrer les additions plus vite que les calculettes et elle avait du génie pour déterminer la trajectoire exacte pour que les cafés atterrissent sur les vestes de ceux qui se permettaient des gestes trop lestes envers sa sœur ou elle.

C'est Sylia le cerveau de l'affaire, comprit Asaya. Et Tam l'exécutante.

Une autre certitude l'assaillit : c'est pour ça que Sylia déteste Chapuis ! Elle sait qu'il est le point faible de leur entreprise. La liaison de sa sœur devait la rendre folle.

L'animosité entre Chapuis et Sylia n'était un secret pour personne. Ils échangeaient des remarques acerbes et l'on ne comptait plus le nombre de cafés qui s'étaient malencontreusement renversés sur la veste bleue de l'inspecteur. De même, la chaleureuse relation fraternelle entre l'inspecteur et la benjamine de la famille, Alexia, une adolescente de quatorze ans, était connue de tous. Asaya aussi aimait bien la jeune fille. Était-elle complice de ses sœurs ou soigneusement tenue à l'écart ?

— Il faut tout de suite prévenir le commissaire Bruno, décréta Assaya.

ooOoo

Maison des sœurs Chamade – 8h05.

Asaya continua à explorer le téléphone de Tam, toujours sous le regard de cette dernière. La jeune femme ne conservait pas grand-chose dessus. S'ils voulaient trouver les contacts du gang, il faudrait demander à l'opérateur téléphonique de transmettre ses listes. Mais cela mettrait en péril la carrière de Chapuis car cela mettrait en lumière ses échanges quotidiens avec la suspecte.

Elle trouva d'ailleurs deux messages envoyés par Épicerie datant de la veille. Le premier, envoyé le matin, demandait 'Ce soir ?'. Le second, expédié après le conseil de guerre qui avait réuni Chapuis, le commissaire Bruno et elle-même, destiné à tenir Tam à l'écart sans éveiller ses soupçons, était ainsi composé : 'En planque toute l'après-midi. Crevé. Vais me coucher'. Dans les messages envoyés, elle trouva les réponses : 'Si tu veux', puis 'Compris, bonne nuit'. Elle les effaça sans remords. Elle vérifia les MMS, les photos, les fichiers sons, puis retira Chapuis des contacts.

L'inspectrice termina ensuite la fouille de la chambre. Maintenant qu'elle avait accompli la tâche qu'elle s'était fixée, elle pouvait se concentrer sur les preuves confirmant que Tam et Sylia étaient bien les voleuses après lesquelles ils couraient depuis des mois. Elle ne trouva rien d'intéressant.

Lejeune entra dans la pièce :

— On n'a rien dans les autres chambres, mais il y a une porte fermée à clé dans le couloir, indiqua-t-il.

L'inspectrice expliqua à Tam :

— Soit vous nous l'ouvrez, soit on l'ouvre nous-même avec de la casse.

— Une des clés de mon trousseau, soupira la prisonnière.

— On y va, annonça l'inspectrice en invitant Tam à se lever.

Elles sortirent dans le couloir au moment où Chapuis arrivait du rez-de-chaussée.

— Vous avez quelque chose ? demanda-t-il sans regarder Tam.

— Pas encore, mais on n'a pas terminé. Et toi ?

— Des micros dans les boxes du café, indiqua-t-il.

C'était bien maigre. S'ils ne trouvaient rien d'autre d'ici la fin de la garde à vue, ils n'arriveraient jamais à coincer le gang.

— Ça donne sur un escalier qui monte au-dessus, annonce Lejeune qui avait utilisé la clé que Tam lui avait désignée.

Une fois de plus, Chapuis passa devant les autres. Nul ne le lui contesta cette priorité, c'était son affaire. Mais seuls Asaya et le commissaire Bruno savaient à quel point cela l'était.

ooOoo

La veille – Bistrot du Grand Louis – 15h00.

Asaya appela le commissaire Bruno et le convainquit de la rejoindre en parlant d'un témoin refusant de se rendre au commissariat.

Bruno leva les sourcils en découvrant que le témoin mystère était Chapuis, mais ce dernier ne lui laissa pas le temps de demander des explications.

— Chef, j'ai du nouveau sur Cat's Eye, commença-t-il du ton posé et précis que prenaient toujours ses exposés et qui contrastait avec son caractère expansif. Heintz a trois filles dont les deux aînées ont respectivement aujourd'hui vingt-deux et vingt-six ans, ce qui correspond au profil de nos voleuses.

Il ne rappela pas qu'il avait émis l'hypothèse, plusieurs semaines auparavant, que les Cat's se livraient à une vengeance privée suite à la disparition mystérieuse de Heintz et à la dispersion de la collection.

— Tu penses que ce sont les filles de Heintz qui agissent pour venger leur père, synthétisa le commissaire Bruno qui avait toutes les théories de son subalterne parfaitement en tête.

— Il y a de fortes chances, confirma Chapuis. Voici un tableau les représentant.

