ONCE UPON A TIME

Dans les cendres


1. Des rêves


Elle ne savait pas vraiment quand les rêves avaient commencé.

Peut-être…

Peut-être juste après la mort de Cora. Juste après cette décision qui avait changé sa vie, son cœur et leur futur à jamais.

Juste après avoir utilisé cet objet magique aussi noir que la nuit, cet objet qu'elle avait refusé d'utiliser pour sauver sa propre mère pour finir par en faire usage des années plus tard au bénéfice d'un monstre.

Juste après avoir senti le goût de la vengeance sur sa langue, dans son estomac, et l'avoir détesté au point de le vomir pendant des jours.

Mais il était aussi possible que le début des rêves n'ait absolument rien à voir avec cet évènement. Rien à voir avec ses longues balades dans les bois de Storybrooke, la musique à fond dans ses oreilles, son carquois et son arc dans son dos, ses pensées ne cessant de ressasser ses propres décisions, ses fautes, les conséquences.

Regina avait refusé de la tuer.

Elle avait plongé la main dans sa poitrine, avait serré, avait arraché son cœur et l'avait contemplé. Assez désespérée et seule et furieuse et instable pour finalement la tuer cette fois-ci.

Mais non. Elle ne l'avait pas fait. Un coup d'œil au cœur de Snow-White, à une tâche noire, et elle l'avait épargnée. Avait ri ce rire faux et creux et inhumain et avait remis l'organe dans la poitrine de l'assassin de sa mère.

Et elle l'avait laissée partir.

Mary-Margaret passa sa paume à l'endroit même où la main de Regina avait plongé, et frotta la peau au-dessus de son cœur. Cet organe qu'elle avait sali par sa haine et qui portait à présent la trace de la magie de Regina.

Et peut-être…

Peut-être que les rêves avaient commencé après ça, en réalité.

Enfin, des rêves…

Plutôt des cauchemars.

Des visions horrifiques et incompréhensibles d'un monde ravagé par la magie et le désespoir. Storybrooke, moitié ruines, moitié forêt, le tout couvert de cendres étouffantes.

Couvert par la mort.

O

Mary-Margaret observa autour d'elle, confuse, perdue.

Il n'y avait pas un bruit. Pas un seul. La désorientation et cette absence totale de son, de vie, lui serra l'estomac et coupa sa respiration et elle fronça les sourcils, soudain paniquée.

Elle se trouvait dans une rue. Dans ce qui avait été une rue. Le béton perdait ses droits sur la végétation qui apparaissait par des craquelures, la moitié des bâtiments s'écroulaient, certains n'étaient plus qu'un tas de gravats comme si un bombardement avait eu lieu. D'autres tenaient encore debout, têtus, branlants, parfois toujours forts.

C'était Storybrooke.

Elle le réalisa avec horreur, elle était au milieu de Storybrooke, mais c'était comme si la forêt alentours avaient commencé à dévorer la ville, des arbres se trouvaient au milieu de la route, parfois dans les maisons, la mousse, l'herbe, les arbustes avaient mangé la modernité çà et là.

Et tout était gris.

La végétation et les bâtiments et les enseignes et les voitures laissées à l'abandon…

Tout était gris, et fade, et dans l'air…

Mary-Margaret couvrit son nez et sa bouche rapidement, se retint de tousser. L'air était saturé de cendres, chaque fois qu'elle faisait un pas, elle en soulevait un nouveau nuage. Certains bâtiments, des arbres, des voitures avaient souffert par les flammes, et en l'absence de vent, de pluie, de vie, les cendres restaient, posées là, partout, et flottaient doucement dans l'air lorsque les déplacements de la femme les dérangeaient.

Un monde sans couleur, recouvert par les cendres.

Elle leva les yeux vers le ciel. Gris, lui aussi. Les nuages, bas, indéfinis, ne bougeaient pas. Pas un brin d'air, toujours pas de son.

Storybrooke était figé dans le temps.

Elle se mit à trembler, ne put empêcher ses larmes, sa peur, sentit que les pouvoirs à l'œuvre dans cette partie du monde étaient bien plus noirs que ceux qui avaient maintenu sa ville dans une boucle temporelle sans fin pendant vingt-huit années.

« Est-ce qu'il y a quelqu'un ? » appela t-elle, tournant sur elle-même, cherchant à se repérer dans cette ville-forêt en ruines qu'elle reconnaissait à peine. « Est-ce qu'il y a quelqu'un ?! »

Sa voix résonna et résonna encore, dans des échos de plus en plus lointains, déformés, pathétiques.

Pas un autre son.

L'angoisse la fit sangloter, elle se mit à courir. Les cendres volèrent autour d'elle mais elle ne s'arrêta qu'une fois devant un bâtiment familier.

Chez Granny.