Il posa son fascicule sur la table pour que son supérieur puisse bien le voir.

— Dans cette hypothèse, j'ai demandé à un copain de me vieillir l'une d'elle, et il a travaillé sur celle-ci, précisa-t-il en tapotant le visage d'une des fillettes.

— Depuis le temps que tu lui cours après, j'espère qu'elle est mignonne, plaisanta Bruno.

Chapuis plaqua l'image que lui avait fit parvenir son ami.

— Jugez-en vous-même, commenta-t-il d'une voix qui tremblait un peu.

— Tam Chamade, ponctua l'inspecteur Bruno après un court silence. Qui l'eut cru ?

Il laissa passer encore un moment puis leva les yeux vers son subordonné :

— Chapuis, tu penses sérieusement que c'est elle, notre voleuse ?

— J'en suis persuadé, répondit Chapuis. Elle se serait fait connaître sinon. Elle ne pouvait pas ignorer qu'on travaillait sur les vols de la collection de son père.

— On va les mettre sous surveillance, décida le commissaire. On sera rapidement fixés.

Chapuis ne répondit pas et Asaya retint son souffle. Le commissaire les regarda tour à tour, surpris de leurs mines sombres :

— C'est vrai qu'on n'a pas l'air malins, reconnut le commissaire, mais vous n'aviez aucune raison de les suspecter.

Chapuis déglutit et Asaya tenta de l'encourager du regard. Elle n'avait pas envie de se retrouver obligée de balancer elle-même son coéquipier.

— Qu'est-ce que vous me cachez ? demanda lentement Bruno.

— Je sors avec Tam Chamade depuis près d'un an, avoua Chapuis les mâchoires serrées.

L'étonnement du commissaire fut palpable.

— Eh bien, on peut dire que tu as su te montrer discret, s'exclama-t-il. C'est sérieux ?

— Je le pensais, fit Chapuis d'une voix qui fit mal à Odile.

Bruno resta un moment silencieux, soupesant toutes les conséquences de la révélation.

— Chapuis, tu as autre chose à me révéler ? demanda-t-il enfin.

A partir du moment où, grâce aux théories de l'inspecteur, ils avaient compris les objectifs des voleuses, ils avaient mis en place des protections autour des œuvres menacées. Les voleuses avaient déjoué leurs pièges d'une manière qui les avait fait suspecter d'avoir une taupe au commissariat. Ils avaient pris des mesures, mais les informations continuaient à filtrer.

— Non, ce n'est pas moi, répondit Chapuis à la question implicite. Et j'y ai réfléchi. La seule chose qui vient de l'extérieur quand on se réunit dans la salle sécurisée, c'est le plateau avec le café.

Bruno grimaça. C'est lui-même qui l'apportait généralement.

— C'est Sylia qui me l'a suggéré, révéla-t-il d'une voix affligée.

Asaya jeta un regard à Chapuis. Comprenait-il que cela rendrait le commissaire plus compréhensif à son égard ?

— C'est pour ça que je n'ai pas voulu vous en parler au commissariat, ajouta Chapuis. Dieu sait combien de micros on a dans notre bureau.

— On a déjà fait vérifier, rappela Bruno.

— La grande parabole sur leur toit du café, s'exclama Asaya. Elle est directement pointée sur le commissariat.

— Et notre bureau donne sur le café, murmura Chapuis.

— C'est pas vrai ! fit le commissaire dégoûté.

— Elles ont dû adorer la cagnotte, réalisa soudain Asaya.

Elle eut le plaisir de voir les deux hommes prendre l'air gêné.

Il se trouvait que l'intérêt des policiers du commissariat pour Tam et Sylia était allé plus loin que les commentaires admiratifs et les passages répétés au comptoir sous prétexte de manque de caféine. Ces messieurs avaient mis en place deux cagnottes, une pour chacune des deux aînées – dieu merci, ils avaient laissé Alexia en dehors de ça – et chacun d'eux mettait une piécette dans l'une des bouteilles prévues à cet effet quand ils trouvaient une de ces demoiselles particulièrement en beauté. L'idée était que si l'un d'eux triomphait de la vertu d'une des belles, il remporterait le jackpot en échange du récit de ses prouesses. Mais ce n'était pas sexiste, non, Inspectrice, c'était juste l'expression d'une admiration respectueuse, faut être féministe pour voir le mal partout.

Chapuis avait continué à jouer le jeu, alors même qu'il sortait avec Tam et pouvait prétendre récupérer ses fonds. Finalement, Asaya avait elle-même mis fin à ce passe-temps douteux quelques semaines auparavant, un jour où ça avait failli mal tourner.

— Dire qu'on tenait parfois des réunions au café avant la mise en place des mesures de sécurité, se rappela-t-elle écœurée. On a tout fait pour leur faciliter le travail.

Bruno parut soupeser les options qui s'offraient à lui et il déclara enfin :

— Chapuis, si on trouve du matériel d'écoute chez elles qui permette d'expliquer les fuites, je te couvre. Mais si ce n'est pas le cas, je serai obligé de faire un signalement.

— Je comprends, Chef, fit Chapuis d'une voix presque indifférente.

Le commissaire Bruno secoua la tête avec agacement. Asaya savait qu'il appréciait beaucoup le jeune inspecteur et qu'il était favorablement impressionné par son énergie, son intuition et sa volonté. Qu'il soit ainsi compromis devait être une profonde déception.

— Pendant combien de temps pourras-tu donner le change ? demanda Bruno.

— Je suis loin d'avoir ses compétences en duplicité, répondit Chapuis d'une voix sourde.

— J'organise l'arrestation pour demain matin, se décida le commissaire. A 7h15, avant l'ouverture du café.

— Si vous le permettez, chef, opposa Asaya, ne vaut-il mieux pas attendre que Sylia soit en train de faire l'ouverture pendant que Tam est encore dans la maison ? Si on intervient des deux côtés, on les aura sous contrôle, alors que si elles sont toutes les trois chez elles et que l'une est à l'étage quand on arrive, elles pourront détruire des preuves.

— Dans ce cas, autant attendre qu'Alexia soit partie à l'école, suggéra Chapuis. Comme ça, nous ne l'aurons pas dans les jambes pendant la perquis'.

— Pensez-vous qu'on devra l'inculper, elle aussi ? s'informa le commissaire d'un ton soucieux.

— Je ne pense pas qu'on ait de quoi, répondit Chapuis avec une hésitation tellement infime que Bruno ne s'en rendit pas compte.

ooOoo

Maison des sœurs Chamade – 8h40

Asaya laissa passer Lejeune devant elle dans l'étroit escalier qui devait mener aux combles de la petite maison. Elle allait s'y engager à son tour, quand Gaudin la bouscula pour la précéder. Elle serra les dents sans rien dire, habituée à l'attitude désagréable de son collègue, pour qui la présence d'une femme dans une unité dédiée au grand banditisme était un crime de lèse-majesté.

L'inspectrice entra la dernière dans le grenier, ayant fait passer Tam devant elle. Ce qu'elle découvrit en débouchant dans la pièce mansardée lui fit pousser un soupir de soulagement : non seulement il y avait largement de quoi prouver l'activité criminelle, mais on y trouvait aussi un matériel d'écoute, parfaitement reconnaissable. Elle s'approcha de Chapuis qui contemplait les écouteurs, micros et jumelles et posa discrètement la main sur son bras. D'un signe de tête, elle lui signifia qu'elle avait accompli ce qu'elle lui avait promis. Il la remercia d'un sourire triste avant de s'avancer vers une table qui croulait sous les plans.

ooOoo

Studio de Quentin – 6h00

Asaya frappa à la porte du studio que son partenaire habitait. L'arrestation était prévue dans pratiquement deux heures, mais elle était certaine qu'elle ne le réveillerait pas. Il était effectivement habillé quand il lui ouvrit et elle eut l'impression qu'il portait les mêmes vêtements que la veille.

— Tu as eu peur que je me dégonfle ? lança-t-il d'une ton agressif.

— Je voulais te parler de quelque chose, répondit-elle tranquillement, comprenant qu'il éprouve le besoin d'exprimer sa rage et sa peine.

Il hésita un instant avant de libérer le passage. Quand il se poussa, elle eut mouvement de recul. La pièce était dans un fouillis indescriptible. Chapuis avait manifestement passé ses nerfs sur son mobilier et ses affaires.

— Désolé, c'est un peu en désordre, souligna-t-il ironiquement.

Sans faire de commentaire, Asaya remit une chaise sur pied et s'y installa. Il en fit autant.

— Penses-tu que nous allons trouver chez elles des éléments compromettants pour toi ? attaqua-t-elle.

L'inspecteur sembla se demander dans quel sens elle allait utiliser sa réponse avant de prendre le temps réfléchir :

— Des textos dans son téléphone, répondit-il finalement. On en échangeait un ou deux par jour, du genre 'Bonjour', 'Bonsoir', des propositions d'heure pour se retrouver. On en faisait le minimum car ses sœurs regardaient parfois ses messages. De mon côté, j'avais pas très envie que quelqu'un du bureau se doute de quelque chose.

— Je pourrais m'en occuper, déclara Odile.

Cette déclaration lui valut un regard stupéfait.

Quand Odile était arrivée au commissariat un an auparavant, cela ne s'était pas très bien passé entre eux. Il l'avait trouvée bêcheuse et sans imagination. Elle l'avait jugé brouillon, sans méthode et immature. Le temps et l'obligation de travailler ensemble leur avaient permis de mieux se connaître. Il avait finalement apprécié son esprit méthodique et ses procédures efficaces, elle avait reconnu qu'il avait une intuition et une empathie qui lui permettaient de comprendre parfois mieux qu'elle la personnalité et le mode opératoire de ceux qu'ils poursuivaient. Ils avaient appris à combiner leurs forces respectives et, sans devenir de véritables amis, ils se reposaient en confiance l'un sur l'autre pour traiter les dossiers dont ils étaient chargés.