Le café n'avait plus de vitrine, le verre depuis longtemps brisé n'avait laissé aucune trace, la porte tenait à peine debout, comme à moitié arrachée de ses gonds. L'établissement tenait encore, et Mary-Margaret entra lentement, des larmes sur les joues. Les tabourets étaient au sol. Il y avait de la vaisselle, des restants d'une vie passée, cassée, gisant par terre ou sur les tables. Une tasse se tenait droite, presque fière sur le comptoir, et Mary-Margaret s'approcha.

« Hey ? »

Personne ne lui répondit, mais elle ne s'était pas vraiment attendue à un résultat.

Elle posa ses mains sur le bar, observa autour d'elle, tenta de comprendre.

Où était passé tout le monde ?

L'horloge sur le mur restait coincée sur 14H06. Le calendrier mural n'avait plus été touché non plus, la dernière feuille affichée…

« 24 septembre 2018. »

Malgré ça, Mary-Margaret sut d'instinct que cette date était dépassée depuis longtemps. Bien qu'étrangement figée dans le temps, cette ville continuait de se dégrader.

C'était différent de sa Storybrooke où rien n'avait jamais vraiment changé pendant des années à part les vêtements et les utilitaires. Ici, le temps était figé dans une seconde éternelle, peut-être ce début d'après-midi de ce jour de septembre, et pourtant la végétation grise à moitié morte continuait de pousser, les bâtiments continuaient de tomber en ruines.

C'était incompréhensible, et quelle magie était-ce ?

Elle se redressa, fit un pas en arrière, lâcha le comptoir et allait se détourner quand un détail attira son œil.

Ses mains avaient retiré la fine couche de cendres sur la surface et avaient révélé une trace sombre, presque noire mais tirant un peu sur le rouge…

Avec un hoquet d'horreur, elle fit un nouveau pas en arrière, ses yeux braqués sur l'empreinte partielle d'une main plaquée sur le bar, comme si quelqu'un s'y était appuyé avant de glisser et de s'écrouler. Elle observa autour d'elle, repéra d'autres traces de sang, des tâches, une flaque qui avait marqué le sol…

Rien n'avait de sens. Absolument rien.

Elle tourna les talons, sortit du café et courut vers la place de la Mairie. Peut-être trouverait-elle quelque chose là-bas, des informations sur ce qui avait bien pu se produire, peut-être même découvrirait-elle ce qui était arrivé à sa famille…

Arrivée à destination, elle se figea.

Là, face à elle, en plein milieu de ce qui avait autrefois été une intersection se trouvait un monument qu'elle n'avait auparavant jamais vu à Storybrooke. Une immense stèle de pierre blanche, sur laquelle la cendre semblait incapable de s'accrocher.

Et sur cette stèle…

Sur cette…

Avec un petit cri de désespoir, elle tomba à genoux sur le bitume craquelé et fut incapable de détacher ses yeux plein de larmes du monument.

De cette pierre blanche, si pure dans cet univers gris et mort.

De tous ces noms.

Des dizaines.

Des centaines.

Des inconnus.

Des connaissances.

Des amis.

Elle n'eût en aucun cas le temps de les lire tous, ne le put pas, ne le voulut pas.

Avec un autre cri d'horreur, elle se réveilla.

O

Depuis, Mary-Margaret en avait fait d'autres, des rêves.

Des rêves de ce futur étrange et apocalyptique où Storybrooke était coincée dans une bulle de magie impénétrable dans laquelle personne ne pouvait entrer et de laquelle personne ne pouvait s'enfuir. Une ville bloquée dans une magie aux règles étranges et incompréhensibles.

Elle avait vu des flashs, trop courts pour bien les cerner. Des flashs de bataille, de guerre.

Des flashs de gens se battant pour survivre.

David, elle-même, Emma, Ruby, les nains, leurs amis, d'autres habitants, luttant contre des monstres gris et informes faits de cendres et de terreur, meurtriers, en quête d'une seule chose, de nouvelles victimes.

Elle avait vu, dans un tourbillon de magie horrifiante, un être, un homme à la voix grave et malsaine, leur ordonner de se rendre. Elle s'était vue refuser, en chœur avec tous les habitants, et elle l'avait entendu leur promettre qu'il tuerait jusqu'à avoir ce qu'il voulait.

Elle s'était vue enterrer des amis, tellement d'amis… Tenir la main de mourants sans rien pouvoir faire. Regarder les dernières lueurs de vie s'échapper des yeux de Ruby dans un râle douloureux. Regarder ce monstre se jeter sur Grincheux, tenter de l'arrêter et échouer et être recouverte de sang.

Le sang.

Oh, et la terreur.

Et cette colère, cette rage, cette impuissance.

Elle avait vu les habitants fuir la ville pour les mines, les souterrains creusés à l'aide de la magie, les bois. Des endroits secrets où ils pourraient peut-être être à l'abri. Des endroits dont ils sortaient par petits groupes discrets pour aller récupérer matériel, vivres, médicaments. Des endroits qui, le plus souvent, finissaient par être leurs tombeaux.

Et cette stèle blanche, magique, pure, sur laquelle s'inscrivaient au fur et à mesure des noms, tellement de noms, pour qu'ils ne soient jamais oubliés.