Mais c'était la première fois qu'il était question d'autre chose que de simples bons procédés entre partenaires. Elle venait de proposer de se rendre coupable d'un geste totalement illégal qui pourrait briser sa carrière.

— Tu es sûre ? s'étonna-t-il. Je comprendrais si tu restais neutre.

— Tu es pratiquement le seul à m'avoir traitée comme un flic et non comme une femme, expliqua-t-elle.

Elle n'avait pas besoin d'en dire plus. Les réflexions sexistes et les blagues douteuses volaient bas dans le bureau, et l'un de leurs collègues ne s'était pas privé de faire des coups en douce à l'inspectrice pour bien lui faire comprendre qu'elle n'était pas à sa place parmi eux. Sans prendre officiellement sa défense, Chapuis l'avait loyalement mise au courant des informations dont il avait connaissance et, dans le cadre de leur partenariat, avait équitablement partagé les opportunités de prouver leurs capacités.

— C'est ma mère qu'il faut remercier, alors, fit remarquer Chapuis. Une ardente défenseuse des droits de la femme.

— Je n'y manquerai pas si j'en ai l'occasion. Pour en revenir à notre sujet, rien d'autre ?

— Je lui ai aussi envoyé une ou deux lettres quand j'étais en vacances, se rappela Chapuis en secouant la tête, comme pour chasser un souvenir pénible. Elle doit avoir au moins une photo de nous aussi, ajouta-t-il après un silence.

— Quel genre de photo ? s'alarma Odile.

— Une photo de vacances bien sirupeuse, lâcha-t-il d'une voix amère.

— Généralement, on garde les lettres et les photos précieusement dans un coin, fit songeusement Odile. Je peux tenter de les récupérer avant que cela ne rentre dans l'inventaire.

— Ne te mets pas en danger pour moi, s'inquiéta-t-il. Ça n'en vaut pas le coup. Tant pis si je me suis conduit comme un imbécile.

— On s'est tous fait avoir, trancha-t-elle d'une voix sèche, détestant le voir se complaire dans l'autocritique. Tu tiendras le coup ? ajouta-t-elle avec sollicitude.

— T'en fais pas, haussa-t-il les épaules. Aujourd'hui, j'arrête les Cat's Eye. Pour le reste, je verrai plus tard.

— Bien. Ça va bientôt être l'heure d'y aller. Va prendre une douche pendant que je te fais un café. N'en déplaise à Madame ta mère.

ooOoo

Maison des sœurs Chamade – 10h

Asaya engloba du regard la pièce mansardée où s'activait une demi-douzaine de policiers qui étiquetaient, notaient et emballaient les pièces à conviction. Ils avaient trouvé le matériel d'écoute, des prototypes mécaniques ressemblant à ceux qui leur avaient donné du fil à retordre lors des cambriolages, ainsi que des plans préparant le coup suivant.

Sur des cintres, les vêtements de travail de Cats' Eye étaient soigneusement pendus : les leggings noirs, le justaucorps et le gilet sans manches, dont les poches étaient bourrées d'outils et de gadgets et dont la carrure leur avait fait longtemps croire que leur adversaire était un homme. Au grand soulagement de l'inspectrice, seuls deux ensembles se trouvaient là. La petite Alexia n'était visiblement pas associée aux cambriolages de manière régulière.

Asaya avait vérifié : l'un des habits était parfumé au Vol de Nuit. Après que Chapuis eut remarqué son parfum à la fois sur la voleuse et sur sa petite amie, Tam avait continué à l'utiliser durant les cambriolages mais avait changé celui qu'elle portait le reste du temps, histoire de brouiller les pistes.

Il y avait aussi des tatamis. Leurs adversaires leur avaient plusieurs fois échappé en pratiquant des prises d'aïkido. Ils avaient fait des recherches dans les dojos des environs, sans succès. Dire qu'ils avaient parcouru des kilomètres alors qu'il leur aurait suffit de se rendre à 30 mètres à vol d'oiseau de leur bureau…

Enfin, ils avaient découvert une coiffeuse qui rivalisait avec celles qu'on trouvait dans les théâtres : perruques, postiches, éléments de caoutchouc pour déformer les traits du visage, lentilles pour modifier la couleur des yeux, maquillage, et tout un assortiment de vêtements et chaussures de tailles différentes et des deux sexes. Cela expliquait pourquoi ils n'avaient jamais réussi à retracer les différentes personnes qui avaient été repérées à examiner les lieux avant un cambriolage.

Le commissaire Bruno supervisait le travail de ses hommes et téléphonait régulièrement au Procureur de la République pour lui rendre compte de l'évolution de la garde à vue. Asaya vit Chapuis aller vers leur chef. Elle suivit le mouvement.

— Ce n'est pas ici qu'elles gardent le butin, dit Chapuis à voix basse. Je voudrais les interroger.

Bruno jeta un regard aux policiers qui les entouraient et à Tam qui était installée dans un coin, le regard dans le vide. Il fit signe à ses deux subalternes de le suivre à l'étage en dessous :

— Chapuis, commença-t-il une fois qu'il se fut assuré que personne ne pouvait les entendre, je veux bien faire comme si de rien n'était, mais tu es certain de vouloir les interroger toi-même ?

— C'est mon dossier, je suis dessus depuis des mois ! soutint Chapuis.

— Tout le monde va se demander pourquoi vous le mettez à l'écart, remarqua Asaya.

— Le fait que Chapuis et Sylia se détestent est notoire, rétorqua le commissaire. Je peux l'invoquer. Tu n'es pas obligé, Chapuis.

— Je veux le faire, insista l'inspecteur.

— Bon, entendu, accepta Bruno après un moment de réflexion. On commence par laquelle ?

— Tam, proposa immédiatement Asaya. C'est le maillon faible.

ooOoo

Commissariat de police – 10h15

Ils firent monter Sylia au grenier, puis emmenèrent Tam au commissariat de l'autre côté de la rue. Dans les couloirs, ils furent le point de mire de tous ceux qu'ils croisaient : les conversations s'éteignaient, on s'écartait pour leur laisser la place, les policiers venaient au seuil de leur bureau les regarder passer. Quentin marchait devant, le visage impénétrable. Tam avait le regard cloué à sol, se laissant entraîner par Asaya et Bruno qui l'encadraient.

L'inspectrice ne fut pas mécontente d'arriver enfin au bureau où ils procédaient aux interrogatoires. Elle retira les menottes de la prisonnière et la fit asseoir. Chapuis se réfugia derrière l'ordinateur portable qui servirait à taper le procès-verbal, laissant tacitement au commissaire et à sa partenaire le soin de poser les questions.

Une fois installée, Tam chercha le regard de l'inspecteur, mais il tenait le sien farouchement rivé sur son écran, tout comme il n'avait jamais regardé dans sa direction durant les deux heures écoulées à étiqueter les saisies du grenier.

Le commissaire commença sans attendre. Il lui demanda d'énoncer son état civil puis entra dans le vif du sujet :

— Reconnaissez-vous être coupable des cambriolages de tableaux et œuvres d'art, signés par la carte de visite Cat's Eye ?

— Oui.

— A quand remonte votre premier vol ?

Elle hésita :

— On a commencé à faire des recherches il y a deux ans et demi, mais ça fait seulement dix-huit mois qu'on prend officiellement des pièces.

— Reconnaissez-vous vous être emparée des œuvres suivantes…

Le commissaire lut la liste des vols qu'ils avaient attribués au gang, sur la foi des cartes de visite trouvées sur les lieux.

Tam, le regard toujours fixé sur Chapuis, dit lentement :

— Oui, je reconnais tout cela. Et je pense qu'il faut que je vous explique pourquoi on a fait ça.

Elle laissa passer quelques secondes, puis se lança :

— J'ai passé mon enfance dans une maison près de Lacanau, où mon père avait son atelier. Ma mère est morte à la naissance d'Alexia quand j'avais huit ans et Sylia douze. C'est donc mon père qui nous a élevées. C'était un père affectueux, très proche de nous, et en particulier de Sylia à qui il avait appris à peindre et avec laquelle il avait une très grande complicité.

A l'évocation de son enfance, le visage de Tam s'était éclairé. Il était évident qu'à cette époque, elle avait été heureuse. Puis elle s'assombrit brusquement tandis qu'elle continuait son récit :

— Le 10 mai 2000, mon père a disparu. Quand nous nous sommes réveillées un matin, il n'était plus là, et toutes ses toiles non vendues ainsi que sa collection d'œuvres d'art avaient disparu. Il n'avait laissé aucun mot, aucune explication. Nous avons alerté la police, mais ils nous ont dit qu'il était majeur et qu'il avait le droit changer de vie. Ils n'ont fait aucune recherche, ne nous ont pas écoutées quand on leur a dit que jamais notre père nous abandonnerait et qu'il était impossible qu'il soit parti en ne nous laissant rien pour vivre… Et puis de toute manière, nous n'avions aucun lien de famille avec lui, puisqu'il ne nous a jamais reconnues officiellement.