Chaque nuit depuis des jours, Mary-Margaret faisait ces rêves qu'elle ne comprenait pas. Et comment les expliquer ? Elle avait laissé David et Emma croire que Cora et ses actions la hantaient toujours, quand en réalité d'autres démons étaient venus envahir son cœur.

Peut-être devenait-elle folle ?

Peut-être était-ce là le prix à payer pour ses crimes.

Elle continua à avancer dans les bois, cherchant un bon endroit pour s'entraîner à l'arc sans risquer d'accident, respira doucement l'air pur, l'odeur de la mousse humide et des sapins. Elle se sentait comme chez elle ici, entourée d'arbres, d'oiseaux, de vie. Ces bois étaient si loin de ceux de ses cauchemars, et pourtant ils étaient les mêmes.

Un son la figea.

Un petit bruit étrange qui n'aurait jamais dû résonner dans une forêt.

Elle encocha une flèche et avança prudemment, sans un bruit. Essaya de suivre ce qu'elle entendait tout en tentant de déterminer sa nature.

Ses pas la menèrent bientôt à un coin qu'elle connaissait bien. Elle se retrouva très vite face au puits, celui qui leur avait permis, à Emma et à elle, de revenir de la Forêt Enchantée.

Encore plus méfiante, Mary-Margaret observa les alentours, prête à relâcher sa flèche, mais ne vit personne.

« Qui est là ? » interrogea t-elle, sa voix ferme, dure.

Pas un son. Et puis un gargouillis étrange.

Et puis des pleurs.

Complètement soufflée, elle avança prudemment mais d'un pas plus rapide, fit le tour du puits et faillit s'étrangler de stupeur. Sur le sol même de la forêt, dans une couverture qu'elle reconnaissait bien, se trouvait un bébé.

Jetant un autre regard autour d'elle, Mary-Margaret fronça les sourcils.

« Il y a quelqu'un ?! »

Aucune réponse. Les oiseaux étaient calmes, elle était seule.

Et l'enfant pleurait toujours.

Elle rangea sa flèche, posa l'arc à portée de main et se pencha vers le bambin. Des boucles sombres, des yeux noisette.

Et cette couverture blanche, avec ce ruban violet.

Elle tendit une main, passa un doigt sur la laine bien usée. Pas de doute.

C'était la couverture que Granny avait cousu pour Emma.

Les cris du bébé se firent plus forts, alors Mary-Margaret se reprit, passa les mains sous les bras de la petite fille pour la porter tout contre elle.

Elle devait avoir au moins un an, sans doute plus, et tremblait, alors Mary-Margaret lui murmura des mots pour la calmer, fit quelques pas avec elle pour la bercer. Elle inspecta les alentours tout en apaisant l'enfant. Le sol, les arbres, le puits, absolument rien n'indiquait d'où avait pu provenir le bébé.

« Chut, ma puce. »

Avec quelques derniers petits hoquets, l'enfant cessa de pleurer, blottie contre elle, rassurée peut-être, épuisée sans doute.

« D'où est-ce que tu viens ? »

Trop curieuse pour attendre, Mary-Margaret s'agenouilla au sol et étala la couverture par terre. Elle y assit la fillette qui observa autour d'elle curieusement. Habillée d'une robe rouge adorable, la petite semblait en bonne santé. Il y avait de petites égratignures sur son bras, mais rien d'alarmant.

Un détail attira son attention. La respiration bloquée dans sa poitrine, Mary-Margaret toucha le bord de la couverture de bébé d'une main tremblante. Là, dans le coin en face du nom Emma se trouvait être brodé un second prénom.

Mary.

« Est-ce que c'est toi, Mary ? »

La fillette releva les yeux vers elle à l'entente du prénom et babilla.

« Mama ? »

« Non, je ne sais pas où est ta maman, mon cœur. »

Une petite poche de tissu avait été cousue près du prénom, et Mary-Margaret l'effleura pour se rendre compte qu'elle contenait quelque chose. Elle en sortit un bout de papier qui avait dû voir de meilleurs jours, et une bague.

La bague de Ruth.

Son alliance.

Une alliance dont la réplique exacte se trouvait à son annulaire.

« Comment… ? »

Avec des doigts tremblants, Mary-Margaret déplia le bout de papier qui ne contenait que deux mots.

Protège-la.

De plus en plus confuse, elle effleura la prière du bout de l'index et secoua la tête, incapable de comprendre.

Son alliance. La couverture d'Emma. Un bébé inconnu.

Et ce papier, qui lui était apparemment destiné, et qui comportait des mots tracés dans une écriture familière.

Celle de Regina.

Mary-Margaret reposa son regard sur Mary et fronça les sourcils. Avec hésitation, elle tendit une main vers la chaussure droite de l'enfant, une petite sandale blanche, et l'effleura.

Le cœur battant d'horreur et de crainte, elle frotta son pouce contre ses doigts, étalant les cendres qu'elle venait de recueillir.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? »

O