L'expression de la jeune femme témoignait maintenant d'une réelle douleur et même Chapuis avait relevé la tête pour la regarder. Mais elle ne le voyait pas, perdue dans ses souvenirs :

— Comme on insistait, continua Tam, ils ont commencé à poser des questions sur nous, et on s'est rendue compte que cela nous mettait en danger d'insister. Alexia n'avait que dix ans, ils parlaient de la mettre dans un foyer. Sylia a pris peur et nous avons décidé de déménager. On a pris de l'argent que mon père avait caché dans la maison et qui avait échappé aux voleur, mais quand on a eu tout dépensé, Sylia s'est décide à joindre notre oncle maternel. Nous ne pensions pas pouvoir compter sur lui car lorsque ma mère était partie avec mon père, toute sa famille l'avait reniée, mais on ne pouvait pas continuer comme ça. Oncle Lucas nous a envoyé son avocat et, par son intermédiaire, il nous a proposé la gérance du café, ce qui nous permettrait de vivre. Par contre, il a refusé catégoriquement de faire une enquête sur la disparition de papa. Nous n'avions pas le choix, nous nous sommes résignées. Cela faisait des années que Sylia tenait notre maison et, avec l'aide du comptable de notre oncle, elle s'en est très bien sortie. Je l'ai aidée comme j'ai pu. Sylia voulait que je fasse des études, mais j'ai préféré donner toutes ses chances à Alexia qui est plus brillante que moi.

Ce n'est pas l'intelligence qui manque aux aînées, jugea Asaya. Les enquêteurs avaient vu la minutie des plans de Sylia dans les documents retrouvés dans le grenier et avaient eu la confirmation que la réussite du gang ne tenait ni du hasard, ni de la chance. Tam n'était pas en reste : ils avaient pu constater, les mois précédents, sa capacité impressionnante à revoir ses plans en fonction des circonstances extérieures et à se concentrer sur une tâche délicate, en dépit du stress et du temps limité.

— Et puis les peintures d'un certain Kranaff ont commencé à être mises sur le marché, poursuivit Tam. Sylia eu un choc. C'était de la main de notre père, elle en était certaine. Nous avions toujours pensé qu'il avait été enlevé et qu'il était, soit mort, soit maintenu quelque part contre son gré. Qu'il peigne encore voulait dire qu'il était vivant et Sylia s'est mise en tête de le retrouver. Mais quand on a cherché à se renseigner sur Kranaff, on s'est heurtées à un mur. C'est comme ça qu'on a commencé à s'introduire chez les gens pour obtenir des pistes et savoir où était papa.

Asaya regarda Chapuis. Par ses déductions, il avait pratiquement deviné la vérité, et le récit de leur prisonnière ne faisait que confirmer leurs hypothèses. Cependant, malgré leurs recherches, ils n'avaient pas encore déterminé le lien entre Heintz et Kranaff, les deux artistes qui semblaient intéresser les voleuses. Il était satisfaisant d'en avoir enfin la clé.

— Sylia peignait régulièrement avec mon père, précisa Tam. Ils avaient même créé plusieurs tableaux ensemble. Elle est donc une spécialiste de ses toiles. Et elle savait que papa avait pour habitude de mettre des éléments importants dans un endroit particulier de ses tableaux, toujours le même. Et après avoir regardé à la loupe trois tableaux de Kranaff auxquels on a eu accès, elle a découvert qu'on pouvait y déchiffrer des caractères, et on a pensé qu'il tentait de nous faire parvenir un message. C'est là qu'on a ressenti le besoin de récupérer l'intégralité de la collection Kranaff. Sylia a trouvé quelqu'un qui nous a fait faire une sorte de stage pour apprendre à déjouer des systèmes de sécurité. Pour le reste, on s'est améliorées au fur et à mesure.

Tam baissa les yeux sur ses mains.

— Au bout d'un an, on avait récupéré assez de tableaux pour déchiffrer le message. Ça nous a permis de déterminer où notre père avait été détenu. Malheureusement, quand on est parties pour le délivrer, on a appris qu'il était mort. Il était tombé malade et je suppose qu'ils auraient pu le sauver en l'emmenant à l'hôpital, mais ils ne l'ont pas fait et tout était fini depuis plusieurs semaines.

Personne ne rompit le silence qui s'ensuivit.

— Là, on s'est demandé ce qu'on allait faire, reprit Tam après un long soupir. Devions-nous abandonner ? Nous venger ? Sylia a dit qu'elle voulait récupérer toutes les œuvres peintes ou détenues par mon père.

La voix de Tam se durcit :

— Ce n'était que justice vous savez ! La plupart se trouvaient chez des personnes qui les avaient récupérées directement auprès de ceux qui les ont volées chez nous. Vous avez vous-même remarqué que ces pseudo propriétaires n'étaient pas nets ! Certaines de nos récupération n'ont même pas fait l'objet d'une plainte. C'est pour ça qu'on a commencé à signer nos opérations en laissant une carte. Pour qu'ils sachent qu'on savait et que peut-être un jour, ils auraient à en répondre !

— C'était dangereux, fit remarquer Asaya.

— Très peu de gens connaissaient notre lien avec le peintre Heintz. Et puis…

Elle hésita un peu mais avoua :

— Et puis, Sylia perd un peu la mesure quand il s'agit de notre père. Récupérer tout ce qui lui a appartenu pour ne pas le laisser aux mains de ceux qui l'ont assassiné est la chose qui est la plus importante pour elle.

— Pas pour vous ? demanda Asaya.

Tam tourna la tête vers Chapuis qui ramena vivement son attention sur son écran. La voleuse reporta son regard sur Asaya, mais il était clair que c'était à l'inspecteur qu'elle s'adressait.

— Ça fait des mois que je veux arrêter. J'ai fini par réaliser que retrouver les œuvres de papa et sa collection n'allait pas nous le rendre et qu'il était temps de penser à l'avenir. Mais Sylia ne voit pas les choses ainsi. Elle est obsédée par ces objets et elle a décidé qu'on n'arrêterait que lorsqu'on aurait tout récupéré.

Tam inspira profondément et continua :

— J'ai vraiment tenté de mettre fin à tout ça. Je lui ai dit que je n'irai plus. Alors elle a monté une opération et y est allée elle-même. Ça a failli tourner à la catastrophe. Jouer les monte-en-l'air n'est pas son point fort. Mais je savais qu'elle recommencerait et que, si je voulais nous donner une chance de ne pas terminer en prison, il fallait que je m'en charge moi-même. Et puis…

Elle jeta de nouveau un regard rapide vers Chapuis qui agrippait la table qui se trouvait devant lui avec tant de force que ses doigts en étaient blancs.

— Je n'avais pas le droit de l'abandonner parce que j'avais d'autres projets, regretta-t-elle d'une voix douloureuse. Sylia est ma famille. Elle a pris soin de moi quand maman est morte. Elle a élevé Alex. Elle s'est sacrifiée pour nous, alors je ne pouvais pas la laisser tomber. Je ne pouvais pas…

Il y eut un moment de silence, puis le commissaire Bruno lança :

— Chapuis, je pense qu'on peut commencer à taper le PV.

Il fallut encore quelques instants à Chapuis pour sortir de son immobilité, puis il commença à taper furieusement sur son clavier.

— Mademoiselle Chamade, reprit courtoisement Bruno, où se trouvent maintenant les peintures de votre père et les pièces de sa collection que vous avez récupérées ?

Tam le regarda un moment sans répondre, avant de secouer la tête.

— Je n'ai plus rien à ajouter, affirma-t-elle. Je sais bien que vous allez trouver, mais je vous en ai assez dit.

Son regard devint vide alors qu'elle se refermait sur elle-même, et Asaya comprit qu'elle ne se laisserait pas fléchir facilement. Devaient-ils tenter de la faire craquer ? Assaya était persuadée qu'elle était affaiblie par l'attitude hostile de Chapuis, mais elle éprouvait du dégoût à utiliser cette carte. Elle ne savait pas non plus si son collègue tiendrait le coup. Et puis, ils avaient d'autres démarches à effectuer et il leur restait une journée et une nuit pour reprendre l'entretien. Le commissaire Bruno parut parvenir à la même conclusion :

— Bien, je pense que nous allons en rester là pour le moment.

Il se leva et ajouta :

— Je vais voir où en sont les autres. Vous mettrez le PV signé sur mon bureau.

Juste avant de sortir, il se tourna vers l'inspectrice :

— Asaya, je veux que tu conduises personnellement Mademoiselle Chamade aux cellules.

Autrement dit, elle ne devait pas laisser la prisonnière et l'inspecteur Chapuis en tête à tête. Elle n'en avait pas eu l'intention une seule seconde.

— Bien, Commissaire.

La porte se referma derrière lui. Le silence s'abattit sur la pièce, seulement troublé par le bruit des touches de l'ordinateur. De nouveau, Tam contemplait Chapuis mais ce dernier refusait de lever la tête vers elle. Il arriva même à imprimer le document et le déposer devant la prisonnière pour qu'elle le relise et le signe, sans une seule fois la regarder.

Quand Tam eut paraphé chaque page, Asaya se leva :

— Venez, je vais vous reconduire en cellule.

Mais Tam ne bougea pas. Elle tourna la tête vers Chapuis toujours concentré sur l'écran de son ordinateur et elle souffla :

— Quentin… Je suis vraiment désolée. J'aurais voulu que cela se termine autrement. J'ai essayé, je n'ai pas pu...

Enfin, il accepta la confrontation et darda sur elle un regard brûlant de ressentiment :

— Je ne veux plus jamais te revoir, assena-t-il. Je ne veux plus entendre ta voix. Tu n'existes plus pour moi.

Elle recula sur sa chaise comme si elle avait reçu un coup avant d'enfouir son visage dans ses mains. Chapuis se leva et sortit.

ooOoo


Notes : Voilà le premier chapitre qui plante le décor. J'espère qu'il vous a plu. Sachez que toute l'histoire est écrite, qu'elle a 21 chapitres et qu'ils seront postés chaque samedi matin jusqu'à la fin (ce qui nous mènera début mars)

Le prochain chapitre reviendra sur les évènements antérieurs, pour mieux comprendre le contexte. Il s'appellera 'Juste toi et moi'.

Culture juridique : l'arrestation a eu lieu 4 ans après la disparition du père en 2000, donc on est en 2004. La procédure pénale en vigueur à l'époque ne prévoyait pas de possibilité de demander qu'un avocat soit présent lors de l'audition. Seule une consultation d'une demi-heure était proposée, une fois par 24h (2 fois si la garde à vue était renouvelée).

Pour ceux qui lisent ma saga Harry Potter : je n'ai pas abandonné l'écriture de la partie 4 'Les Sorciers', j'ai juste intercalé l'écriture de cette histoire qui s'est imposée à moi. La suite viendra donc un jour.


Ce qu'il faut connaître de 'Signé Cat's Eyes' pour comprendre cette histoire : Trois sœurs, Sylia, Tam et Alexia Chamade (Rui, Hitomi et Aï Kisugi dans le manga) s'occupent d'un café placé juste en face d'un commissariat de police durant la journée. Le soir, elles se transforment en cambrioleuses de choc. Elles ne volent pas pour le profit, mais pour retrouver leur père, un peintre qui a disparu des années auparavant.

L'intérêt de l'histoire vient de ce que l'inspecteur Quentin Chapuis (Toshio Utsumi), chargé du dossier Cat's Eye, est également l'amoureux de Tam, qui exécute les vols. Sylia est la tête pensante du groupe, et Alexia, très jeune, elle n'intervient que ponctuellement dans les cambriolages.

Une grande partie de l'histoire repose sur la manière dont Tam gère ses sentiments pour Quentin qui est son adversaire, la culpabilité qu'elle éprouve à l'utiliser pour obtenir des renseignements, et le problème que pose l'obsession de Quentin pour ce gang de voleuses qu'il s'est juré d'arrêter.


Pourquoi cette histoire est un UA ? : J'ai choisi de changer un certain nombre d'éléments de l'histoire pour la rendre plus vraisemblable et avoir des personnages moins caricaturaux. Ils seront donc plus ou moins OOC. Je pense que je vais perdre un peu de l'humour insufflé par le scénariste et dessinateur Tsukasa Hojo, mais que les personnages vont y gagner en profondeur psychologique.

La relation Quentin – Tam : dans l'animé et le manga, cette relation est assez déséquilibrée. Non seulement elle lui ment, lui extorque des renseignements, mais elle n'est pas trop sympa avec lui, toujours à lui reprocher sa conduite, même s'il n'est pas responsable de la difficulté qu'ils ont à avoir une relation. Dans mon histoire, Tam sera beaucoup plus respectueuse de l'homme quelle aime, se sentira davantage coupable de lui mentir et tentera autant qu'elle peut de protéger sa carrière. Pour cette raison, j'ai décidé qu'elle a convaincu Quentin de garder leur liaison secrète, pour le préserver au cas où elle se ferait arrêter.

La relation de Quentin avec les sœurs de Tam : la relation entre Quentin et Alexia est la même que dans le dessin animé, de l'affection fraternelle. Par contre, j'ai légèrement rajeuni Alex pour les besoins de l'histoire

J'ai aussi décidé que Sylia n'appréciait pas du tout Quentin : elle le méprise parce que c'est un tendre et elle est violemment opposée à sa relation avec Tam en raison du danger que cela représente. Elle fera tout pour les séparer, mais sans succès.

La vie professionnelle de Quentin : pour rééquilibrer sa relation avec Tam, j'ai décidé que Quentin était réellement un bon policier et que son enquête sur les Cat's Eye était assez efficace pour réellement gêner les voleuses. L'histoire commence par l'arrestation des Cat's par Quentin, qu'il a réussi à les démasquer. Il est apprécié par son supérieur le commissaire Bruno et a de bonnes relations avec sa partenaire Odile Asaya (qui n'a jamais soupçonné les sœurs Chamade d'être les Cat's, contrairement à ce qui se passe dans l'histoire originale).

Je n'ai pas repris le personnage de Monsieur Durieux afin de rendre les Cat's indépendantes dans la mise en place de leurs opérations. J'ai aussi un peu modifié le mystère Heintz. Le café des sœurs Chamade n'a pas de nom, parce qu'appeler le café "Cat's Eye" est quand même un peu énorme. Quand à l'envoi des cartes avant les vols… sérieux, qui ferait ça ?

L'époque et le lieu : Pour ancrer l'histoire dans notre monde moderne (téléphones portables, ordinateurs), j'ai modifié la période. En gros, j'ai déplacé l'intrigue de 20 ans (les vols sont en 2003 - 2004 et non en 1984). L'histoire en elle-même commence donc en 2004 avec des flash-back qui couvrent l'année 2003. Ensuite, l'intrigue se poursuit jusqu'en 2011.

J'ai également placé l'intrigue en France, pour ne pas avoir à gérer les spécificités culturelles japonaises.

Les prénoms : j'ai décidé de me caler sur la version française, parce que la majorité d'entre nous connaissent l'animé. Pardon pour les fans du manga.